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Un membre du personnel de direction peut-il obtenir le paiement d’heures supplémentaires ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 20 décembre 2016, R.G. 2014/AB/912

Mis en ligne le lundi 15 mai 2017


Cour du travail de Bruxelles, 20 décembre 2016, R.G. n° 2014/AB/912

Terra Laboris

Dans un arrêt du 20 décembre 2016, la Cour du travail de Bruxelles alloue - comme l’avait fait le tribunal - des arriérés de rémunération à un membre du personnel de direction, rappelant que, s’il ne peut prétendre au supplément de rémunération fixé par la loi du 16 mars 1971 sur le travail en cas d’heures supplémentaires, l’équité peut justifier le paiement au taux normal de ces heures lorsqu’il résulte de la modicité de la rémunération qu’elle ne pouvait couvrir qu’un horaire « normal ».

Les faits

Un employé d’une grande surface (CP 201) est licencié et réclame, suite à la rupture, diverses sommes. Plus particulièrement, il fait valoir que des arriérés de rémunération lui sont dus, d’une part parce qu’il prestait à temps plein et d’autre part parce que son horaire amenait à la constatation d’une durée de prestations de 61 heures par semaine (prestations 7 jours sur 7). Il estime que, bien que faisant partie du personnel dit de direction ou investi d’un poste de confiance, les prestations supplémentaires doivent au moins être rémunérées, selon ses termes, en « simple ».

Position du tribunal

Le Tribunal du travail de Bruxelles accueille la demande et alloue les arriérés de rémunération (réduisant cependant le montant total) ainsi que les arriérés de pécule de vacances.

Le tribunal retient, sur les éléments de preuve apportés par le demandeur, qu’ensemble ils peuvent constituer une série d’éléments concordants permettant de présumer la réalité des heures et que la société – qui se borne à rejeter la demande en bloc – est tenue de collaborer à l’administration de la preuve, ce qu’elle ne fait pas. Il admet dès lors le décompte produit.

Sur la question du poste de direction ou de confiance, le tribunal rappelle que l’intéressé ne peut bénéficier des dispositions de la loi du 16 mars 1971 sur le travail mais qu’il peut cependant se prévaloir de l’équité comme source de droit autre que cette loi.

Dès lors que la rémunération convenue couvrait forfaitairement l’ensemble des prestations de l’intéressé mais qu’elle était insuffisante pour correspondre à la totalité des prestations concrètement fournies (celles-ci variant entre 55 heures par semaine et parfois même 72 heures), le tribunal admet l’octroi d’une rémunération additionnelle pour toutes les heures prestées au-delà de 45 heures par semaine en moyenne. Il effectue le calcul des sommes dues et alloue dès lors un montant de l’ordre de 4.000€.

La société interjette appel.

Position de la société devant la cour

Pour l’appelante, le personnel de direction ou de confiance ne peut prétendre à la rémunération de ses heures « supplémentaires » en particulier lorsqu’aucun horaire n’est prévu.

Pour la société, la jurisprudence qui admet que la rémunération (mais non le sursalaire) est due pour les heures supplémentaires si cela résulte du contrat de travail ou de l’usage, ou encore du règlement de travail ou de l’équité, ne peut s’appliquer en l’espèce, dans la mesure où elle vise l’hypothèse où un travailleur est amené à travailler plus d’heures que ce qui était contractuellement convenu.

En l’espèce, les parties n’ont convenu d’aucun horaire de travail mais uniquement d’une fonction et d’une rémunération. L’intéressé étant personnel de direction (ce qui n’est pas contesté), il n’y a pas d’horaire auquel se référer pour déterminer l’existence d’un dépassement.

Enfin, la société conteste que l’intéressé apporte la preuve des heures dont il réclame le paiement.

Position de la cour

La cour examine en premier lieu la question de la réalité et de l’étendue des heures en cause.

Elle relève que cette preuve peut être apportée par toute voie de droit. L’intéressé produisant un document reprenant l’horaire de toutes les personnes prestant dans le magasin ainsi qu’une attestation d’une ancienne collègue et encore un tableau détaillé reprenant l’ensemble des prestations en cause, la cour se penche plus particulièrement sur le témoignage, relevant que la société ne formule aucune critique à l’égard du contenu de celui-ci (qui reprend les heures, le mode d’organisation avec la présence des adjoints-gérants, …). Elle constate qu’elle est en présence d’un élément de preuve auquel elle peut avoir égard. Les deux autres documents permettent de conclure qu’il y a une série d’éléments concordants qui, pris dans leur ensemble, permettent de présumer la réalité des heures supplémentaires effectuées.

