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Poursuite d’études et droit aux allocations de chômage

Commentaire de C. trav. Mons, 21 juin 2017, R.G. 2016/AM/38

Mis en ligne le jeudi 11 janvier 2018


Cour du travail de Mons, 21 juin 2017, R.G. 2016/AM/38

Terra Laboris

Par arrêt du 21 juin 2017, la Cour du travail de Mons fait un rappel complet de la question, analysant en outre l’incidence sur le maintien de l’octroi de la poursuite des études malgré la communication par l’ONEm de sa décision de refus.

Les faits

Après avoir terminé des études professionnelles en secrétariat et sollicité le bénéfice d’allocations de chômage, Madame L. reprend, plus de 4 ans plus tard, des études aux fins d’obtenir un brevet en soins infirmiers. Elle sollicite la dispense prévue à l’article 93 de l’arrêté royal pour l’année scolaire. La première année comporte une moyenne de 27 crédits et les cours se déroulent principalement en semaine avant 17 heures. La dispense est accordée et l’année scolaire est réussie, ce qui amène l’ONEm à prolonger celle-ci. L’intéressée échoue cependant à l’issue de la deuxième année. Elle change alors d’établissement et demande une nouvelle dispense, qui est – cette fois – refusée, au motif qu’elle n’a pas réussi l’année d’études précédente.

L’intéressée poursuit néanmoins ses études et les allocations de chômage continuent à lui être versées.

A l’issue de cette année, elle réussit et – ayant parallèlement fait l’objet de la procédure d’activation – y signale suivre la formation en cause. L’année suivante, pendant laquelle elle projette de suivre les cours de la troisième année d’infirmière hospitalière, la dispense est également rejetée. Le motif est que la dispense ne peut être accordée qu’une seule fois et que, vu l’échec, elle ne peut être renouvelée. Après avoir vérifié auprès de l’établissement scolaire que l’intéressée continue à suivre les cours, l’ONEm prend une décision, par laquelle il exclut l’intéressée du bénéfice des allocations de chômage pour presque deux années, et ce après l’avoir auditionnée.

Parallèlement, ses efforts en vue de rechercher un emploi sont considérés comme non suffisants et non adéquats pour une période d’environ 8 mois, se situant pour partie sur chacune des deux années. Il y a en outre une décision d’exclusion pour une période de 26 semaines.

L’intéressée forme un recours contre cette décision et le Tribunal du travail du Hainaut y fait partiellement droit, l’exclusion devant être limitée à la dernière année scolaire et la sanction devant être ramenée à 2 semaines.

Pour le premier juge, les allocations de chômage indûment perçues pendant la première année ne pouvaient être récupérées en application de l’article 17, alinéa 2, de la Charte, la décision de refus de dispense de l’ONEm étant entachée d’une erreur matérielle. L’ONEm n’a, en effet, pas coché la case selon laquelle l’intéressée ne pouvait pas bénéficier des allocations en suivant des études. Celle-ci n’avait dès lors pas conscience d’avoir perçu des allocations indûment. La période est en outre raccourcie, vu les mois d’été, qui ne doivent pas être pris en considération.

Pour la seconde année, la décision de dispense était cependant correctement motivée, de telle sorte que le tribunal a confirmé à la fois la décision d’exclusion et celle de récupération.

L’ONEm interjette appel.

Position des parties devant la cour

L’ONEm conteste qu’il y ait une erreur matérielle dans la décision relative à la première année de cours (première dispense). Vu le caractère d’ordre public de la réglementation, le juge aurait dû, selon l’Office, substituer sa décision à celle de l’ONEm et confirmer que l’intéressée ne pouvait bénéficier des allocations.

Quant à l’intimée, pour la première année, elle demande la confirmation de la conclusion du premier juge sur l’existence de l’erreur matérielle et fait également valoir qu’elle a parallèlement continué à remplir ses obligations en matière de recherche d’emploi. L’ONEm a manqué à son obligation d’information, lors du premier refus de la dispense, de telle sorte qu’elle pouvait raisonnablement ignorer qu’elle ne pouvait percevoir les allocations en cause. Il y a lieu d’appliquer l’article 17 de la Charte de l’assuré social.

Pour la seconde année, elle plaide la bonne foi, aux fins de limiter la récupération aux 150 dernières allocations.

