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Preuve du paiement de chèques-repas (papier)

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 23 décembre 2016, R.G. 2015/AB/53

Mis en ligne le jeudi 15 juin 2017


Cour du travail de Bruxelles, 23 décembre 2016, R.G. 2015/AB/53

Terra Laboris

Dans un arrêt rendu le 23 décembre 2016, la Cour du travail de Bruxelles rappelle les règles en matière de preuve de l’exécution d’une obligation à propos de chèques-repas annoncés dans le contrat de travail mais dont la délivrance est contestée par le travailleur.

Les faits

Un ouvrier engagé par une société du secteur privé en 2007 démissionne environ deux ans plus tard.

Son organisation syndicale interpelle l’employeur, quelques mois après la rupture, au motif que le contrat de travail annonçait le paiement de chèques-repas et que ceux-ci n’auraient pas été délivrés pendant toute la durée du contrat de travail.

La société répond que l’intéressé a perçu ses tickets-repas comme tous les autres membres du personnel. Elle fait également valoir qu’il n’a jamais protesté contre une situation qui ne serait pas conforme aux engagements contractuels.

Sommée de communiquer la preuve de la remise de ces chèques-repas, la société envoie des attestations de deux administrateurs et de deux travailleurs, confirmant que les chèques ont été payés et qu’ils n’ont jamais entendu l’intéressé se plaindre du fait qu’il n’aurait pas reçu les siens.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles, en paiement d’une somme équivalant à la perte subie du fait du non-paiement des chèques-repas pendant la durée d’occupation.

La société estime que cette action est téméraire et vexatoire et elle introduit une demande reconventionnelle de 500 euros.

Par jugement du 19 novembre 2014, le tribunal fait droit à la demande du travailleur.

Sur appel de la société, la cour du travail est saisie et rend l’arrêt annoté.

La décision de la cour

La première question est de savoir si les chèques-repas sont de la rémunération. Si tel est le cas, la preuve de la délivrance des chèques-repas doit répondre aux règles de preuve en matière de paiement de la rémunération. L’article 5, § 1er, de la loi du 12 avril 1965 impose en effet, lorsque la rémunération est payée de la main à la main, de soumettre une quittance de paiement à la signature du travailleur. C’est l’article 19bis de l’arrêté royal du 29 novembre 1969 pris en exécution de la loi du 27 juin 1969 révisant l’arrêté royal du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs qui fixe le principe de la nature rémunératoire de ceux-ci, des exceptions étant cependant prévues, à la condition qu’elles répondent à des conditions simultanément remplies, la cour relevant qu’actuellement, seuls les chèques-repas électroniques sont concernés – ce qui n’était pas le cas à l’époque des faits.

Il n’y a ainsi pas rémunération si (i) leur octroi est prévu par une C.C.T. sectorielle, d’entreprise ou une convention individuelle, (ii) le nombre octroyé est égal au nombre de journées au cours desquelles le travailleur a fourni un travail effectif normal, (iii) l’intervention de l’employeur n’est pas supérieure à 5,91 euros par chèque-repas, (iv) la quote-part du travailleur est d’un minimum de 1,09 euros, (v) le titre est délivré au nom du travailleur et (vi) sa validité est limitée à 3 mois, mention qui doit être reprise sur celui-ci, étant en outre qu’il ne peut être utilisé qu’en paiement d’un repas ou d’achat d’aliments de consommation.

Vu les éléments produits – et ceux non produits – par la société, le tribunal a conclu au caractère rémunératoire.

La cour constate qu’en appel, trois spécimens de ces chèques-repas de l’époque sont déposés, s’agissant de « tickets restaurant ». Les parties étant en désaccord quant à la question de savoir qui doit prouver quoi à propos de la délivrance de ces tickets, la cour pose la question de la charge de la preuve. En vertu de l’article 1315 du Code civil, celui qui réclame l’exécution d’une obligation doit la prouver et celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation.

La cour renvoie encore à d’autres dispositions applicables, étant l’article 870 du Code judiciaire, en vertu duquel chacun a la charge de la preuve des faits qu’il allègue, l’article 1341 du Code civil, qui n’autorise pas la preuve par témoin contre et outre le contenu aux actes s’il s’agit d’une somme ou valeur moindre de 375 euros, ainsi enfin que l’article 12 de la loi du 3 juillet 1978, qui, lui, admet la preuve testimoniale quelle que soit la valeur du litige, à défaut d’écrit.

En l’occurrence, le travailleur prouve l’existence de l’obligation dont il réclame l’exécution. Il appartient donc à la société de prouver qu’elle s’est acquittée de son obligation. L’article 5, § 1er, alinéa 2, de la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération ne s’appliquant pas, la cour vérifie si la société apporte suffisamment d’éléments de preuve permettant d’établir la remise de ceux-ci. Elle produit des attestations de deux de ses administrateurs délégués, ainsi que de deux travailleurs, le premier entré en service après la démission de l’intimé et un autre, qui est toujours au service de la société en qualité d’homme à tout faire.

Confirmant la conclusion du tribunal, la cour estime que la situation des personnes en cause n’est pas de nature à conférer à leurs déclarations une force probante suffisante. La cour rejette également une déclaration du secrétariat social, selon lequel il serait de pratique courante dans les entreprises de ne pas demander un accusé de réception pour la délivrance des chèques-repas. Pour la cour, ceci ne constitue pas la preuve d’une remise effective, le secrétariat social faisant état d’une simple pratique, qui, au demeurant, n’est pas établie.

La cour rejette, enfin, que les factures d’achat des tickets restaurant et le relevé des prestations, ainsi que les journaux de paie, puissent établir cette remise effective. Quant au silence du travailleur, celui-ci ne vaut pas renonciation.

Enfin, la société fait une offre de preuve, que la cour rejette encore, dans la mesure où le fait côté à preuve ne permet pas de prouver la remise effective des titres.

La cour confirme dès lors le jugement, condamnant la société au paiement de la contre-valeur.

Intérêt de la décision

Depuis le passage aux chèques-repas électroniques, en octobre 2015, les chèques-repas sous format papier ne sont plus délivrés.

L’enseignement de la cour dans l’arrêt annoté concerne bien évidemment une période antérieure.

Les principes que la cour dégage en matière de preuve sont cependant très utiles, dans la mesure où, l’article 5, § 1er, alinéa 2, de la loi du 12 avril 1965 sur la protection de la rémunération ne trouvant pas à s’appliquer, la preuve peut être rapportée par toutes voies de droit.

L’on notera que la cour a rejeté que le silence du travailleur pendant la durée de l’occupation puisse impliquer qu’il ait renoncé à se prévaloir du non-respect de l’obligation contractuelle ou puisse signifier qu’il avait effectivement reçu les chèques-repas en cause.

Dans le système actuel, où un « compte chèques-repas » est établi auprès de la société émettrice, ce type de difficulté ne devrait plus se présenter.


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