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AMI : devoir d’information de l’organisme assureur

Commentaire de C. trav. Mons, 14 décembre 2016, R.G. 2013/AM/435

Mis en ligne le vendredi 28 juillet 2017


Cour du travail de Mons, 14 décembre 2016, R.G. 2013/AM/435

Terra Laboris

Par arrêt du 14 décembre 2016, la Cour du travail de Mons revient sur la délicate question de la fraude et/ou de manœuvres frauduleuses dans le cadre de prestations sociales (A.M.I.) perçues indûment, et ce eu égard aux obligations mises par la Charte de l’assuré social à charge des institutions de sécurité sociale.

Les faits

Les faits remontent au début des années 2000. Un affilié d’un organisme assureur avait repris le travail sans en informer celui-ci. L’I.N.A.M.I. retint dans son chef une intention frauduleuse et, eu égard au délai de prescription quinquennal, demanda à ce dernier de rembourser un indu de l’ordre de 57.500 euros. L’intéressé avait repris le travail pour une période de six semaines dans le courant de l’année 2000, période correspondant à l’exécution de son préavis. Ensuite, il avait bénéficié d’une prépension conventionnelle jusque fin décembre 2002. En janvier 2003, l’ONEm lui notifia de son côté une décision d’exclusion, vu la perception d’une indemnité dans le régime A.M.I., et de récupération des allocations perçues indûment.

Un recours fut introduit contre la décision de l’organisme assureur. Celui-ci fit une demande reconventionnelle en vue de la récupération de l’indu.

Un an et demi plus tard environ, l’intéressé décéda. L’organisme assureur cita l’épouse en reprise d’instance (quoique celle-ci ait renoncé à la succession). Le tribunal du travail fit droit à la demande de remboursement pour la totalité.

Appel fut interjeté.

La décision de la cour

La cour a rendu un premier arrêt en date du 13 janvier 2016, ordonnant la réouverture des débats.

Elle statue, dans l’arrêt du 14 décembre 2016, sur la légalité de la décision de récupération d’abord, sur les règles de prescription ensuite et, enfin, sur la sanction d’une faute en la matière.

Sur la premier point, il n’est pas contesté qu’il y a eu reprise d’activité salariée sans autorisation du médecin-conseil et sans que l’organisme assureur n’en soit informé. L’appelante invoquant un manquement à l’article 3 de la Charte (absence d’information par l’organisme assureur et poursuite du paiement des indemnités d’incapacité de travail), la cour rappelle que les principes de légitime confiance ou de bonne administration ne peuvent faire obstacle aux décisions de récupération d’indu qui sont la conséquence de la violation d’une disposition d’ordre public, en l’occurrence la reprise d’une activité sans autorisation du médecin-conseil.

Ces principes ne peuvent être invoqués contre une règle de droit, le principe de légalité prévalant sur la sécurité et la confiance. La Charte contient par ailleurs un article 17, qui fait, dans certaines conditions, obstacle à la récupération de l’indu, mais ceci suppose la prise d’une « nouvelle décision » et non l’hypothèse de paiements effectués par erreur alors que la décision d’octroi est correcte et qu’elle ne nécessite pas d’être revue.

La cour rappelle également qu’une condition supplémentaire figure à l’article 17, étant que la récupération de l’indu avec effet rétroactif est néanmoins autorisée si le bénéficiaire savait ou devait savoir que le montant versé n’était pas dû.

Il n’y a dès lors pas de décision originaire erronée, mais en l’occurrence une modification dans la situation de l’intéressé, qui est son fait à lui.

Rappelant la doctrine de B. GRAULICH et P. PALSTERMAN (B. GRAULICH et P. PALSTERMAN, Les droits et obligations du chômeur, Kluwer, 2003, p. 92), la cour relève qu’un assuré social ne peut se défendre en faisant valoir que l’administration était de toute façon indirectement au courant de la modification de sa situation (autrement que par le biais d’une déclaration spécifique). En outre, à partir du moment où le travail a été repris et où, ensuite, l’intéressé a perçu des allocations de chômage, il ne pouvait légitimement croire qu’il maintenait son droit aux prestations dans le secteur A.M.I. Le fait que la situation ait duré plusieurs années ne change rien à la question et ne peut en tout cas avoir pour conséquence que les sommes qui lui ont été versées lui resteraient acquises.