La cour relève encore l’absence de la moindre explication de la société, qui se borne à contester purement et simplement la réalité des heures avancées alors que, comme elle le souligne, le jugement lui a rappelé qu’elle était tenue de collaborer à l’administration de la preuve, et ce d’autant plus qu’elle possède la plus grande aptitude à produire les éléments pertinents.

Elle rejoint dès lors l’appréciation du tribunal sur le nombre d’heures prestées.

En ce qui concerne la rémunération de ces heures, l’article 3, § 3, 1°, de la loi du 16 mars 1971 sur le travail prévoit que ses dispositions ne valent pas pour les personnes investies d’un poste de direction ou de confiance. Ceci signifie que cette catégorie de personnel n’effectue pas d’heures supplémentaires au sens de la loi et ne peut donc prétendre au sursalaire.

La cour retient cependant qu’une tendance en jurisprudence admet que le travailleur peut cependant prétendre à la rémunération mais non au sursalaire si cette obligation ressort d’une autre source de droit, qui peut être le contrat ou l’usage.

La question se pose de savoir si l’équité peut être invoquée, lorsqu’il résulte comme en l’espèce de la modicité de la rémunération que celle-ci ne serait destinée qu’à couvrir un salaire qualifié de « normal ».

La réponse est, pour la cour, affirmative.

La source de droit de l’obligation contractuelle figure à l’article 20 de la loi du 3 juillet 1978 ainsi qu’aux articles 1134 et 1135 du Code civil. Il s’agit du principe d’exécution de bonne foi des conventions. Celui-ci s’oppose à ce qu’un travailleur, qui occupe une fonction de direction et est payé comme tel puisse se plaindre et réclamer un sursalaire pour les prestations de sa fonction mais, si sa rémunération est sans commune mesure avec ce que sa fonction exige de lui, la bonne foi est violée et le travailleur peut prétendre à une indemnisation sur pied de l’article 1135 du Code civil, qui dispose que les conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé mais encore à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après sa nature. La cour renvoie pour la même conclusion à un autre arrêt (C. trav. Bruxelles, 24 octobre 2007, J.T.T., 2008, p.76).

En sa qualité d’adjoint à la direction, il est dès lors acquis que l’intéressé était tenu à de très nombreuses heures de prestations que la rémunération allouée ne pouvait raisonnablement couvrir.

La cour rejoint dès lors l’appréciation du tribunal qui a statué en équité.

Intérêt de la décision

Un premier point – utile – est le rappel fait par la cour de l’obligation des parties à collaborer à l’administration de la preuve. La partie défenderesse ne peut, dans la procédure – et ce d’autant qu’elle a comme en l’espèce « la plus grande aptitude à produire les éléments de preuve pertinents » (selon l’arrêt) – se borner à de simples dénégations à propos des demandes formées à son encontre.

Sur la question du fond, cet arrêt est particulièrement intéressant, dans la mesure où le droit à la rémunération dite « supplémentaire » pour le personnel investi d’un poste de direction ou de confiance est régulièrement en question.

La cour rappelle qu’une tendance en jurisprudence, à laquelle elle se rallie, admet que le travailleur peut prétendre à la rémunération mais sans sursalaire pour heures supplémentaires, si cette obligation ressort d’une autre source de droit, celle-ci pouvant être le contrat ou l’usage.

En l’occurrence, la position de la société – selon laquelle la rémunération constituait un forfait et que, vu l’absence de fixation d’un nombre déterminé d’heures à prester, il ne pouvait y avoir de dépassement (!) – est rejetée au motif qu’existent d’autres règles, pouvant fonder le droit à la rémunération. Il s’agit de l’article 20 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, qui renferme l’obligation contractuelle de payer la rémunération convenue mais également des articles 1134 et 1135 du Code civil relatifs à l’exécution de bonne foi des conventions. L’on notera que l’équité est reprise comme source d’obligation à l’article 1135 et que selon l’arrêt, celle-ci peut également justifier le paiement au taux normal des heures « supplémentaires » effectuées, lorsqu’il résulte de la modicité de la rémunération que celle-ci n’est destinée qu’à couvrir un horaire « normal » (12e feuillet).


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