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Simulation et législation d’ordre public : application à la législation relative à l’assujettissement à la sécurité sociale des travailleurs salariés

Commentaire de C. trav. Mons, 23 février 2017, R.G. 2014/AM/404

Mis en ligne le lundi 18 décembre 2017


Cour du travail de Mons, 23 février 2017, R.G. 2014/AM/404

Terra Laboris

Par arrêt du 23 février 2017, la Cour du travail de Mons reprend les règles de prescription de l’action de l’O.N.S.S. en paiement de cotisations dans l’hypothèse de fraude, retenant celle-ci dans le cas d’une simulation illicite, étant une interposition de personnes aux fins d’échapper aux dispositions d’une loi d’ordre public, en l’occurrence la loi du 27 juin 1969 relative à l’assujettissement des travailleurs à la sécurité sociale des salariés.

Les faits

Un travailleur a été déclaré en qualité de travailleur salarié par plusieurs sociétés, successivement (et sans interruption) du 12 mai 2004 au 31 mai 2006. Un autre est dans la même situation, pour une période légèrement plus courte.

Suite à une enquête de l’O.N.S.S. concernant l’effectivité des prestations, un des travailleurs précise que son employeur était en réalité un tiers (personne physique).

L’O.N.S.S. procède dès lors à une notification d’une décision de désassujettissement vis-à-vis des sociétés et d’assujettissement de l’employeur personne physique.

Il s’avérera, en cours d’instruction du dossier administratif, que la situation exposée concerne encore d’autres personnes.

Un extrait de compte est dès lors adressé à la personne physique en date du 15 octobre 2012. Celui-ci conteste en justice la décision d’assujettissement et l’O.N.S.S. forme dans le cadre de la procédure une demande reconventionnelle portant sur un montant de l’ordre de 70.000 euros, à majorer des intérêts légaux et judiciaires ainsi que des dépens.

Le Tribunal du travail de Charleroi va rendre deux jugements, les 21 novembre 2013 et 20 novembre 2014, condamnant l’intéressé à un montant global de l’ordre de 48.000 euros, à majorer d’intérêts sur un principal de 29.000 euros.

Appel est interjeté par l’intéressé.

Position des parties devant la cour

L’appelant fait valoir que la fraude n’est pas établie et que, à supposer que tel soit le cas, le délai de prescription en vigueur à partir du 1er janvier 2009 ne pouvait s’appliquer, vu le principe de non-rétroactivité des lois. Sur le fond, il fait encore valoir l’absence de motivation de la décision, une absence d’information quant à ses droits lors de son audition et la circonstance que la preuve de sa qualité d’employeur n’est pas rapportée.

Quant à l’O.N.S.S., il sollicite la confirmation pure et simple des jugements rendus par le tribunal.

Les décisions de la cour

L’arrêt du 14 janvier 2016

La cour ordonne dans cet arrêt la réouverture des débats sur une question précise, étant l’incidence d’un jugement rendu par le Tribunal de première instance de Bruxelles siégeant en matière correctionnelle. Celui-ci a en effet relevé que certaines sociétés étaient impliquées dans le litige et les préventions mentionnent également les travailleurs en cause, le tribunal retenant qu’ils n’avaient pas la qualité de travailleurs salariés sous le couvert de laquelle ils avaient été assujettis. Pour la cour, cette décision serait susceptible d’avoir une incidence sur l’appréciation de l’assujettissement. Elle a cependant réglé deux questions, étant le respect du droit de l’intéressé au procès équitable, l’assistance d’un avocat n’étant pas exigée lors de l’audition en l’espèce, et, par ailleurs, le respect des obligations de l’administration concernant la motivation.

S’est cependant déjà posée dans cet arrêt la question de la prescription, et ce pour cinq trimestres (2e trimestre 2005 au 2e trimestre 2006), la décision ayant été notifiée en juillet 2012.

La cour retient qu’à cette date, la règle de prescription (figurant à l’article 42, alinéas 1er et 2 de la loi du 27 juin 1969) est de trois ans à partir de la date d’exigibilité des créances, délai cependant porté à sept ans s’il y a eu des régularisations d’office à la suite de la constatation dans le chef de l’employeur de manœuvres frauduleuses ou de déclarations fausses ou sciemment incomplètes.

Pour l’appelant, il fallait retenir cependant une règle de prescription de cinq ans, étant celle antérieure à l’entrée en vigueur de la loi-programme du 22 décembre 2008. L’application d’une telle règle entraînerait la prescription de la demande pour les trimestres en cause.

La cour reprend dans cet arrêt les principes en matière de non-rétroactivité, soulignant que, lorsque la loi nouvelle porte un délai plus long que la loi ancienne, il faut, pour autant que l’ancien délai de prescription ne soit pas écoulé au jour de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, appliquer le nouveau délai calculé depuis le point de départ initial. Si la fraude est établie, et si l’ancien délai de prescription est de cinq ans et qu’il n’était pas écoulé au 1er janvier 2009, c’est le nouveau délai de sept ans qui doit être appliqué.

