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Application de la procédure d’activation aux bénéficiaires d’allocations d’insertion présentant une inaptitude permanente de plus de 33 % : violation du principe de standstill ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 janvier 2017, R.G. 2015/AB/501

Mis en ligne le lundi 15 mai 2017


Cour du travail de Bruxelles, 18 janvier 2017, R.G. 2015/AB/501

Terra Laboris

Dans un arrêt du 18 janvier 2017, la cour du travail de Bruxelles a rendu un arrêt important sur la question de l’application aux bénéficiaires d’allocations d’insertion présentant une inaptitude permanente de plus de 33 % de la procédure dite « d’activation » de recherche d’emploi : pour la cour, il faut constater une régression sociale pour cette catégorie de chômeurs et celle-ci n’est pas dûment justifiée.

Les faits

M. N., né en novembre 1979, a bénéficié des allocations d’attente et, ensuite, d’insertion, après des études dans l’enseignement secondaire spécialisé (ayant débouché sur une qualification de tôlier-chaudronnier dans l’enseignement professionnel). Il est reconnu également dans le secteur des personnes handicapées, qui a conclu qu’il est dans les conditions pour bénéficier d’une allocation de remplacement de revenus, ainsi que d’une allocation d’intégration (9 points).

Dans le cadre du contrôle de la recherche active d’emploi, il est invité à solliciter une demande de dispense pour raison médicale et le médecin de l’ONEm admet qu’il y a inaptitude permanente de plus de 33%. L’intéressé est dès lors dispensé de suivre la procédure.

Cette situation date de 2006.

Suite à la modification de la réglementation survenue en 2012, l’ONEm demande en 2013 à l’intéressé d’attester de ses recherches d’emploi.

Il rappelle son handicap et donne des explications sur ses difficultés à exercer une activité professionnelle, soulignant qu’il ne remplit que très rarement les conditions figurant dans les offres d’emploi. Cette première évaluation débouche sur un constat d’efforts suffisants.

L’année suivante, une nouvelle demande d’information lui est adressée et la décision prise par le bureau de chômage suite à la communication de la réponse est qu’il n’y a pas eu d’efforts suffisants et adéquats pour s’insérer sur le marché du travail. L’ONEm se fonde à la fois sur l’insuffisance des preuves de recherche d’emploi pour la période à évaluer et sur la qualité des documents et des démarches (qui peut être améliorée).

Conformément à la procédure administrative, il est alors convoqué à un entretien d’évaluation définitive. Suite à l’évaluation, il lui est demandé d’établir qu’il y a dans son chef absence de capacité de gain, et ce via l’un des documents suivants : (i) décision du médecin-conseil de la mutuelle constatant que, vu l’absence de capacité de gain, il ne peut être pris en charge dans ce secteur, (ii) décision judiciaire aboutissant à la même conclusion ou (iii) attestation de reconnaissance d’un handicap du SPF compétent.

L’intéressé est en fin de compte exclu du bénéfice des allocations d’insertion professionnelle pendant 6 mois.

C’est contre cette décision, du 3 septembre 2014, qu’un recours est introduit devant le tribunal du travail.

La décision du tribunal

Par jugement du 24 avril 2015, le demandeur est rétabli dans son droit aux allocations. Le motif est que le demandeur ne pouvait être soumis à la procédure d’activation, et ce eu égard à l’article 23 de la Constitution, qui consacre le principe du standstill.

L’ONEm interjette appel.

La décision de la cour

La cour rappelle la procédure dite « d’activation », mise en place par l’arrêté royal du 4 juillet 2004 et relève qu’existe, dans le cadre de la réglementation initiale, une dispense de la procédure pour le chômeur qui présente une inaptitude permanente de plus de 33%.

Les choses ont été modifiées par l’arrêté royal du 20 juillet 2012 et celui du 23 juillet 2012, qui ont apporté des mesures nouvelles, pour les bénéficiaires d’allocations d’insertion.

La cour les reprend comme suit : (i) des évaluations tous les 6 mois, (ii) une phase écrite suivie éventuellement d’une phase orale, (iii) sans conclusion de contrats d’activation, (iv) débouchant sur une exclusion de 6 mois en cas d’évaluation négative et (v) avec réouverture possible du droit ensuite, à la condition que la nouvelle évaluation soit positive.

