Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 7 décembre 2016, R.G. 15/1.281/A
Mis en ligne le vendredi 31 mars 2017
Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 7 décembre 2016, R.G. 15/1.281/A
Terra Laboris
Dans un jugement du 7 décembre 2016, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles aborde deux points récurrents sur la problématique du licenciement ‘manifestement déraisonnable’, étant d’une part les conditions de l’amende civile – liée à la communication de motifs sommaires – et de l’autre les étapes du contrôle judiciaire du motif lui-même.
Les faits
Suite à son licenciement par l’organisation syndicale mondiale qui l’occupait en qualité de Secrétaire régionale, une employée introduit une demande devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles en paiement de diverses sommes, dont l’amende prévue par la C.C.T. n° 109 (amende civile), ainsi qu’un montant de l’ordre de 28.500 € au titre d’indemnité forfaitaire due en application de la même convention collective pour licenciement manifestement déraisonnable.
Interrogé sur les motifs du licenciement, l’employeur répond que, tenant compte des difficultés rencontrées avec l’intéressée, il a été procédé à une restructuration avec suppression du poste qu’elle occupait.
Le jugement du tribunal
Sur l’amende civile, prévue à la C.C.T. n° 109, le tribunal relève que l’employée fonde sa demande sur l’absence de communication des motifs concrets qui ont conduit à son licenciement. Les parties s’opposent en effet sur les motifs réels, la demanderesse considérant, au vu des explications données par l’employeur dans ses écrits de procédure, que le licenciement est fondé non sur une réorganisation ou sur des nécessités de fonctionnement, mais plutôt sur son attitude et sur son comportement. De son côté, l’employeur estime avoir respecté l’obligation de l’article 5 de la C.C.T. n° 109, étant que les motifs concrets sont ceux qu’il a énoncés et qui ont permis à l’employée de comprendre pourquoi elle avait été licenciée. Il précise que les difficultés rencontrées l’ont poussé à se réorganiser et à supprimer la fonction.
Le tribunal reprend, ensuite, les articles 3 à 7 de la C.C.T., ainsi que les commentaires des partenaires sociaux sur l’obligation prévue à l’article 5. L’objectif précisé dans le rapport précédant le texte est de donner au travailleur un aperçu des motifs qui ont été à la base du licenciement, de sorte qu’il puisse en apprécier le caractère raisonnable sans imposer à l’employeur un cadre trop formaliste. Le droit pour le travailleur de connaître les motifs concrets peut avoir un effet préventif à l’égard des procédures de contestation du licenciement. Lorsque le travailleur est informé des motifs qui sont à l’origine du licenciement, il peut en effet apprécier s’il y a lieu de contester la rupture sur la base des motifs invoqués ou s’il faut accepter la décision de l’employeur. Pour sa part, l’employeur est encouragé à préciser ses motivations afin que le travailleur puisse se forger une opinion éclairée.
Il découle de ces considérations que l’employeur peut communiquer au travailleur un aperçu des motifs qui ont été à la base du licenciement et que la motivation, même assez sommaire ou peu circonstanciée, n’est pas interdite. Cependant, elle ne peut être abstraite et doit présenter un lien perceptible avec le licenciement. Le jugement poursuit qu’il n’appartient pas à ce stade au juge d’examiner s’il s’agit des motifs réels. Pour le tribunal, les partenaires sociaux ont surtout entendu sanctionner l’employeur qui n’aurait pas du tout veillé à communiquer les motifs, et ce malgré la demande du travailleur. L’objectif n’a pas été d’instaurer un débat juridique systématique sur le contenu de la motivation, de telle sorte que, selon le jugement, seuls les abus manifestes doivent être sanctionnés. En cas de motivation imprécise ayant peu de liens concrets avec le licenciement, le contrôle judiciaire en deviendra cependant d’autant plus rigoureux, tant sur l’exactitude des motifs valables que sur la vérification du lien causal avec le licenciement.
En l’espèce, le tribunal considère que les motifs ont un lien perceptible avec la rupture et que, si la motivation est peu circonstanciée et que les difficultés ne sont nullement développées, l’intéressée était en mesure, eu égard à un ensemble de circonstances dans le contexte de la rupture, d’apprécier le caractère déraisonnable, voire arbitraire, de celle-ci.
