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Homologation du volet social d’un transfert sous autorité de justice : étendue du contrôle judiciaire

Commentaire de Trib. trav. Hainaut (div. Charleroi), 9 mai 2017, R.G. 17/2/K

Mis en ligne le jeudi 26 octobre 2017


Tribunal du travail du Hainaut, division de Charleroi, 9 mai 2017, R.G. 17/2/K

Terra Laboris

Par jugement du 9 mai 2017, le Tribunal du travail du Hainaut, division Charleroi, a refusé d’homologuer les aspects sociaux d’un projet de transfert d’entreprise sous autorité de justice, dans le cadre de la procédure de réorganisation judiciaire mise sur pied par la loi du 31 janvier 2009 et la convention collective de travail n° 102 du 5 octobre 2011.

Les faits

Une société de prestation de services dans l’informatique faisant partie d’un groupe plus large exerce son activité dans quatre branches distinctes et emploie 41 personnes. Elle n’a que très peu d’actifs.

Elle a été admise à la procédure de réorganisation judiciaire par transfert d’entreprise sous autorité de justice. Elle est dans la phase de sursis et a reçu trois offres de reprises d’autres sociétés du groupe. Sur l’ensemble des travailleurs en cause, plus de la moitié seraient repris, mais pas 11 d’entre eux, dans la mesure où la branche qui les occupe n’a pas trouvé de repreneur.

Le Tribunal du travail du Hainaut est saisi de la demande d’homologation des aspects sociaux du transfert en application de l’article 61, § 5, de la loi du 31 janvier 2009.

La décision du tribunal

Le tribunal examine le dossier produit par le mandataire de justice et entend celui-ci, de même que les représentants du personnel présents et le conseil des quatre sociétés impliquées dans le projet de transfert.

Il est exposé par la représentante du personnel que la société en PRJ a en réalité été créée à dessein pour être insolvable et que la majorité des représentants du personnel du groupe s’y trouvent. Il est souligné également, et ce suite aux discussions en conseil d’entreprise, que le groupe allait faire des propositions de reprise et que les travailleurs qui seraient repris verraient leurs conditions de travail modifiées, la partie non reprise étant mise en faillite et les travailleurs étant dirigés vers le Fonds d’indemnisation des travailleurs licenciés en cas de fermeture d’entreprise.

Il est plaidé par cette représentante qu’il n’y a, en réalité, pas réellement de changement d’employeur et que les conventions de transfert sont non seulement discriminatoires envers les représentants du personnel (qui ne sont majoritairement pas repris), mais qu’en plus, elles sont illégales en ce qu’elles prévoient une renonciation par les travailleurs à une partie de la durée de leur préavis légal.

Le tribunal examine dès lors ces objections, s’attachant en premier lieu à la notion de changement d’employeur au sens de la convention collective n° 102 du 5 octobre 2011 concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de changement d’employeur du fait d’une réorganisation judiciaire par transfert sous autorité de justice. Celle-ci est applicable à tout changement d’employeur résultant d’un transfert sous autorité de justice de tout ou partie de l’entreprise ou de ses activités, conformément aux articles 59 à 70 de la loi du 31 janvier 2009.

Pour le tribunal, les sociétés du même groupe constituent une seule et même unité technique d’exploitation pour les élections sociales, étant également constaté que les administrateurs sont essentiellement les mêmes. Il relève également qu’il semble que les travailleurs soient transférés d’une entité juridique à une autre selon les nécessités stratégiques de l’ensemble du groupe. Cette situation n’est cependant pas en contradiction avec les conditions légales, puisqu’est exigé le seul changement d’employeur en tant qu’entité juridique. En outre, l’hypothèse de l’auto-cession est prévue à l’article 62, alinéa 4, de la loi, à la condition qu’il y ait mise en concurrence des offrants.

Le tribunal rappelle qu’en doctrine, l’auto-cession a toujours été admise dans son principe si le mécanisme est exempt de fraude. Constituent de bons paramètres le prix obtenu et le maintien d’une partie importante de l’emploi (le tribunal renvoyant à la doctrine de V. DE CALLATAY et P. DELLA FAILLE, « La loi sur la continuité des entreprises, recueil de législation, doctrine et jurisprudence », Anthémis, 2003, pp. 457 et 458, ainsi que de J.-P. et V. RENARD, N. OUCHINSKY, W. DAVID, « La loi relative à la continuité des entreprises après la réforme de 2013 : mode d’emploi », Wolters-Kluwer, 2014, p. 385). Il appartient au tribunal de vérifier ces éléments.

En l’espèce, il constate que 18 des 37 emplois sont maintenus et que les cessions ont été décidées pour la somme de 1 euro. L’on ne peut donc se fonder sur l’absence de changement d’employeur pour refuser l’homologation.

Il en vient ensuite aux dispositions des conventions de transfert, examinant d’abord les dérogations aux délais de préavis légaux, ainsi que le caractère discriminatoire des travailleurs repris, au préjudice des représentants du personnel.

Sur la question des préavis, le tribunal constate la réalité de la réduction de la durée du délai. Ainsi, à titre d’exemple, un travailleur dont la durée de préavis aurait été de 20 mois et 13 semaines voit celle-ci fixée à… 12 mois. Les dérogations à la durée légale sont constatées pour 9 travailleurs (les plus anciens), la réduction étant qualifiée de « très substantielle ». Cherchant à quoi correspond le nouveau délai, le tribunal note – sur la suggestion des représentants des travailleurs – qu’il s’agirait du montant que les intéressés percevraient du Fonds de Fermeture s’il y avait faillite.