Parmi les mesures nouvelles, les chômeurs atteints d’une inaptitude permanente de plus de 33% ne sont plus dispensés de la procédure. La cour constate, vu l’examen des textes nouveaux (abrogation de l’article 59nonies, § 2, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991), qu’elle ne peut suivre le tribunal quant à sa conclusion, celui-ci ayant considéré qu’il y avait des mesures transitoires. La cour réforme dès lors le jugement sur cette conclusion.

Elle se livre ensuite à un rappel extrêmement circonstancié du principe de standstill, en droit. Avec force références à la doctrine (D. DUMONT, « Dégressivité accrue des allocations de chômage versus principe de standstill », J.T., 2013, p. 773), ainsi que de divers arrêts du Conseil d’Etat et de la Cour constitutionnelle, jurisprudence d’ailleurs commentée par la meilleure doctrine (I. HACHEZ, « Le principe de standstill : actualité et perspectives », R.C.J.B., 2012, p. 13). Elle renvoie également au « maître ouvrage » de ce dernier auteur (« Le principe de standstill dans le droit des droits fondamentaux : une irréversibilité relative », Bruxelles/Athènes/Baden-Baden, Bruylant/Sakoulas/Nomos Verlagsgesellschaft, coll. Droits fondamentaux, 2008).

Dans l’examen de ce principe, il faut respecter les diverses phases du contrôle de proportionnalité et notamment l’étape de nécessité : celle-ci consiste à vérifier s’il n’existe pas une mesure « moins régressive » susceptible d’atteindre le même objectif.

En l’espèce, la cour conclut qu’il y a des régressions très significatives et que, de surcroît, elles sont intervenues sans mesure transitoire spécifique. Le préambule des arrêtés royaux ne donne aucune justification de cette régression ;

L’ONEm fait valoir que le but était des motifs budgétaires et d’opportunité. La cour répond que, dans le cadre de son pouvoir marginal de contrôle des motifs d’intérêt général, elle doit être en mesure de vérifier en premier lieu la réalité des motifs invoqués. Or, ces motifs budgétaires ne ressortent pas. La réalité des motifs allégués n’est dès lors pas établie et, par ailleurs, l’objectif budgétaire n’apparaît pas clairement.

La cour retient qu’il n’a pas été envisagé d’autres mesures permettant d’atteindre le même objectif, mais tout en étant moins régressives.

Elle relève encore que pour les bénéficiaires d’allocations d’insertion qui présentent à la fois une inaptitude permanente de plus de 33% au sens de la réglementation chômage et une incapacité de plus de 66% au sens de la législation relative aux allocations aux personnes handicapées, l’on ne peut constater une aptitude au travail au sens de la législation AMI et de la réglementation chômage. L’éventuelle capacité résiduaire de ces personnes est en effet sans commune mesure avec celle des chômeurs ordinaires.

La cour renvoie encore à une instruction administrative du 1er août 2013, qui a recommandé de ne pas soumettre à la procédure de suivi certains chômeurs n’ayant pas de véritable capacité de gain.

En conclusion, il y a une violation du principe de standstill et, en conséquence, il y a lieu d’écarter les dispositions nouvelles et de considérer que la dispense dont bénéficiait l’intéressé est toujours d’application.

Intérêt de la décision

Le recours à la règle du standstill est de plus en plus fréquent, actuellement, eu égard à l’introduction de dispositions récentes tendant à réduire les droits d’assurés sociaux.

Dans la matière des allocations d’insertion, l’on peut relever que diverses décisions ont été rendues sur la suppression de celles-ci après 36 mois (voir notamment C. trav. Bruxelles, 15 septembre 2016, R.G. 2015/AB/251 et C. trav. Liège div. Neufchâteau, 10 février 2016, R.G. 2015/AU/48 – précédemment commentés).

L’arrêt rendu par la cour du travail de Bruxelles le 18 janvier 2017 applique les règles découlant de la garantie figurant à l’article 23 de la Constitution à une question également très controversée, qui porte sur l’obligation pour les chômeurs présentant une inaptitude au travail permanente de plus de 33% de suivre la procédure dite « d’activation ».

L’on soulignera encore un jugement récent du Tribunal du travail de Liège (Trib. trav. Liège, div. Liège, 17 janvier 2017, R.G. 16/3.611/A – précédemment commenté), qui a condamné les mesures de régression sociale introduites par la loi du 5 mai 2014 et l’arrêté royal d’exécution du 3 juillet 2014 en matière de pension de survie.


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