Le premier acte étant intervenu en 2012, il n’y a pas prescription.

La cour rappelle encore que, si la fraude n’est pas établie, lorsque la loi nouvelle fixe un délai de prescription plus court que celui que prévoyait la législation antérieure, ce nouveau délai n’est d’application, si le droit à l’action est né avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, qu’à partir de cette entrée en vigueur, la durée totale de la prescription ne pouvant cependant excéder celle qui était fixée par la législation antérieure.

La cour a dès lors conclu dans cette première décision que, si la fraude n’était pas établie, les cotisations seraient prescrites.

L’arrêt du 23 février 2017

La cour reprend la discussion à ce stade et rappelle que c’est l’O.N.S.S. qui doit établir l’existence d’un contrat de travail. L’Office s’est fondé, dans sa position, sur la théorie de la simulation, considérant qu’il y avait des contrats fictifs alors que les travailleurs étaient liés à l’appelant (personne physique).

La cour examine dès lors cette théorie, reprise à l’article 1321 du Code civil. Celui-ci dispose que les contre-lettres ne peuvent avoir d’effet qu’entre les parties contractantes : elles n’ont point d’effet contre les tiers.

Renvoyant à la doctrine du Pr. VAN OMMESLAGHE (notamment P. VAN OMMESLAGHE, Droit des obligations, Tome I, p. 395), la cour reprend les effets de ce mécanisme, qui exige l’existence d’une convention apparente (appelée « acte ostensible ») et d’une convention secrète (étant la contre-lettre). Est également un élément de cette figure l’interposition de personnes, étant qu’un acte est apparemment conclu avec une personne déterminée, mais, en réalité, c’est un autre qui en est le bénéficiaire, celui-ci n’étant pas la personne indiquée dans l’acte ostensible.

En l’espèce, les différentes sociétés n’étaient pas l’employeur des travailleurs en cause. La cour rappelle que, malgré tout, l’appelant donnait les ordres et intervenait dans le paiement des salaires. Quant aux travailleurs, il n’est pas établi qu’ils auraient collaboré à la fraude. Ils en auraient plutôt été victimes.

Relevant encore les autres éléments du dossier qui viennent étayer l’existence du contrat de travail, la cour retient l’existence d’un tel contrat.

Faisant encore un détour par la doctrine, à propos de la portée de la simulation au sens de l’article 1321 du Code civil, la cour déclare partager la conclusion selon laquelle la simulation n’implique pas la participation active des toutes les parties à la dissimulation de la réalité et qu’il n’est dès lors pas exigé que l’ensemble de celle-ci aient participé à la convention en pleine connaissance de cause. Dès lors que cette simulation avait en vue d’éluder l’application d’une loi d’ordre public, elle est illicite.

Elle rappelle encore que, face à un tiers (ainsi, l’O.N.S.S.), l’article 1321 du Code civil lui permet soit de s’en tenir à l’acte apparent, soit de se prévaloir de l’acte simulé – deuxième solution, que l’O.N.S.S. a privilégiée, étant de se fonder sur des contrats de travail avec l’appelant, qui est le véritable employeur.

Sur le plan des principes, la cour rappelle également que l’action en déclaration de simulation est une action autonome, qui ne nécessite aucune justification particulière. En réalité, le tiers se borne à se prévaloir de la convention réellement conclue entre les parties et à laquelle doit être réservée l’efficacité juridique de l’article 1134 du Code civil.

L’O.N.S.S. ignorait en l’espèce l’existence d’un acte secret, vu qu’il n’avait été mis en possession que des contrats avec les sociétés fictives. Dans la mesure où il établit l’existence de la simulation et qu’il a un intérêt à agir, sa demande de paiement est fondée.

La conclusion de l’arrêt est dès lors, sur le plan de la prescription, que le mécanisme de la simulation auquel l’appelant a participé est frauduleux et que la demande de l’O.N.S.S. n’est pas prescrite.

Intérêt de la décision

Ce dossier gravite manifestement dans la sphère des affaires « Cachalot », qui ont constitué une vaste fraude à la sécurité sociale.

En l’occurrence, l’intérêt de la décision rendue par la Cour du travail de Mons le 23 février 2017 réside dans une question purement juridique, étant l’examen de l’existence d’une simulation telle que prévue par l’article 1321 du Code civil.

La cour s’y livre à quelques développements juridiques de grand intérêt, retenant que, vu l’ensemble des éléments de la cause, l’O.N.S.S. est fondé à poursuivre l’employeur personne physique – employeur effectif – et non des sociétés purement fictives, qui n’ont eu la qualité d’employeur que sur le papier.


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