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Quelques questions spécifiques au licenciement pour motif grave d’un conseiller en prévention auprès d’un C.P.A.S.

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 9 janvier 2018, R.G. 2015/AB/505

Mis en ligne le vendredi 15 juin 2018


Cour du travail de Bruxelles, 9 janvier 2018, R.G. 2015/AB/505

Terra Laboris

Par arrêt du 9 janvier 2018, la Cour du travail de Bruxelles se prononce à la fois sur la question du délai de trois jours à respecter pour licencier un travailleur pour motif grave, dès lors que l’organe qui a le pouvoir de licencier est un organe collégial, ainsi que sur les conditions de débition de l’indemnité de protection d’un conseiller en prévention.

Les faits

Un conseiller en prévention auprès d’un C.P.A.S. bruxellois exerce des activités complémentaires à celles qui font partie de la relation de travail avec le C.P.A.S. Celles-ci sont dans un premier temps autorisées (partiellement). Au fil du temps, il s’avère que les fonctions extérieures sont plus importantes et que le conseiller en prévention reste parfois peu clair sur celles-ci.

Une audition est prévue devant le Conseil de l’action sociale le 27 novembre 2012, pour laquelle les griefs lui ont été communiqués préalablement, ainsi qu’une copie des pièces du dossier. Le conseil de l’intéressé demande que ne soit pas présents à celle-ci le Président du C.P.A.S. et le Secrétaire. Le Conseil de l’action sociale refuse de faire droit à cette demande. Le licenciement pour motif grave est notifié dans les trois jours de l’audition. La lettre de licenciement est extrêmement détaillée.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Bruxelles en paiement de diverses sommes, étant essentiellement une indemnité compensatoire de préavis, une indemnité de protection de conseiller en prévention, ainsi qu’une autre indemnité pour harcèlement moral et des dommages et intérêts pour licenciement abusif, quelques derniers postes étant également repris pour 1 euro provisionnel.

L’intéressé est débouté de sa demande par un jugement du tribunal du travail du 25 janvier 2015.

Il interjette appel, reprenant devant la cour l’ensemble de ses demandes.

La décision de la cour

La cour est dès lors saisie, en premier lieu, de la question du motif grave, pour laquelle elle se penche sur l’organe ayant le pouvoir d’enquêter sur les faits et de licencier. La loi du 8 juillet 1976, organique des C.P.A.S., prévoit en son article 43, alinéa 1er, que tous les membres du personnel sont recrutés ou nommés par le Conseil de l’action sociale. Elle reprend ensuite les dispositions de ce texte relatives aux pouvoirs du Président et du Secrétaire du C.P.A.S. Elle rejette le moyen tiré de la violation du principe d’impartialité (présence des Président et Secrétaire à l’audition du Conseil et à la délibération subséquente alors qu’ils étaient dans une situation de conflit avec l’intéressé), et ce en reprenant la jurisprudence du Conseil d’Etat.

En effet, dans un arrêt du 7 février 2013 (C.E., 7 février 2013, n° 222.420, COECKELBERGHS), la juridiction administrative a considéré que, dès lors que l’action du Secrétaire se limite à assister aux séances du Conseil en tant que Secrétaire de ce dernier, sans voix délibérative, qu’il assure en d’autres termes sa mission légale de « secrétaire notaire », celle-ci n’est pas de nature à compromettre l’impartialité du Conseil de l’action sociale. Le caractère légal de la présence du Secrétaire lors des séances du Conseil permet de neutraliser la question de l’impartialité objective. En ce qui concerne le Président, la cour renvoie à d’autres arrêts du Conseil d’Etat (dont C.E., 17 mai 2016, n° 234.744, DEL PERO), constatant qu’aucun fait précis ne permet de mettre en doute l’impartialité du Président et que rien ne permet de considérer qu’une partialité éventuelle pourrait avoir eu une incidence sur l’issue de la délibération du Conseil. Suite à l’audition, le motif grave justifiant la rupture a en effet été retenu à l’unanimité des membres (hors une abstention), c’est-à-dire par l’ensemble des mandataires élus démocratiquement et de tous bords politiques, ceux-ci ayant en toute indépendance décidé de retenir certains griefs et non d’autres.

