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Accident du travail et (quasi-)subrogation de la mutuelle

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 6 novembre 2017, R.G. 2015/AL/703

Mis en ligne le jeudi 15 mars 2018


Cour du travail de Liège, division Liège, 6 novembre 2017, R.G. 2015/AL/703

Terra Laboris

Par arrêt du 6 novembre 2017, la Cour du travail de Liège (division Liège) reprend la problématique de la (quasi-)subrogation de l’organisme assureur A.M.I. dans le cadre de l’indemnisation des séquelles d’un accident du travail, s’agissant de la prise en charge d’une période d’incapacité temporaire refusée par l’assureur-loi.

Les faits

Un travailleur a été victime d’un accident du travail en 2007. Cet accident a été reconnu et a été indemnisé pendant deux périodes, allant de septembre 2007 à janvier 2008 et de mai 2008 à septembre 2009. Un litige va se poser quant à la prise en compte de la période intermédiaire, d’environ trois mois. Pendant celle-ci, en effet, l’assureur-loi a refusé son intervention au motif que l’intéressé pouvait reprendre le travail, opinion que ne partageait pas l’organisme assureur A.M.I., dont le médecin-conseil a admis la poursuite de l’incapacité.

Ce n’est que suite à une intervention chirurgicale que l’assureur a repris son intervention et la mutuelle est intervenue entre-temps pour un montant de l’ordre de 3.000 euros.

La suite du règlement de l’accident est intervenue sans difficulté, le dossier étant finalement consolidé avec un taux d’I.P.P. de 18% et le règlement étant passé par la voie administrative, aboutissant à un entérinement par le F.A.T. en janvier 2012.

L’organisme assureur a introduit une procédure en vue d’obtenir la prise en charge par l’assureur-loi des indemnités versées.

Le Tribunal du travail de Liège (division Liège) a fait droit à sa demande par jugement du 18 septembre 2015.

Position des parties devant la cour

Pour l’assureur, appelant, la mutuelle ne peut réclamer ni sur la base de sa subrogation légale ni sur celle de l’article 23, § 3, de la loi du 10 avril 1971 sa condamnation au paiement d’une période d’incapacité temporaire. Il soutient qu’il n’y a pas matière à subrogation au sens de l’article 136, § 2, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, dans la mesure où la mutuelle n’a pas versé d’indemnités dans l’attente d’un paiement par l’assureur-loi. Il souligne également que le tribunal du travail a fait une application erronée de l’article 23 L.A.T., qui ne serait pas applicable au litige faute de mise en route de la procédure de remise au travail. Il maintient qu’il y avait capacité totale à reprendre le travail pendant la période concernée et sollicite, en conséquence, la réformation complète du jugement.

Quant à l’organisme assureur A.M.I., il fait valoir que l’appelant ne prouverait pas l’absence de capacité de travail pendant la période concernée et que, dès lors, il faut appliquer l’article 23. Pour l’intimé, le travailleur s’est ainsi trouvé en période d’I.T.T. (pour laquelle il y aurait même lieu à application de l’article 22) ou en période d’incapacité temporaire partielle importante. Cette période doit dès lors être prise en charge par l’assureur. Il fait encore valoir qu’il est un tiers à l’accord-indemnité entériné par le F.A.T. et que celui-ci ne lui est pas opposable.

La décision de la cour

La cour rappelle longuement le point de droit en cause, étant la subrogation légale de l’organisme assureur A.M.I.

La subrogation légale prévoit, en droit commun, l’existence de quatre éléments, étant une dette à payer, un paiement effectif et préalable, un paiement valide et un paiement par un tiers qui, de plus, doit acquitter la dette d’autrui et non sa dette propre.

L’article 136, § 2, alinéas 1 à 7, de la loi coordonnée détaille longuement le mécanisme de la subrogation légale de l’assureur A.M.I.

La cour aborde d’abord la question de savoir s’il s’agissait d’une dette d’autrui, l’assureur plaidant que, l’accord-indemnité ne mettant rien à sa charge pour cette période, il ne devait pas indemniser l’intéressé.

Pour la cour, si un assuré social remplit les conditions d’indemnisation de l’article 100, la mutuelle s’acquitte de sa propre dette à l’égard de celui-ci. Il faut dès lors reconnaître, comme ceci est d’ailleurs admis en doctrine (la cour renvoyant à S. STIJNS, D. VAN GERVEN et P. WERY, « Les obligations : le régime général de l’obligation (1985-1995) », J.T., 1999, p. 821 et ss.), que le législateur a dérogé au droit commun, en admettant la substitution aux droits du créancier dans des hypothèses où le tiers acquitte en réalité sa propre dette, et ce dans certaines hypothèses, phénomène dont la même doctrine a relevé qu’il est fréquent en droit social, en droit du travail et en droit des assurances. C’est dès lors une ‘’quasi-subrogation’’, qui ne suppose pas que la mutuelle ait éteint la dette d’un tiers.