L’employeur fait valoir par ailleurs qu’il a maintenu une « date d’ancienneté », date dont le tribunal relève qu’elle ne vaut que pour certains points, dont le barème salarial, mais qu’elle ne correspond ni à la durée du préavis ni aux jours de congé acquis.

Par ailleurs, les travailleurs se sont vu notifier un document selon lequel ceux qui sont repris le sont aux mêmes conditions de rémunération, d’ancienneté, de commission paritaire et avec les mêmes avantages que ceux qui étaient octroyés par la société en PRJ, chose dont le tribunal relève qu’elle est inexacte vu ce qui précède.

Sur ces modifications, les sociétés repreneuses confirment à la fois le changement de la date d’ancienneté, mais renvoient à l’article 11 de la C.C.T. n° 102, qui autorise les modifications au contrat de travail. Cette disposition soumet l’existence de celles-ci pour autant qu’elles soient liées principalement à des raisons techniques, économiques ou organisationnelles. En modifiant la date de l’ancienneté (ce qui serait autorisé), il y aurait nécessairement, pour elles, un préavis plus court, mais non une réduction du préavis légal.

Pour le tribunal, ceci est une pirouette et il renvoie à l’article 61, § 5, de la loi, selon lequel le juge doit vérifier si les conditions légales ont été respectées par les parties signataires, de même que si l’ordre public n’a pas été enfreint. La réduction imposée n’est pas une modification du contrat de travail individuel conformément à l’article 11 de la C.C.T. n° 102, mais une dérogation à une règle légale impérative, qui est l’article 6 de la loi du 3 juillet 1978, et ce constat reste valable après l’adoption de la loi du 26 décembre 2013 concernant l’introduction d’un statut unique et qui a modifié les délais de préavis.

Il s’agit de dispositions impératives en faveur du travailleur et celui-ci ne peut y renoncer anticipativement (le tribunal renvoyant à la doctrine de W. VAN EECKOUTTE et V. NEUPREZ, Compendium Droit du travail, édition 2015-2016, pp. 208 et 220, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour de cassation : Cass., 13 octobre 1997, J.T.T., 1998, p. 159). Il peut par contre y être dérogé après la cessation du contrat par convention individuelle.

Le tribunal renvoie encore à la hiérarchie des sources de droit, dans laquelle les dispositions impératives se trouvent au premier rang, tandis que les conventions collectives rendues obligatoires conclues au sein du C.N.T. (comme la C.C.T. n° 102) le sont au deuxième.

Le volet social contient dès lors des dispositions contraires à la loi et il ne peut être homologué.

Reste à examiner la question de la discrimination dans le choix des travailleurs repris, l’article 12 de la C.C.T. disposant que le choix des travailleurs incombe aux candidats repreneurs et que, ici également, ce choix doit être dicté par des raisons techniques, économiques ou organisationnelles. Il doit en outre s’effectuer sans différentiation interdite et, notamment, en ce qui concerne les représentants des travailleurs dans l’entreprise ou la partie d’entreprise transférée. L’absence de différenciation interdite est présumée établie si la proportion avant le transfert entre les travailleurs occupés et leurs représentants dans les organes reste respectée après le transfert. Il s’agit d’une présomption réfragable.

Le tribunal relève que, dans le plan, seul un représentant serait repris, alors qu’ils étaient au nombre de 8 auparavant. Il appartient dès lors au repreneur de renverser la présomption. Celui-ci présentant des critères d’évaluation et « une sorte » de tableau des compétences, le tribunal considère que ceci ne lui permet pas d’apprécier si les critères légaux ont été respectés. Il aurait fallu disposer d’un rapport fiable décrivant les besoins des entreprises en matière de personnel, ainsi que les compétences, et encore l’évaluation des années précédentes et le coût pour l’entreprise. La présomption n’est dès lors pas renversée.

La conclusion est le refus d’homologation, étant que la demande est déclarée non fondée.

Intérêt de la décision

Dans ce jugement justement motivé, le tribunal du travail a relevé des éléments particulièrement troubles dans la procédure de transfert, tenant non seulement au contexte général (imbrication entre plusieurs sociétés du même groupe), mais surtout vu les mesures drastiques prises à l’encontre des droits des travailleurs.

Si, au sens de la C.C.T. n° 102, il peut y avoir changement d’employeur entre plusieurs sociétés du même groupe, vu le changement d’entité juridique (et ce malgré l’existence d’une seule unité technique d’exploitation), et que l’auto-cession est visée dans la loi – ces deux éléments ne pouvant servir de base à un refus d’homologation –, l’atteinte aux droits sociaux, particulièrement aux dispositions impératives de la loi du 3 juillet 1978 en ce qui concerne la durée des préavis, est un motif clair de refus.

Le tribunal rappelle également la question du choix des travailleurs eu égard à l’obligation de respecter la proportion de représentants des travailleurs dans la société qui a effectué la reprise. Cette problématique met ainsi en œuvre les dispositions de la loi du 31 janvier 2009 relative à la continuité des entreprises et celles de la convention collective n° 102 du 5 octobre 2011, dont il convient de rappeler qu’elle a été modifiée par la convention n° 102bis du 27 septembre 2016.


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