La décision de la cour

La cour a rendu un arrêt important sur le plan des principes, s’agissant de déterminer la portée de l’article 93 de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, qui règle les conditions de dispense en cas de poursuite (reprise) d’études de plein exercice. La cour souligne que la dispense est accordée pour la durée de l’année scolaire en cause, en ce compris les périodes de vacances y afférentes, et qu’elle est prolongée lorsque le chômeur a terminé cette année avec fruit. Elle peut cependant être retirée si le chômeur ne suit pas régulièrement les activités imposées par le programme de cours. Enfin, cette dispense ne peut être accordée qu’une seule fois. Elle a pour effet que la personne concernée ne doit plus être disponible sur le marché de l’emploi, étant dispensée de se présenter aux offres d’emploi ou d’accompagnement, ainsi que de rechercher activement un emploi. Elle ne doit de même plus être inscrite comme demandeur d’emploi.

En l’espèce, la cour constate que les faits ne sont pas contestés, mais que figure indiscutablement une erreur matérielle dans la décision relative à la première année scolaire, puisque l’ONEm n’a pas coché une des deux propositions figurant après le refus.

La réfection de l’acte peut cependant être menée par la juridiction elle-même (s’agissant d’une question de sécurité sociale et, plus particulièrement, de chômage). La cour rappelle divers arrêts de la Cour de cassation, dont il ressort que, lorsque l’ONEm statue sur des allocations (réduction ou refus) et qu’une contestation intervient devant le tribunal, il s’agit d’une contestation relative au droit aux allocations pendant la période en cause (Cass., 15 mars 1999, Pas., I, n° 156). La nullité d’une décision pour violation d’une forme substantielle ne peut entraîner automatiquement le rétablissement du chômeur dans son droit aux allocations. Le juge doit, après avoir écarté la décision, se prononcer sur celui-ci (la cour renvoyant à la doctrine de J.-F. NEVEN, « Les principes de bonne administration, la Charte de l’assuré social et la réglementation du chômage », in La réglementation du chômage : 20 ans d’application de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, Kluwer, 2011, p. 602). Le chômeur doit en effet remplir toutes les autres conditions d’octroi.

Le pouvoir de substitution connaît cependant une réserve importante, et ce eu égard à la séparation des pouvoirs, et est ici visée la situation où l’ONEm exerce une compétence discrétionnaire. Soulignant que tel n’est pas le cas en l’espèce, la cour conclut qu’elle ne peut rétablir l’intéressée dans ses droits, sans plus, et réexamine dès lors son droit aux prestations.

Vu la nature de la formation, celle-ci n’était plus disponible sur le marché de l’emploi pendant les deux années concernées. La décision d’exclusion est dès lors fondée.

Sur le plan de la récupération, la cour consacre des développements distincts à chacune des deux années.

Pour la première, elle ne partage pas la conclusion du tribunal selon laquelle il y aurait une erreur matérielle au sens de l’article 17 de la Charte, dans la mesure où l’ONEm n’a pas spécifié que l’intéressée pouvait poursuivre ses études. Il aurait, cependant, dû donner davantage d’explications, et ce ainsi qu’il est tenu de le faire en application de l’article 3 de la Charte de l’assuré social. Tout en déplorant que l’intéressée n’ait pas examiné la question sous cet angle, qui pourrait entraîner la mise en cause de la responsabilité de l’ONEm, la cour estime que la bonne foi de l’intéressée pourrait être retenue, de telle sorte que la récupération devrait être limitée aux 150 derniers jours.

Par contre, pour la dernière année, la situation était beaucoup plus claire, la décision de refus ayant explicitement mentionné que l’intéressée ne pouvait bénéficier des allocations de chômage.

Enfin, pour la sanction, réduite par le premier juge de 4 à 2 semaines, la cour estime que celle-ci doit être confirmée en appel, et ce eu égard à l’existence de la bonne foi de l’intéressée pendant la première période.

Intérêt de la décision

Cet arrêt procède à un examen méthodique d’une situation où interviennent à la fois les mécanismes de la réglementation chômage, étant les hypothèses dans lesquelles un chômeur peut reprendre des études, conformément aux articles 58 (obligation de rechercher activement un emploi et d’être inscrit comme demandeur d’emploi), 68, alinéa 1er (non-cumul des allocations avec une période d’études de plein exercice, sauf exceptions) et 93 (étant précisément la question de la dispense), et celui de la Charte.

L’affaire met en lumière, dans un tel contexte, les hypothèses où il peut être fait appel, dans le cadre de la Charte de l’assuré social, à l’article 17 ou à l’article 3.

L’article 17 vise le cas d’une erreur matérielle imputable à l’institution de sécurité sociale et dont l’assuré social ne pouvait (ou n’aurait pu) se rendre compte, tandis que l’article 3 concerne l’obligation d’information des institutions de sécurité sociale, qui peut entraîner la mise en cause de celles-ci dans le cadre des règles de la responsabilité. La cour note que cette dernière hypothèse n’a pas été évoquée et semble le regretter…


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