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Allocation d’aggravation en cas d’accident du travail : un arrêt important

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 20 mars 2017, R.G. 2016/AL/150

Mis en ligne le vendredi 10 novembre 2017


Cour du travail de Liège, division Liège, 20 mars 2017, R.G. 2016/AL/150

Terra Laboris

Par arrêt du 20 mars 2017, la Cour du travail de Liège (div. Liège) conclut à l’octroi de l’allocation d’aggravation en cas de survenance d’une aggravation permanente après le délai de revision, une rechute en incapacité temporaire était survenue pendant le cours de celui-ci.

Les faits

Suite à un accident du travail survenu en janvier 2003, un travailleur est en incapacité temporaire de travail pendant deux mois et subit une rechute d’un mois trois ans plus tard.

La date de consolidation est fixée après la première période d’incapacité. Les lésions sont consolidées avec un taux de 5%. La procédure suivie est celle de l’accord-indemnité entériné par le Fonds des accidents du travail. Cet entérinement intervient en février 2007.

Deux ans plus tard, l’intéressé informe l’assureur-loi d’une nouvelle rechute, pour laquelle il demande une intervention pour des séances de kinésithérapie. L’avis du médecin-conseil est demandé. Celui-ci refuse la prise en charge.

L’intéressé, qui reste en incapacité de travail, finit par introduire une procédure, dans laquelle il demande essentiellement qu’il soit statué sur la période d’incapacité de 2009.

L’expert désigné par le tribunal dépose son rapport en novembre 2013, concluant à l’imputabilité des lésions de 2009, ainsi que de la période d’incapacité qui s’en était suivie et qui s’est prolongée jusqu’au 28 février 2013. Il fixe la consolidation au 1er mars 2013, l’incapacité physiologique étant de 15% et la perte de potentiel économique globale de 25%.

Des difficultés surgissent, difficultés soulevées par l’assureur, qui conteste fermement les conclusions du rapport.

Le tribunal du travail entérine cependant celui-ci, estimant qu’il y a une demande en aggravation, celle-ci étant recevable.

L’appel

L’assureur interjette appel.

Il fait essentiellement valoir que – ainsi qu’il l’avait soutenu devant le premier juge – l’expert ne pouvait donner un avis que sur les périodes d’incapacité temporaire et sur l’imputabilité. Il a ainsi outrepassé sa mission. L’assureur demande la désignation d’un nouvel expert, au motif qu’il s’agissait de statuer sur la prise en charge de la rechute et qu’il n’y a pas eu de demande d’aggravation de l’incapacité permanente, aucune extension de demande n’ayant d’ailleurs été faite à cet égard. Il fait également valoir que si tel avait le cas, la demande en revision aurait été tardive et que, pour ce qui serait une demande en aggravation, elle ne pouvait être prise en compte, vu qu’elle est survenue en 2009.

Décision de la cour

La cour examine l’argumentation de la partie appelante, envisageant en premier lieu l’objet de l’action.

L’intéressé a initialement limité son recours à la prise en charge d’une rechute et non à la reconnaissance d’une revision ou d’une aggravation.

Ses conclusions par lesquelles il demandait l’entérinement du rapport d’expertise constituent, pour la cour, non seulement une demande de prise en charge de la rechute mais également une demande en revision ou en aggravation (application de l’article 807 du Code judiciaire). L’acte introductif d’instance vise la problématique de son état de santé suite à l’accident du travail et la cour retient qu’il demandait « plus particulièrement » une indemnisation suite à la rechute, donnant ainsi une qualification juridique aux faits invoqués. La demande pouvait dès lors être étendue ou modifiée (en restant fondée sur les mêmes faits).

Pour ce qui est d’une action en revision, la cour retient cependant qu’elle est forclose, le délai de trois ans prévu par la loi (art. 72) étant un délai de déchéance. Il ne peut dès lors être ni interrompu ni suspendu (la cour renvoyant à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass., 13 mai 2002, R.G. n° S.01.0145.F).

Cependant, l’action en aggravation, prévue à l’article 9, alinéa 1er de l’arrêté royal du 10 décembre 1987 relatif aux allocations accordées dans le cadre de la loi du 10 avril 1971, peut être introduite lorsque l’état de la victime s’aggrave de manière définitive après l’expiration du délai visé à l’article 72 ci-dessus, la cour précisant que cette aggravation est admise pour autant que le taux d’incapacité de travail après celle-ci soit de 10% au moins.

La cour examine dès lors les conditions de l’aggravation, pour ce qui est du droit à l’octroi de l’allocation correspondante. La disposition prévoit que l’état de la victime doit s’aggraver de manière définitive après l’expiration du délai de trois ans. En l’espèce, l’incapacité temporaire a débuté avant l’expiration de ce délai (février 2010).

La question est de savoir si le fait que l’incapacité temporaire a débuté avant l’expiration de ce délai est suffisant pour rejeter la demande. La cour expose qu’il existe un courant doctrinal et jurisprudentiel en sens contraire, et ce vu un arrêt rendu par la Cour de cassation (Cass., 12 décembre 2005, R.G. n° S.04.0166.F). Il est ainsi admis que l’allocation d’aggravation peut être octroyée en cas d’aggravation déjà présente pendant le délai de revision mais qui devient définitive après la fin de celui-ci. La cour du travail estime cependant que l’arrêt du 12 décembre 2005 ne dit pas ce qu’on lui fait dire, dans la mesure où il a rejeté un moyen au motif qu’il manquait en fait.

Renvoyant par contre à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 7 septembre 2009 (C. trav. Bruxelles, 7 septembre 2009, R.G. n° 50.771), elle considère qu’il suffit que l’aggravation ait acquis son caractère définitif après le délai même si l’évolution se serait amorcée pendant celui-ci. Le juge doit dès lors vérifier si l’aggravation s’est consolidée à un moment où l’action en revision ne pouvait plus être introduite.

Pour la cour, cette interprétation est conforme au texte. Par ailleurs, elle évite que la victime doive introduire une action en revision alors que la lésion n’est pas encore stabilisée, et ce sans savoir si l’évolution débouchera sur un nouveau taux d’incapacité.

Reprenant les éléments de fait, la cour constate que ceux-ci suivent les principes ci-dessus et que le rapport d’expertise a bien précisé que le caractère définitif de l’aggravation était survenu après l’expiration du délai de revision.

Elle considère dès lors que l’appel est non fondé.

Intérêt de la décision

La situation tranchée par la cour dans cet arrêt est intéressante, s’agissant d’une rechute en incapacité temporaire survenue pendant le délai de revision, mais dont le caractère définitif est apparu après l’expiration de celui-ci.

A très juste titre, la cour du travail considère que la victime qui a étendu sa demande initiale à la reconnaissance d’un taux supérieur d’incapacité permanente, peut se voir octroyer celui-ci, conformément à l’article 9 de l’arrêté royal du 10 décembre 1987. Qu’une incapacité temporaire soit survenue dans le cours du délai de revision ne peut empêcher le bénéfice de cette disposition dès lors qu’il est constaté que le caractère définitif de l’aggravation est survenu passé ce délai.

Les règles d’indemnisation de l’aggravation temporaire ou de l’aggravation permanente sont d’ailleurs différentes, la cour rappelant ici que, dans le cadre de l’incapcité permanente, il n’y aura indemnisation de celle-ci à un taux majoré que si les effets de l’aggravation la portent à 10% au moins.


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