Le tribunal en vient dès lors à l’étape suivante de son examen, étant de savoir si le licenciement présente un caractère manifestement déraisonnable. Sur la notion elle-même, il renvoie également à la définition de la convention collective. Il s’agit de l’article 8, qui vise les motifs qui n’ont aucun lien avec l’aptitude ou la conduite du travailleur ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l’entreprise, de l’établissement ou du service, et qui n’auraient jamais été décidés par un employeur normal et raisonnable. Reprenant encore les commentaires faits par les partenaires sociaux, il ajoute que le contrôle ne porte pas ici sur les circonstances du licenciement mais sur le lien entre les motifs invoqués avec les critères ci-dessus. L’appréciation du caractère raisonnable appartient dans une large mesure à l’employeur, le juge étant tenu de respecter les différentes alternatives de gestion de l’employeur normal et raisonnable. Le contrôle est dès lors un contrôle marginal, qui ne portera pas sur l’opportunité des choix de gestion.
En l’occurrence, le tribunal retient comme établis quatre incidents qui se sont produits dans les six mois avant le licenciement, ceux-ci n’étant d’ailleurs pas contestés par l’intéressée.
Il poursuit qu’il ne suffit cependant pas d’établir des faits, encore faut-il montrer que ceux-ci pouvaient constituer des difficultés à ce point sérieuses qu’elles ont rendu nécessaire le licenciement de l’intéressée et, en l’occurrence, la suppression de sa fonction. Or, celle-ci ne constitue pas le motif réel mais en est plutôt la conséquence. Cette décision a été prise après le licenciement.
Analysant les éléments invoqués comme faits à la base du licenciement, et se livrant ici à un examen très en profondeur des échanges de correspondance et des positions exprimées par les parties, le tribunal constate ne pas pouvoir dégager des faits susceptibles de constituer des difficultés sérieuses, conformément à la règle qu’il avait annoncée précédemment, c’est-à-dire qui ont rendu le licenciement nécessaire. Il ajoute que la nécessité d’apporter cette preuve est d’autant plus exigée vu le caractère « assez sommaire » de la motivation.
En conséquence, il conclut qu’il y a lieu d’accorder l’indemnité fixée par la C.C.T. Sur le nombre de semaines elles-mêmes, il les fixe au nombre de sept, sans cependant motiver cette appréciation. Il statue par ailleurs sur divers chefs de demande, qui ne sont pas commentés ici.
Intérêt de la décision
Peu de décisions ont abordé, jusqu’à présent, les conséquences du caractère « concret » ou non de la motivation de licenciement donnée par l’employeur, non plus que les contours de cette obligation. En l’espèce, partant d’une motivation existante mais sommaire, l’employée considérait qu’il fallait conclure à l’absence de réponse au sens de la C.C.T. et demandait logiquement la condamnation de l’employeur à l’amende civile fixée en cas de carence de sa part sur cette question.
Le tribunal nuance cette position, considérant que, dans la mesure où les motifs sont donnés, il peut – eu égard à l’objectif de la C.C.T. tel qu’évoqué par les partenaires sociaux – être admis que la motivation peut être sommaire. La condition qu’elle doit remplir est de permettre au travailleur d’évaluer l’opportunité d’une contestation judiciaire – et, partant, à l’employeur de contribuer à l’éviter. La motivation peut donc être sommaire ou même imprécise. Le tribunal souligne ici qu’elle ne peut cependant pas être abstraite. Il s’agira dès lors de vérifier, en cas de réponse donnée, la plausibilité du motif eu égard au contexte du licenciement. Une fois cet examen effectué, étant qu’il y a des raisons données concrètement dans la rupture examinée, il faut passer à l’étape suivante, qui portera sur le motif lui-même, à savoir d’une part sa réalité (son exactitude) et, d’autre part, le lien entre les faits retenus et la nécessité de licencier.
Le tribunal considère ici que cet examen doit se faire à l’aune de la règle suivante : les faits devaient, dans le cours de l’exécution du contrat de travail, constituer des difficultés à ce point sérieuses qu’elles ont rendu nécessaire le licenciement de l’intéressée (et, en l’espèce, en conséquence, la suppression de sa fonction – puisque ceci était évoqué par l’employeur). La preuve de ce lien est d’autant plus exigée si la motivation du licenciement est sommaire. L’employeur peut dès lors apporter celle-ci dans le cours de la procédure mais, vu l’étendue du contrôle judiciaire, il n’en sera aucunement dispensé.