Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Marche-en-Famenne), 13 avril 2017, R.G. 16/463/A
Mis en ligne le vendredi 15 septembre 2017
Tribunal du travail de Liège, division Marche-en-Famenne, 13 avril 2017, R.G. 16/463/A
Terra Laboris
Dans un jugement du 13 avril 2017, le Tribunal du travail de Liège (division Marche-en-Famenne) confirme la position de l’ONEm selon laquelle un séjour/stage effectué à l’étranger en vue de parfaire des connaissances linguistiques avant l’entame d’études universitaires ne peut pas être retenu comme un stage au sens de l’article 36, § 2, 5°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, en l’absence de contenu formatif à visée professionnelle.
Les faits
Après la fin de ses études secondaires, une étudiante est inscrite comme demandeur d’emploi depuis septembre 2016. Elle consacre cette année à l’apprentissage de l’anglais, en vue de sa préparation pour les études universitaires (ingénieur).
Elle projette dès lors de faire un séjour en Irlande pendant 3 mois environ et, le reste de l’année, en Nouvelle-Zélande. Elle introduit dès lors une demande d’assimilation auprès de l’ONEm, conformément à l’article 36, § 2, 5°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.
Le projet vise à la fois des cours de langue, un programme de « chantier nature » et un travail dans le cadre de programmes culturels, éducatifs et linguistiques pour jeunes.
L’ONEm accepte la première période mais non la seconde. La décision est prise en septembre 2016.
Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège le 3 octobre 2016. Les parties plaident le 12 janvier 2017 et la cause est prise en délibéré suite à l’avis écrit du Ministère public, avis suite auquel les répliques des parties devaient encore intervenir.
Position des parties
La demanderesse plaide l’importance de l’acquis de la langue anglaise, eu égard à son parcours scolaire ainsi qu’aux cours intensifs suivis en Irlande et aux exigences des études d’ingénieur, dont la connaissance de la langue anglaise. Elle vise également des éléments touchant l’intégration plus générale dans le monde du travail, en ce sens que le stage projeté lui accorderait davantage d’initiative, d’autonomie, de débrouillardise, etc. Elle voit dans l’expérience un voyage formatif, pouvant être assimilé au stage d’insertion.
Pour l’ONEm, cependant, il s’agit davantage d’un projet personnel sans lien direct avec les études et qui ne facilitera pas l’intégration de l’intéressée dans le marché du travail. Il faut que la formation visée soit en adéquation avec le parcours scolaire. S’il y a par contre du travail effectué pendant ce stage, cette période pourrait être prise en compte pour le calcul du stage d’insertion.
Le Ministère public, dans son avis écrit, rappelle que les critères de l’article 94 ne sont pas limitatifs et que le directeur de l’ONEm a ici une compétence discrétionnaire d’accepter ou de refuser l’assimilation. Le juge dispose dès lors d’un contrôle de légalité mais non de substitution. La partie demanderesse ayant encore fait valoir que la demande d’assimilation tend également au maintien du bénéfice des allocations familiales, Monsieur l’Auditeur retient que ceci est sans effet sur l’application des dispositions en matière de chômage.
Cependant, il est d’avis que tout stage ou formation supplémentaire suivi(e) par un jeune de 18 ans après ses études supérieures générales, qui n’a dès lors pas un accès direct au marché du travail, pourra augmenter ses chances d’insertion. Son avis est en conséquence favorable, l’Auditeur considérant qu’il y a erreur manifeste d’appréciation dans le chef du directeur de l’ONEm, du fait du refus de l’assimilation.
Suite à cet avis, les parties ont répliqué, l’ONEm renvoyant à la jurisprudence de la Cour du travail de Liège, selon laquelle l’assimilation n’est autorisée que si le jeune travailleur suit un stage qui permet de compléter ses qualifications professionnelles et ses chances de trouver un travail en suivant une formation qu’il n’aurait pu recevoir en Belgique.
La décision du tribunal
Le tribunal examine l’article 36, § 2, 5°, de l’arrêté royal, qui prévoit de prendre en compte pour l’accomplissement du stage d’insertion notamment des journées situées pendant les séjours de stage à l’étranger pour suivre un stage qui accroît les possibilités pour le chômeur de s’insérer sur le marché du travail. Le stage doit être accepté par le directeur et celui-ci est tenu de prendre en compte les critères y relatifs. Il s’agit d’éléments susceptibles de favoriser l’intégration, tenu compte de l’âge, des études suivies, de l’aptitude du jeune, de son passé professionnel, de la nature du chômage, ainsi que de la nature de la formation et des possibilités que celle-ci offre au chômeur. Des précisions concernent les stages ou formations à l’étranger, étant que, pour ceux-ci, s’ajoute l’impossibilité de pouvoir suivre ceux-ci en Belgique, ou encore des études comparables. En outre, la durée est limitée en principe à 3 mois. Il s’agit de permettre au jeune d’accroître ses possibilités de s’insérer sur le marché de l’emploi.
Le tribunal considère que tel n’est pas le but poursuivi en l’espèce, dès lors que l’intéressée annonce qu’elle reprendrait des cours dès la rentrée scolaire suivante et, par ailleurs, le tribunal retient que l’intéressée a motivé sa demande par rapport à la question des allocations familiales. Le tribunal ajoute que de nombreux étudiants effectuent de tels stages à l’étranger après les études secondaires et que, si la notion de « stage » n’est pas définie dans la réglementation, il doit s’agir d’un programme à contenu formatif à visée professionnelle durant le séjour à l’étranger. L’on ne peut considérer que constitue un tel programme formatif le fait d’acquérir de nouvelles connaissances linguistiques, le tribunal précisant que ce n’est certes pas la seule façon de le faire.
Par contre, s’il y a travail dans le cadre de ce projet, celui-ci pourra être pris en compte pour le stage d’insertion au même titre que s’il avait été presté en Belgique. Le tribunal s’écarte de l’avis de l’Auditeur en ce qui concerne l’acquis valorisable suite à une telle expérience, considérant qu’elle ne peut se réduire au séjour lui-même.
Il confirme dès lors la position de l’ONEm, dans le cadre de son contrôle de légalité.
Intérêt de la décision
Ce cas d’espèce est illustratif de la situation des étudiants par rapport à leurs droits en matière d’allocations d’insertion professionnelle.
Entre les études secondaires supérieures (qui permettent l’ouverture du droit, via le début du stage d’insertion) et les études supérieures (universitaires ou non), se situe bien souvent un « break » dans les études, de nombreuses possibilités étant organisées dans le cadre de projets internationaux de formations pour jeunes. En l’occurrence, il s’agit d’un projet « job and travel », dont le tribunal relève qu’il ne peut – même si à l’évidence il permettra au jeune d’acquérir une plus grande autonomie – répondre à l’objectif de l’article 36, § 2, 5°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, étant que, selon le jugement, même si la notion de « stage » n’est pas définie, il doit s’agir d’un programme avec un contenu formatif et celui-ci doit être à visée professionnelle. Se pose encore la condition de l’impossibilité d’effectuer ce stage en Belgique.
La seule acquisition de compétences linguistiques via un long séjour à l’étranger n’est dès lors pas retenue.
A bon entendeur…