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Conditions d’admissibilité aux allocations de chômage pour les artistes

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 3 janvier 2018, R.G. 2016/AB/430

Mis en ligne le vendredi 15 juin 2018


Cour du travail de Bruxelles, 3 janvier 2018, R.G. 2016/AB/430

Terra Laboris

Par arrêt du 3 janvier 2018, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la notion d’activité artistique visée à l’actuel article 10 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991, pour laquelle existe une règle particulière relative au nombre de journées de travail pris en compte sur le plan de l’admissibilité aux allocations de chômage.

Les faits

Un graphiste (dont la tâche consiste principalement à créer des logos, illustrations, pictogrammes, etc.) sollicite le bénéfice des allocations de chômage en janvier 2012. Il y fait état de son activité, exercée depuis 1997.

Pour l’ONEm, le nombre de journées (de prestations ou assimilées) est insuffisant.

L’intéressé introduit une procédure devant le Tribunal du travail de Bruxelles, qui statue le 25 mars 2016 : il décide que l’intéressé ne rentre pas dans le champ d’application de l’article 10 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991, son activité ne relevant ni de la musique ni du spectacle.

Cette décision a été confirmée par la Cour du travail dans un arrêt du 27 juin 2014.

L’arrêté ministériel du 26 novembre 1991 a cependant été modifié depuis le 1er avril 2014 et l’intéressé a réintroduit une demande en septembre 2014. L’ONEm a maintenu sa décision de non-admissibilité. Il fait valoir que l’intéressé avait 44 ans au moment de la demande et devait dès lors – se situant dans la tranche entre 36 et moins de 50 ans – prouver 468 journées de travail au cours des 33 mois précédant la demande d’allocations. Or, le chiffre prouvé est de 246. L’ONEm constate également qu’il ne prouve pas le nombre de journées requis pour la catégorie d’âge supérieure et qu’il ne justifie pas de la moitié ou de deux tiers au moins du nombre de journées de travail permettant de puiser dans le passé professionnel.

Un recours est introduit et le tribunal y fait droit par jugement du 25 mars 2016. La décision de l’ONEm est annulée et le droit reconnu.

L’ONEm interjette appel.

La décision de la cour

Ce sont les articles 30 et suivants de l’arrêté royal organique qui fixent les conditions de stage (en tant que conditions d’admissibilité aux allocations de chômage) et la cour rappelle le mécanisme ainsi que la notion de journées de travail à prendre en considération. Une règle spécifique concerne les artistes, vu qu’ils travaillent généralement dans des contrats de courte durée. L’article 10 de l’arrêté ministériel a ainsi prévu, dans sa mouture actuelle, étant après sa modification par l’arrêté ministériel du 7 février 2014, entré en vigueur le 1er avril 2014, de convertir les montants perçus « au cachet » en jours.

La cour fixe la règle comme suit : le salaire brut/salaire de référence égale le nombre de journées de travail, le calcul étant cependant limité à un maximum de 156 jours par trimestre. Eventuellement, si d’autres journées de travail sont à prendre en compte, elles le sont selon les règles ordinaires.

La cour rappelle ensuite la définition de l’activité artistique au sens de la réglementation : il s’agit de la création et/ou de l’exécution ou de l’interprétation d’œuvres artistiques dans les secteurs suivants : audio-visuel et arts plastiques, musique, littérature, spectacle, théâtre et chorégraphie. La jurisprudence a retenu que l’activité artistique ainsi définie est, sur le plan du contenu de la fonction, relativement large, visant indifféremment la création, l’exécution ou l’interprétation d’œuvres.

Quant à cette notion, elle ne doit pas non plus avoir une définition restrictive (la cour renvoyant à C. trav. Bruxelles, 27 juin 2014, R.G. 2013/AB/872 et 2013/AB/869). Il a ainsi été décidé que la distinction opérée par l’ONEm entre les activités artistiques et les activités purement techniques n’est pas pertinente (le renvoi étant ici fait à une autre décision de la Cour du travail de Bruxelles du 23 août 2017, R.G. 2016/AB/306).

Sur la question du graphisme en tant qu’art plastique, la cour renvoie à l’article 1er du Décret de la Communauté française du 3 avril 2014 relatif aux arts plastiques, qui donne une définition large de ceux-ci. Les créations graphiques peuvent donc, pour la cour, être considérées comme des œuvres d’art.

Examinant le travail concret de l’intéressé et le fait que les contrats de travail mentionnent la nature artistique des prestations, la cour conclut que les travaux en cause sont le fruit de l’imagination de l’intéressé. Ils constituent la mise en forme de ses choix esthétiques. Il y a dès lors création artistique dans le secteur des arts plastiques.

Le dernier point à régler est de savoir si l’intéressé était rémunéré à la tâche, dans la mesure où les salaires perçus étaient sans lien avec un quelconque horaire de travail.

Sur le mode de rémunération, l’ONEm renvoie aux conditions de fixation de la rémunération dans la C.P. 200. Pour la cour cependant, rien n’interdit dans la réglementation de recourir à la rémunération au cachet. En l’espèce, aucun horaire n’avait été préalablement convenu et il n’y avait pas de contrôle du temps effectivement presté. La cour conclut à une rémunération à la tâche.

L’ONEm ne pouvait dès lors rejeter le caractère artistique des prestations sur la base de considérations très générales, critique qui lui est faite par la cour, qui y voit un manquement éventuel au devoir de minutie qui s’impose à toute autorité administrative.

Le jugement du tribunal est ainsi confirmé.

Intérêt de la décision

Les notions d’artiste et d’activité artistique ont été débattues. Elles ont fait l’objet de diverses décisions de la Cour du travail de Bruxelles (notamment) dans le cadre de l’admissibilité au chômage.

L’on peut relever, en sus des décisions auxquelles il est renvoyé dans l’arrêt commenté, qu’une fonction technique peut, dans certains cas, être considérée comme une activité artistique si elle comporte, de manière suffisamment marquée, un apport spécifique à un processus de création, d’exécution ou d’interprétation d’une œuvre d’art entendue de manière large, ainsi pour des prestations de cadreur et de cameraman dans le secteur audio-visuel (C. trav. Bruxelles, 17 mai 2017, R.G. 2015/AB/869) et, de même, pour un renfort perchman ou technicien sur un tournage (C. trav. Bruxelles, 14 juin 2017, R.G. 2014/AB/466).

Dans l’arrêt du 23 août 2017, auquel la cour renvoie expressément, il avait également été souligné que la distinction opérée par l’ONEm entre activité artistique et activité purement technique n’est pas pertinente pour l’application de l’article 10 de l’arrêté ministériel du 26 novembre 1991. Il s’agissait d’activités d’assistant-caméra, premier assistant opérateur cinéma et spécialiste de l’image, qui ont été considérées comme relevant de la création ou, à tout le moins, de l’exécution et de l’interprétation d’œuvres artistiques dans le secteur de l’audio-visuel. Celles-ci ne peuvent être réduites à de simples activités techniques.


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