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Accident du travail d’un agent SNCB : réglementation applicable

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 16 novembre 2017, R.G. 2016/AL/417 - cassé par Cass., 10 déc. 2018, n° S.18.0057.F

Mis en ligne le vendredi 30 mars 2018


Cour du travail de Liège, division Liège, 16 novembre 2017, R.G. 2016/AL/417

Terra Laboris

Par arrêt du 16 novembre 2017, la Cour du travail de Liège (division Liège) considère qu’il y a lieu de rejeter l’application de la réglementation interne à la SNCB (HOLDING) en ce qui concerne les conditions d’un accident du travail, la loi du 3 juillet 1967 étant d’ordre public.

Les faits

Un agent statutaire de la SNCB est victime d’un accident du travail. Il s’est blessé au genou lors de l’entretien des installations, dans le cadre de ses fonctions de technicien-mécanicien.

Vu la réorganisation intervenue au sein de la SNCB, celle-ci est devenue SNCB HOLDING en 2005. Depuis 2014, la gestion du personnel statutaire et non statutaire est confiée à la S.A. HR RAIL.

Une des questions posées aux juridictions du travail est celle de la réglementation applicable.

Le jugement du tribunal du travail

Par jugement du 17 février 2016, le Tribunal du travail de Liège, division Liège, a admis qu’il y avait accident du travail et a désigné un expert aux fins de donner un avis sur les séquelles de celui-ci. Le tribunal a fait application de la loi du 3 juillet 1967 (réglant la question dans le secteur public).

La société (actuellement S.A. de droit public HR RAIL) a interjeté appel, demandant qu’il ne soit pas fait application de la loi du 3 juillet 1967, mais d’une réglementation spécifique, étant le « Fascicule 572 » (réglementation interne).

L’intimé considère pour sa part qu’il y a lieu de confirmer le jugement et de renvoyer l’affaire au tribunal afin que l’expertise puisse être menée à bien. A titre subsidiaire, il demande que soit posée à la Cour constitutionnelle une question vu le recul du droit à la sécurité sociale des travailleurs de la S.A. HR RAIL, dès lors qu’ils ne seraient, depuis la loi du 20 décembre 2016 portant des dispositions diverses en matière sociale, plus couverts par la loi du 3 juillet 1967, voyant désormais leur situation réglée par le règlement interne à la S.A. HR RAIL (qui contient une définition plus stricte de l’accident du travail).

La décision de la cour

La cour constate en premier lieu que l’accident n’est plus contesté, non plus que la nécessité de recourir à l’expertise. La question est de savoir s’il faut faire application ou non du règlement général des accidents du travail, des accidents sur le chemin du travail et des maladies professionnelles, repris au Fascicule 572 interne à la société.

La cour se livre, dès lors, à une analyse très fouillée de la question, la SNCB, créée par la loi du 23 juillet 1926 relative aux Chemins de fer, étant une société anonyme de droit public au sens de la loi du 21 mars 1991 portant réforme de certaines entreprises publiques économiques.

Pour la cour, la modification intervenue en 2005 est uniquement une modification de nom. Vu le libellé de l’article 1er, § 4, de la loi du 21 mars 1991, la cour considère que la SNCB (HOLDING) était à la fois une société anonyme (personne morale) de droit public et une entreprise publique autonome.

Le champ d’application de la loi du 3 juillet 1967 couvre les personnes morales de droit public ainsi que les organismes d’intérêt public soumis à l’autorité, au pouvoir de contrôle ou de tutelle de l’Etat, de même que les entreprises publiques autonomes classées à l’article 1er, § 4, de la loi du 21 mars 1991 (article 1er, 2°). L’arrêté royal du 12 juin 1970 applicable en exécution de la loi du 3 juillet 1967 soumet à celle-ci le personnel des personnes morales de droit public relevant de l’Etat pour autant que leur création soit postérieure au 31 décembre 2004. La SNCB (HOLDING) a été créée en 1926. Pour la cour, si elle ne tombe pas dans le champ d’application de la loi en tant que personne morale de droit public, elle est cependant soumise à celle-ci en tant qu’entreprise publique autonome.

La cour examine ensuite la nature juridique du « Fascicule 572 », qui a été pris par la commission paritaire nationale (prévue à la loi du 23 juillet 1926 relative aux chemins de fer), règlement qui prévoit des procédures internes à respecter notamment en cas d’accident du travail.

La cour constate que la partie intimée ne s’est pas intéressée à la base légale de ce fascicule. Elle relève cependant que la loi du 23 juillet 1926 donnait à cette commission paritaire la compétence d’examiner (la cour souligne) toutes les questions relatives aux accidents du travail.

Après avoir renvoyé à la définition de droit commun telle que reprise par le Petit Robert (examiner ayant plusieurs acceptions, étant de considérer avec attention, avec réflexion, ou de regarder très attentivement, ou encore (vieilli) de faire subir à quelqu’un une épreuve), elle conclut que, même à supposer que ledit texte ait une force réglementaire, il serait une norme inférieure à la loi, en sus, loi d’ordre public. La hiérarchie des sources de droit dans les relations de travail entre les Chemins de fer belges et son personnel est par ailleurs rappelée dans la même loi du 23 juillet 1926 (article 68), étant expressément prévu qu’en cas de contrariété entre une norme d’une source de droit inférieure et une autre supérieure, la norme de la source de droit supérieure prime et l’autre n’est pas appliquée.

La cour relève encore que la loi du 3 juillet 1967 est postérieure et plus spécifique. Il y a dès lors lieu d’appliquer celle-ci à l’accident du travail en cause.

Les modifications survenues ultérieurement dans la forme de la société (création de la S.A. HR RAIL au 1er janvier 2014 et modifications apportées à la loi du 23 juillet 1926 quant au passage des statuts et réglementations à l’appelante à partir de la fin de l’année 2013) sont indifférentes à cet égard.

La cour confirme dès lors le jugement, renvoyant l’affaire au tribunal afin que la mesure d’instruction puisse être poursuivie.

Intérêt de la décision

Cet arrêt est certes important, puisqu’il rappelle d’une part la hiérarchie des sources de droit (ici reprise dans l’hypothèse spécifique des relations de travail entre les Chemins de fer et son personnel), et de l’autre le caractère d’ordre public de la loi du 3 juillet 1967.

L’on notera que la cour n’a pas tranché la question spécifique de la validité des dispositions arrêtées dans le Fascicule en cause eu égard aux termes de la loi du 23 juillet 1926, qui avait chargé la commission paritaire d’examiner toutes les questions relatives aux accidents du travail. Cette compétence déléguée par la loi à l’organe de concertation peut difficilement être comprise comme autorisant celui-ci à restreindre les droits des travailleurs tels que définis dans une législation d’ordre public. La cour écarte cependant le texte non sur cette base mais eu égard à la hiérarchie des sources de droit.

Signalons encore que la cour renvoie à diverses décisions des cours du travail de Bruxelles et de Liège (C. trav. Bruxelles, 18 décembre 2013, R.G. 2012/AB/205, inédit ; C. trav. Liège, 9 janvier 2002, R.G. 28.306/99), ainsi qu’à un jugement récent du Tribunal du travail de Bruxelles (Trib. trav. Bruxelles, 8 novembre 2016, R.G. 15/7.696/A, inédit).


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