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Stress, burnout et accident du travail

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Binche), 10 janvier 2017, R.G. 15/2.968/A

Mis en ligne le lundi 15 mai 2017


Tribunal du travail du Hainaut, division Binche, 10 janvier 2017, R.G. 15/2.968/A

Terra Laboris

Par jugement du 10 janvier 2017, le Tribunal du travail du Hainaut (division Binche) se penche sur la relation entre le caractère éprouvant d’une relation professionnelle entraînant une surcharge et la réparation garantie dans le secteur des accidents du travail.

Les faits

Une enseignante, professeur de pratique professionnelle (cuisine dans le secteur hôtellerie et restauration), introduit une déclaration d’accident du travail, étant qu’elle avait été interpellée agressivement par son chef d’atelier devant ses élèves. L’événement « déviant » est identifié comme étant la présence d’une quantité de nourriture jugée par ce dernier trop importante pour la réalisation de la préparation des élèves, deux litres de pâte à crêpes ayant été prévues pour quatorze élèves et pour deux heures de cours. L’intéressée précise, sur le plan de la lésion, que celle-ci est d’ordre psychique, étant « la goutte qui a fait déborder le vase », qui se remplissait depuis trois ans.

Suite à cet accident du travail, l’intéressée effectue une autre démarche, étant une plainte à la Police. Cette plainte est plus circonstanciée, faisant, en gros, état d’un harcèlement continu depuis plusieurs années et l’intéressée y précisant encore que les derniers faits l’avaient atteinte moralement. Son supérieur se serait énervé, aurait crié sur elle devant ses élèves, exigeant que les enfants n’aient qu’une seule crêpe, etc.

L’intéressée précise qu’elle était en état de choc, étant en pleurs et à bout, et qu’elle a, dans cet état, pris l’initiative d’un contact avec sa direction.

Des précisions sont encore données ultérieurement, l’enseignante étant réinterrogée et exposant plus amplement son mal-être suite à cette situation.

Un certificat de premier constat est remis et celui-ci précise que les lésions consistent en un stress et burnout dus à un harcèlement moral depuis trois ans.

S’agissant d’une école subventionnée par la Communauté française, la décision de reconnaître ou non l’accident incombe à celle-ci. Il y a refus au motif d’absence d’événement soudain. Même si se faire interpeller agressivement par son chef d’atelier devant ses élèves est qualifié de « situation peu agréable », elle n’est pas, pour l’autorité, constitutive d’un événement soudain au sens légal.

La décision du tribunal

Après un rappel de la définition de l’accident du travail et des règles de preuve, le tribunal procède à un examen en deux temps.

Le premier point à vérifier est la réalité des faits sur lesquels la partie demanderesse se fonde. Suivent les règles de preuve, dont, notamment, celle liée à la force probante des déclarations de la victime, question qui est abordée avec force décisions de jurisprudence. Le tribunal en conclut que les faits doivent être considérés comme établis, d’autant que, dans sa décision de refus, l’autorité n’a pas véritablement contesté ceux-ci. L’ensemble des éléments convergent dès lors pour constituer un faisceau de présomptions graves, précises et concordantes de l’existence d’une interpellation agressive. Le tribunal constate ici en sus l’existence d’un conflit interne entre le professeur et son supérieur.

La deuxième étape du raisonnement est de déterminer si les faits tels qu’ils sont prouvés peuvent constituer un élément susceptible d’avoir causé la lésion. Le tribunal rappelle que l’exercice normal de la tâche journalière peut constituer l’événement soudain requis, qu’il ne doit pas être anormal et qu’il doit à ce stade être susceptible (le tribunal souligne) d’avoir pu causer la lésion en cause, critère qui fera que ne sera pas retenu n’importe quel événement qui peut survenir au travail pendant l’exécution du contrat. Diverses décisions de jurisprudence sont citées ici également.

Quant au rapport entre la situation de conflit qui perdurait et l’accident du travail, celui-ci n’est pas incompatible, dans la mesure où l’intéressée met en exergue un événement particulier survenu tel jour déterminé. Le fait qu’une autre personne aurait pu réagir autrement que ne l’a fait la demanderesse est sans incidence, puisque le contrôle judiciaire doit porter, une fois les faits établis, sur la question de savoir s’ils sont susceptibles d’avoir causé la lésion. Par ailleurs, celle-ci n’est pas contestée et il existe une présomption légale. En vertu de celle-ci et eu égard au libellé de la lésion elle-même (stress et burnout dus à un harcèlement moral depuis trois ans), le tribunal conclut que ce n’est que si la présomption était renversée, c’est-à-dire s’il était établi que la lésion trouve sa seule origine dans une cause physique interne et que, de ce fait, il n’y avait pas de rapport entre l’événement soudain et celle-ci, qu’il ne pourrait accueillir la demande.

La question est bien entendu, à ce stade, d’ordre médical, et le tribunal désigne un expert.

Intérêt de la décision

Les faits sont simples et les principes correctement appliqués par le tribunal dans une démonstration limpide.

La reconnaissance des agressions verbales, des violences dans les relations professionnelles, etc., étant reconnue dans une abondante jurisprudence, l’on ne peut néanmoins que s’étonner du refus de l’autorité. Ce n’est pas – rappelons-le – sur la question de la preuve des faits, puisque ceux-ci n’étaient pas contestés, mais sur l’appréciation non étayée que ceux-ci n’étaient pas constitutifs d’un événement soudain au sens légal.

La jurisprudence de la Cour de cassation est pourtant claire et constante depuis actuellement plus de 30 ans (sans même évoquer l’arrêt du 26 mai 1967, qui avait fait abandonner dans la loi du 10 avril 1971 la condition d’anormalité).

La surcharge psychosociale est un phénomène de plus en plus pris en compte, actuellement, dans le cadre des mesures de sécurité au travail et, dès lors que celle-ci a pour origine un fait déterminé pouvant être épinglé dans le temps et dans l’espace et qu’une lésion a été constatée, la réparation légale peut intervenir.

L’on notera que le jugement rendu par le tribunal du travail admettant l’accident et désignant un expert est rendu plus de deux ans après les faits eux-mêmes. Ce délai – qui peut être préjudiciable à une bonne instruction de l’affaire – aurait pu être évité si l’administration avait fait une appréciation correcte des principes.


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