L’appelante faisant également référence au contrôle de proportionnalité de la Cr.E.D.H., la cour répond que celui-ci ne s’applique que si aucun grief ne peut être reproché à la personne dont les droits sont affectés par la rectification.

Pour ce qui est de la prescription, si les termes « fraude » et « manœuvres frauduleuses » figurant à l’article 174, alinéa 1er, 5° et 6°, et alinéa 3, de la loi A.M.I. ne sont pas précisés, il faut retenir que les manœuvres existent lorsque la personne a une volonté de tromper en vue d’obtenir un avantage auquel elle n’a pas droit, ce qui ne s’assimile pas à la simple méconnaissance de la loi ou au seul fait de ne pas procéder à une déclaration, même imposée par la loi. La preuve de la fraude appartient à l’institution de sécurité sociale et, sur ce point, la cour rappelle que la réouverture des débats avait précisément pour objet de permettre à l’organisme assureur d’apporter d’autres éléments permettant d’établir celle-ci. Rien de neuf n’est cependant déposé et la cour conclut à l’application du délai de prescription de deux ans, ramenant ainsi l’indu à un montant de l’ordre de 23.500 euros.

Elle émende dès lors le jugement sur ce point.

Enfin, elle pose la question de la réparation d’une faute que commettrait l’institution de sécurité sociale au regard du principe de légitime confiance. La même solution que celle-ci-dessus doit être retenue, étant que ce principe ne peut permettre de déroger à une législation d’ordre public. Reste cependant ouverte la voie de l’action en dommages et intérêts. Se pose ici encore une question tirée des obligations figurant dans la Charte, étant celle de l’article 3. La cour rappelle que celui-ci suppose un comportement réactif et proactif dans le chef des institutions, étant que les assurés sociaux doivent pouvoir obtenir les prestations sociales auxquelles ils ont légalement droit et que, lorsqu’elles reçoivent une information qui a une influence sur le maintien ou l’étendue des droits d’une personne aux prestations sociales, elles doivent réagir et l’informer sur les démarches à faire ou sur les obligations à respecter.

Il est en l’espèce reproché à l’organisme assureur de ne pas avoir réagi à la réception des bons de cotisations attestant de la reprise du travail. Ceci est certes une faute selon la cour. Se pose cependant la question du lien de causalité entre le manquement à un devoir d’information et le dommage. Sur cette question, la doctrine (J.-L. FAGNART, La causalité, Kluwer, 2009, p. 133) considère que le demandeur doit établir notamment que, s’il avait reçu l’information dont il avait besoin, il en aurait profité et aurait adopté un comportement autre que celui qui fut le sien.

La cour ajoute qu’en outre le dommage doit être dans un lien de causalité certain avec la faute. Si ce dernier ne peut être établi avec certitude, l’on ne peut se contenter d’une simple vraisemblance – même très forte. L’appelante n’établit pas que, sans la faute de l’organisme assureur, son époux aurait modifié son comportement. Il n’y a dès lors pas lieu à réparation.

Intérêt de la décision

A deux reprises dans l’arrêt, la cour du travail rappelle la primauté du principe de légalité sur les principes généraux de droit. Ceux-ci ne peuvent être invoqués contre des dispositions d’ordre public précisant les conditions de restitution de l’indu.

L’arrêt fait également un renvoi très judicieux à la doctrine (B. GRAULICH et P. PALSTERMAN ci-dessus), qui a bien rappelé que l’assuré social ne peut se défendre en faisant valoir que l’administration était « de toute façon » indirectement au courant de sa situation, même s’il ne l’avait pas déclarée selon les formes prévues par le secteur de la sécurité sociale dont il dépendait. Il y rappelle que la question se pose par analogie en matière de chômage, où le chômeur doit apporter des mentions spécifiques sur sa carte de pointage, adresser une lettre au bureau régional ou encore faire une déclaration sur la modification de sa composition de ménage (exemples donnés par B. GRAULICH et P. PALSTERMAN).

En fin de compte, la décision du tribunal est pleinement confirmée, sauf en ce qui concerne la règle de prescription, pour laquelle l’organisme assureur n’a pas apporté la preuve qui lui incombe, étant celle de l’existence de manœuvres frauduleuses. Le délai de prescription a dès lors été raccourci.


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