La question à régler est en réalité de savoir s’il s’agissait d’une dette effective. Ici, la cour considère qu’en vertu d’une nouvelle dérogation légale, l’action quasi-subrogatoire existe à l’encontre de l’assureur même, et ce même en l’absence d’indemnisation effective. La cour puise dans l’alinéa 1er de l’article 136, § 2, qui prévoit que les prestations sont refusées lorsque le dommage est effectivement réparé en vertu d’une autre législation. Cette disposition vise diverses hypothèses où la mutuelle verse des avances avant qu’un autre organisme n’intervienne. Par contre, l’alinéa 4, qui vise la quasi-subrogation de plein droit de la mutuelle, autorise celle-ci à récupérer la totalité des sommes qui sont dues (et non effectivement versées) en vertu d’une autre législation et qui réparent totalement ou partiellement le même dommage.

Le dommage est ici l’atteinte à la capacité de gain et les conditions légales sont dès lors réunies.

La cour examine encore d’autres éléments avancés par l’assureur-loi, qu’elle rejette, dont l’exception de chose jugée, de compensation ou de transaction. Elle y oppose que le droit à la subrogation est né avant la naissance de la convention qui pourrait être invoquée au titre d’exception et, à plus forte raison, avant son entérinement.

Le mécanisme de l’article 136, § 2, permet dès lors à la mutuelle d’agir, la cour concluant cette partie de sa démonstration en considérant que le principe de la (quasi-)subrogation est acquis en l’espèce.

Reste cependant à examiner la question du bien-fondé de la subrogation. Il y a en effet lieu de vérifier si des sommes étaient dues en faveur de l’intéressé en vertu d’une législation belge, étrangère ou de droit commun et qui viendraient réparer partiellement ou totalement le dommage couvert.

C’est dès lors l’examen de la possibilité pour l’intéressé de reprendre le travail à l’époque visée. Pour l’assureur, cette possibilité existait et il se fonde sur les résultats d’un examen – qu’il ne produit cependant pas.

La cour considère, dès lors, sur la base du dossier, qu’il faut arriver à la conclusion contraire vu la brièveté de la période en cause et qui est insérée dans deux périodes d’I.T.T., le taux non négligeable d’I.P.P. (18%), le fait que la mutuelle a fait procéder à un examen par son médecin-conseil, qui a constaté des séquelles invalidantes (douleurs lombaires irradiantes, le patient ne pouvant ni s’asseoir ni rester debout, hernie importante, etc.), ainsi que l’avis d’un chirurgien. Le dossier produit par l’organisme assureur A.M.I. est dès lors très documenté, puisqu’il conclut à la nécessité d’une opération chirurgicale – qui a été pratiquée (et a conduit à la reprise en charge). L’assureur n’avance par contre aucun élément vérifiable de nature à confirmer l’amélioration vantée.

Il faut en conséquence conclure à la poursuite de l’incapacité de travail pendant la période concernée. La présomption de l’article 9 n’est pas renversée mais, en ce qui concerne la base applicable, la cour corrige, étant qu’il ne s’agit pas de l’article 23 L.A.T. (qui concerne l’incapacité temporaire de travail partielle) mais l’article 22 (droit aux indemnités journalières).

Le jugement du tribunal du travail est dès lors confirmé.

De derniers développements sont consacrés à la question des intérêts et au montant de l’indemnité de procédure.

Sur la première de ces deux discussions, la cour rappelle qu’en vertu de l’article 20 de la Charte de l’assuré social, les intérêts sont dus à partir de la date d’exigibilité de la dette. En l’occurrence, l’accident a été reconnu et le seul obstacle au paiement a été une appréciation médicale erronée. La cour retient dès lors, au titre de date à laquelle les conditions de paiement sont réunies, le premier jour de la période litigieuse. Une date moyenne est fixée, au milieu de celle-ci.

Sur les dépens, enfin, si l’article 68 L.A.T. dispose que les dépens de toutes les demandes fondées sur la loi sont à charge de l’assureur (hors demande téméraire et vexatoire), cette disposition n’est pas applicable à une instance telle que celle opposant un assureur à une mutuelle, sur pied de l’article 136, § 2, de la loi coordonnée le 14 juillet 1994. L’indemnité de procédure doit dès lors être fixée sur la base de l’article 4 de l’arrêté royal du 26 octobre 2007, s’agissant d’une action évaluable en argent supérieure à 2.500 euros.

Intérêt de la décision

Très intéressant arrêt que celui rendu par la Cour du travail de Liège le 6 novembre dernier, qui tranche des points peu souvent discutés. La cour s’y livre en effet à une analyse détaillée de la question de la subrogation et de la quasi-subrogation, rappelant les dérogations prévues par rapport au droit commun dans les diverses matières du droit social. C’est en fin de compte le texte de l’alinéa 4 du § 2 de l’article 136 qui apporte la solution, étant que la quasi-subrogation de la mutuelle existe pour les sommes qui sont dues (et non celles qui sont effectivement versées – condition figurant à l’alinéa précédent, qui vise les hypothèses où la mutuelle verse des avances avant qu’un autre organisme intervienne).

Il est par ailleurs intéressant de constater que la cour a estimé être suffisamment documentée quant à la poursuite de l’incapacité temporaire totale du fait que la période était « coincée » entre deux autres périodes et que les constatations médicales faites par la mutuelle et divers intervenants médecins ont permis de rétablir la continuité de la ligne des soins, qui a d’ailleurs abouti à la reprise en charge par l’assureur-loi.

La cour consacre également des développements intéressants sur la question de l’effet de l’existence de l’entérinement d’un accord-indemnité sur l’étendue et l’exercice de la (quasi-)subrogation de l’assureur A.M.I.


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