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Article 5bis de la loi du 3 juillet 1978 et licenciement manifestement déraisonnable

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 octobre 2017, R.G. 2016/AB/531

Mis en ligne le vendredi 13 avril 2018


Cour du travail de Bruxelles, 6 octobre 2017, R.G. 2016/AB/531

Terra Laboris

Dans un arrêt du 6 octobre 2017, la Cour du travail de Bruxelles (3e chambre) rappelle les conditions d’application de la présomption de l’article 5bis de la loi du 3 juillet 1978, en cas d’exercice d’activités dans le cadre d’un contrat de travail et d’un contrat d’entreprise. C’était également l’occasion pour la cour de reprendre quelques principes de la convention collective de travail n° 109.

Les faits

Un employé est licencié en 2015 après un an et demi de travail pour une société. Il demande le motif de son licenciement, précisant dans ce courrier que ce motif lui a été donné verbalement, étant qu’il n’avait pas voulu jeter la neige et épandre du sel. Dans le courrier en réponse, la société fait cependant état d’un autre motif, étant qu’elle envisage de diminuer ses activités et d’y mettre un terme progressivement.

Une procédure est lancée devant le Tribunal du travail de Louvain, l’intéressé demandant un complément d’indemnité de préavis vu l’exercice de fonctions dans le cadre d’un contrat d’entreprise, ainsi que d’autres sommes, et une indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable.

Par voie de conclusions, il étend sa demande à une indemnité de l’ordre de 2.800 euros, vu que le motif du licenciement communiqué n’était pas correct.

Le tribunal du travail a considéré que sa demande était partiellement fondée et, accordant également un léger complément pour un avantage de toute nature (GSM / laptop) pour ce qui est de l’indemnité compensatoire de préavis, il a alloué 3 semaines de rémunération pour licenciement manifestement déraisonnable.

Appel de ce jugement a été interjeté par le travailleur.

Il fait notamment valoir – ainsi qu’il l’avait fait infructueusement devant le premier juge – qu’il y a lieu de lui allouer un important complément d’indemnité compensatoire de préavis, en application de l’article 5bis de la loi du 3 juillet 1978. Des prestations pour compte de la société employeur avaient également été effectuées en sus du contrat de travail et rémunérées par le biais de factures rédigées par une société dont le travailleur s’occupait.

La décision de la cour

La cour examine les conditions d’application de l’article 5bis de la loi du 3 juillet 1978. Celui-ci dispose que des prestations de services complémentaires exécutées en application d’un contrat d’entreprise sont présumées l’être en application d’un contrat de travail sans que la preuve du contraire puisse être apportée lorsque le prestataire des services et le bénéficiaire de ceux-ci sont liés par un contrat de travail pour l’exercice d’activités similaires.

La cour retient de cette disposition que trois conditions sont exigées pour l’application de la présomption légale, étant (i) l’exécution de prestations complémentaires en exécution d’un contrat d’entreprise, (ii) l’exigence que le donneur d’ordre et le prestataire de services soient liés par un contrat de travail et (iii) une similarité entre les activités exercées dans le cadre de son contrat et du contrat d’entreprise.

La cour rappelle, sur le plan des règles de preuve, que celui qui se prévaut d’une présomption légale est dispensé de la charge de la preuve mais doit établir des faits intermédiaires qui permettent l’application de celle-ci.

En l’occurrence, la question se pose de savoir si la disposition trouvera à s’appliquer si les parties ne sont pas identiques, puisque les prestations de travail indépendant ont été facturées par une société.

Pour la cour, il faut vérifier qui effectue ces prestations et non qui sont les parties qui ont signé le contrat d’entreprise. Qu’il s’agisse d’une personne physique ou d’une société, l’article 5bis peut trouver à s’appliquer (la cour renvoyant à deux arrêts, l’un de la Cour du travail de Gand du 24 décembre 2001, T.G.R., 2002, p. 176, et l’autre de la Cour du travail de Bruxelles du 10 avril 2008, J.T.T., 2009, p. 28). La cour constate cependant ne pas être informée quant au rôle exact de l’employé dans la société en cause et, sur les factures présentes au dossier, son nom ne figure pas. La question doit dès lors faire l’objet de vérifications.

