Terralaboris asbl

Non-paiement de l’indemnité de rupture due : quel droit aux allocations de chômage ?

Commentaire de C. trav. Liège, sect. Namur, 7 mars 2006, R.G. 7.616/04

Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008


Cour du travail de Liège, section Namur, 7 mars 2006, R.G. 7.616/04

Terra Laboris asbl – Sophie Remouchamps

En principe, le travailleur n’a pas droit aux allocations de chômage pendant la période pendant laquelle le droit à une indemnité de rupture lui a été reconnu. La cour atténue ce principe en se référant à la réglementation qui permet au travailleur d’obtenir, à titre provisoire et à certaines conditions, les allocations de chômage lorsqu’il n’a pas perçu, en out ou en partie, l’indemnité à laquelle il a droit.

Les faits

Une travailleuse avait été occupée au sein d’une asbl dans le cadre d’un contrat à durée déterminée de six mois. Il est mis fin à l’occupation avant l’échéance du terme convenu, en raison de la mise en liquidation de l’asbl. La travailleuse a introduit une déclaration de créance auprès du liquidateur et une demande d’indemnisation auprès du Fonds de Fermeture.

L’ONEm lui octroie les allocations de chômage à titre provisoire, sur la base de l’article 47 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.

Une procédure est par ailleurs introduite auprès du tribunal du travail de Charleroi, contre l’asbl en liquidation, en vue de l’obtention d’une indemnité compensatoire de préavis de cinq mois (c’est-à-dire le terme restant à courir du contrat à durée déterminée).

Le tribunal du travail a fait droit à cette demande mais il s’est avéré qu’aucune suite n’avait été donnée par l’asbl en liquidation, qui n’a donc pas payé l’indemnité compensatoire de préavis consacrée par la décision judiciaire rendue en matière de contrat de travail.

A la suite du prononcé de cette décision, l’ONEm a exclu la travailleuse du bénéfice des allocations de chômage pour la période couverte par l’indemnité compensatoire de préavis allouée, au motif que le droit à une indemnité de rupture a été reconnu.

La travailleuse a introduit un recours à l’encontre de cette décision, se fondant sur l’absence d’exécution de la décision judiciaire et dès lors la non perception de l’indemnité compensatoire de préavis.

La décision du tribunal

Le tribunal a confirmé la décision administrative.

La décision de la cour

La cour relève que la réglementation en vigueur avant le 1er janvier 1989 ne prévoyait pas l’octroi d’allocations à titre provisoire en faveur du chômeur qui était en droit d’obtenir une indemnité compensatoire de préavis à charge de son employeur. Elle signale l’existence d’une pratique administrative, consistant à accorder les allocations et à les récupérer lorsque le chômeur se voit reconnaître le droit à l’indemnité.

La cour relève par ailleurs qu’à cette époque, la jurisprudence et la doctrine étaient bien établies en ce sens que le simple droit à une indemnité compensatoire de préavis suffisait à considérer que le chômeur n’était pas privé de rémunération sans qu’il soit requis qu’il l’ait effectivement perçue.

A partir du 1er janvier 1989, la réglementation a été modifiée et prévoit la possibilité pour le chômeur, qui n’a pas reçu ou qui n’a reçu qu’en partie l’indemnité ou les dommages et intérêts auxquels il a éventuellement droit du fait de la rupture de son contrat, de percevoir, à titre provisoire, les allocations pendant la période qui serait couverte par ces indemnités s’il satisfait à quatre conditions (article 47 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991), étant de s’engager à réclamer à son employeur le paiement de l’indemnité ou des dommages et intérêts, de s’engager à rembourser les allocations perçues à titre provisoire dès l’obtention de l’indemnité ou des dommages et intérêts, de s’engager à informer l’ONEm de toute reconnaissance de dette ou de toute décision judiciaire rendue et enfin de céder à l’ONEm, à concurrence du montant des allocations accordées à titre provisionnel, l’indemnité ou les dommages et intérêts auxquels le droit lui serait reconnu.

La cour du travail évoque la jurisprudence de la Cour de Cassation, selon laquelle le travailleur n’a pas droit aux allocations de chômage pendant la période durant laquelle il peut prétendre à une indemnité de rupture à charge de l’employeur, règle qui s’applique aussi lorsque cette indemnité n’a pas été intégralement payée. En conséquence, le fait que l’indemnité ou les dommages et intérêts n’aient pas été effectivement versés est indifférent, l’indu existe dès que le droit est reconnu et le comité de gestion doit se prononcer sur la récupération.