Cette question réglée, la cour en vient au respect du délai de trois jours pour licencier, rappelant que, dans le secteur public, si le pouvoir de licencier appartient à un organe collégial qui ne se réunit pas de manière permanente, le délai ne prend cours que lorsque cet organe a, comme tel, été saisi des faits. La connaissance dans le chef de certains de ses membres ne suffit pas. Sous peine de méconnaître le caractère collégial de la décision, ce n’est qu’à l’occasion de la réunion au cours de laquelle les faits sont discutés que le délai prend cours. La cour précise que cette règle concerne notamment les pouvoirs locaux et qu’elle est susceptible d’entraîner une certaine dénaturation des principes qui fondent l’exigence de célérité telle que prévue en la matière. La juridiction doit cependant avoir égard notamment aux principes propres au secteur public, selon lesquels l’autorité chargée d’enquêter sur les faits doit le faire dans un délai raisonnable, sous peine de vicier la procédure.

D’autres renvois sont faits à la jurisprudence du Conseil d’Etat en ce qui concerne le principe du délai raisonnable. En l’occurrence, le Conseil de l’action sociale a été saisi le 27 novembre 2012 et le licenciement a été notifié dans les trois jours.

Cependant, il est constaté que le C.P.A.S. – et son Secrétaire en particulier – ont tardé à mettre en œuvre la procédure de licenciement et que le long délai entre janvier 2012 et novembre 2012 ne s’explique pas. Doit dès lors être vérifié que le principe du délai raisonnable a été respecté.

La cour va conclure à partir d’un ensemble de constatations de fait que le C.P.A.S. a fait durer inutilement l’examen du caractère sérieux des faits pris en considération, à telle enseigne que ceux-ci ne pouvaient plus, à la date du licenciement, être considérés comme étant de nature à rendre immédiatement et définitivement impossible toute collaboration entre parties. La question de l’ancienneté – et même de l’extrême lenteur de l’instruction – aurait dû amener le Conseil à conclure que ces faits n’étaient pas – ou plus – suffisamment graves. La cour considère en conséquence qu’il y a lieu de réformer le jugement et alloue l’indemnité compensatoire de préavis.

Sur l’indemnité de protection vu la loi du 20 décembre 2002 portant protection des conseillers en prévention, elle rappelle que l’article 11 de celle-ci prévoit que l’indemnité de protection est due en cas de licenciement sans préavis, dès lors que le juge, après avoir refusé de reconnaître la gravité des motifs, a admis que ceux-ci ne sont pas étrangers à l’indépendance du conseiller en prévention ou que les motifs invoqués d’incompétence à exercer les missions ne sont pas établis.

En l’occurrence, il n’est pas question d’incompétence, mais il faut savoir si les motifs sont étrangers à l’indépendance du conseiller en prévention. Pour la cour, le principe de l’indépendance ne fait pas obstacle à ce que, pour ce qui concerne l’aspect administratif des fonctions, le conseiller doive rendre des comptes à quelqu’un d’autre que le Président.

En l’espèce, l’intéressé reste en défaut d’établir que c’est son indépendance en tant que conseiller en prévention qui était visée. Le motif du licenciement est étranger à cette question, s’agissant d’activités commerciales exercées sans solliciter les autorisations nécessaires.

La cour n’examine que très sommairement les autres chefs de demande, vu sa conclusion sur les points qui précèdent.

Intérêt de la décision

C’est le délai de trois jours entre la connaissance suffisante des faits et la notification du licenciement pour motif grave qui attire l’intérêt sur cette décision.

Il s’avère en réalité que le délai ici doit être calculé différemment d’hypothèses généralement rencontrées dans le secteur privé, puisque l’organe qui a le pouvoir de licencier est un organe qui doit se prononcer collégialement et qui ne se réunit pas régulièrement.

La cour a considéré que le fait que l’un ou l’autre de ses membres ait eu auparavant connaissance du motif n’implique pas que celle-ci existait au sein de l’organe lui-même. La cour insiste sur l’importance du respect de la collégialité, qui a été rappelé dans divers arrêts rendus par le Conseil d’Etat.

Cette décision peut être rapprochée d’un jugement rendu par le Tribunal du travail du Hainaut (division Charleroi) le 6 février 2018 (R.G. 16/2.873/A – précédemment commenté), où le tribunal avait rappelé, dans une espèce similaire quant aux questions juridiques soulevées, qu’il appartenait à l’autorité publique de démontrer que le Collège communal (compétent en l’espèce) n’avait eu connaissance des faits invoqués au titre de motif grave qu’à la date de sa réunion, la production d’un extrait du procès-verbal ne suffisant pas.


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