En outre, un deuxième point est requis, étant la similarité des prestations effectuées dans le cadre du contrat de travail et dans celui du contrat d’entreprise. La cour constate que les parties restent en défaut d’établir les éléments qu’elles avancent de part et d’autre. La société fait en effet valoir que les activités exercées à titre d’indépendant étaient plutôt des activités manuelles (travail de monteur), alors que l’employé produit des documents établissant qu’il effectuait, avant son engagement dans le cadre du contrat de travail, également d’autres tâches, ainsi les contacts avec les clients. La nature des fonctions telles que reprises dans le contrat de travail n’est par ailleurs pas claire (« manager la société, etc. »).

La cour se penche, ensuite, sur la demande d’indemnité fondée sur la C.C.T. n° 109 du 12 février 2014. Elle en reprend les articles 4, 5 et 7, relatifs à l’obligation de communiquer les motifs concrets du licenciement. L’employé considère que les motifs donnés dans la lettre adressée par son ex-employeur suite à sa demande ne constituent pas les motifs concrets, vu qu’elle ne l’aurait pas licencié uniquement parce qu’elle entendait progressivement réduire ses activités, mais également pour d’autres motifs liés à sa conduite.

Reprenant la doctrine de W. VAN EECKHOUTTE (W. VAN EECKHOUTTE, « Een kennelijk redelijker ontslagrecht. De rechten van de werknemer i.v.m. de motivering van zijn ontslag », R.D.S., 2015, 700, n° 73) selon laquelle, si l’employeur ne donne qu’un motif et qu’il apparaît plus tard que d’autres sont également à la base du licenciement (motifs différents), l’article 5 de la convention collective est enfreint et l’amende forfaitaire de l’article 7 est due. Ceci ne vaut pas lorsque, à côté du motif réel du licenciement, d’autres motifs sont mentionnés, qui soit ne sont pas établis, soit ne constituent pas les véritables motifs à la base de la mesure.

La société s’étant tenue aux motifs donnés dans son courrier en réponse à la demande du travailleur licencié, seuls ceux-ci doivent être pris en compte comme motifs ayant présidé à la décision.

Il y a dès lors lieu d’examiner ce qu’il en est concrètement.

Sur le plan de la preuve, c’est à la société d’établir qu’elle a l’intention de réduire – et, en fin de compte, d’arrêter – ses activités. Cette preuve n’est cependant pas apportée, celle-ci n’établissant que quelques éléments jugés insuffisants (vente de terrains industriels). L’indemnité est dès lors due et la cour constate que le travailleur – qui réclame le maximum de la fourchette – ne justifie en rien sa demande. Pour la cour, l’indemnité peut être fixée à 4 semaines de salaire, ceci correspondant au degré de « déraisonnabilité » manifeste et étant plus adéquat que le minimum légal.

En ce qui concerne le montant de la condamnation, celui-ci dépendra de l’issue de la réouverture des débats pour ce qui est de l’application de l’article 5bis de la loi.

Intérêt de la décision

Dans cette intéressante espèce, qui mêle deux problèmes juridiques distincts, la Cour du travail de Bruxelles donne un double enseignement :

1. Pour ce qui est de l’article 5bis de la loi du 3 juillet 1978, les conditions d’application de la présomption (irréfragable) supposent que trois conditions soient réunies : quant à l’existence d’un contrat de travail et d’un contrat d’entreprise, quant à l’identité des co-contractants et, également, quant à la nature des activités. L’importance des prestations effectuées dans un statut ou dans l’autre n’est pas prise en compte.

2. Pour ce qui est du licenciement manifestement déraisonnable, il y a lieu de s’en tenir aux motifs donnés dans la lettre visée à l’article 5 de la convention collective de travail n° 109. Le présent arrêt rappelle également que la partie qui réclame l’indemnité est tenue de justifier le quantum, vu l’existence d’une fourchette dans le texte.


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