Cela étant dit, la cour annonce ne pas partager cette analyse. Elle estime en effet que lorsque le travailleur n’a rien reçu et même lorsqu’il n’a reçu qu’une partie des sommes qui lui reviennent, le texte applicable de la réglementation ne permet en aucun cas la récupération. A cet égard, la cour relève que s’agissant d’une réglementation d’ordre public, le texte de la loi ne peut être interprété même en examinant la volonté explicite ou non du législateur.

Pour la cour, pour obtenir mais également conserver le droit aux allocations provisoires, il faut mais il suffit de remplir les quatre conditions mises par la loi, sans omettre de diligenter et de poursuivre une action contre l’employeur.

Ainsi, dès lors que le travailleur respecte les quatre conditions, il conserve le bénéfice des allocations de chômage. La cour relève également que la réglementation aurait conféré un droit de subrogation à l’ONEm.

En l’espèce, la cour relève que le jugement n’a pas encore été exécuté et que le liquidateur a précisé pouvoir effectuer un paiement partiel des créances des travailleurs dans la mesure des possibilités de l’actif de l’asbl. La cour estime en conséquence que la travailleuse a rempli, pour obtenir le droit aux allocations provisoires, les quatre conditions mises par la loi, de sorte qu’elle est en droit de continuer à en bénéficier tant que la liquidation n’opère aucun versement en sa faveur et dans les limites de la subrogation.

Elle reçoit dès lors l’appel du travailleur et annule la décision administrative querellée.

L’intérêt de la décision

L’une des conditions d’octroi au bénéfice des allocations de chômage est d’être privé de rémunération par suite de circonstances indépendantes de sa volonté. L’indemnité à laquelle le travailleur peut prétendre du fait de la rupture du contrat de travail est considérée comme une rémunération (article 46, §1er, 5° de l’arrêté royal du 25 novembre 1991).

Ainsi que le relèvent B. GRAULICH et P. PALSTERMAN, ce qui fait obstacle au droit aux allocations, c’est le droit à la rémunération et non sa perception effective, de sorte que les allocations seront refusées même en l’absence de paiement effectif (B. GRAULICH et P. PALSTERMAN, Les droits et obligations du chômeur, Etude pratique de droit social, Kluwer, 2003, p. 81).

L’article 47 de l’arrêté royal précité prévoit une atténuation à ce principe et permet au travailleur d’obtenir, à titre provisoire, les allocations de chômage s’il n’a pas perçu en tout ou en partie l’indemnité ou les dommages et intérêts auxquels il a éventuellement droit.

Il ne semble pas, contrairement à l’interprétation faite par la cour du travail, que cette disposition ait pour objectif de contrevenir à la règle selon laquelle c’est le droit à la rémunération qui est exclusif des allocations de chômage et non la perception effective. Il s’agit en réalité d’une disposition qui permet au travailleur d’obtenir les allocations de chômage dans l’attente qu’une décision soit rendue sur son droit à la rémunération (en l’espèce, sur le droit à l’indemnité de rupture).

L’on doit cependant constater, avec la cour du travail, que le texte de l’article 47 ne parle de récupération que lorsque le travailleur n’a pas introduit dans l’année qui suit la cessation de son contrat de travail une action en justice (il s’agit du délai de prescription prévu par l’article 15 de la loi du 3 juillet 1978).

Par ailleurs, l’article 47, alinéa 1er, 2° impose au travailleur de rembourser les allocations reçues à titre provisoire « dès l’obtention de l’indemnité ou des dommages et intérêts », ce qui tenterait à indiquer que le remboursement des allocations serait conditionné à l’obtention effective de l’indemnité ou des dommages et intérêts.

Cependant, la règle étant la privation du droit à la rémunération, dont l’indemnité de rupture fait partie, l’on peut difficilement suivre la cour du travail dans son analyse, qui a pourtant le mérite de régler la situation du travailleur contraint de rembourser les allocations de chômage alors qu’il n’a pas perçu la rémunération y correspondant.

Il y a enfin lieu de noter qu’en l’espèce, aucune intervention du Fonds de Fermeture ne pourrait intervenir, s’agissant d’une asbl, ce qui est manifestement regrettable dans le cas d’espèce.


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