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Apport de clientèle : notion

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 24 novembre 2017, R.G. 2016/AB/851

Mis en ligne le vendredi 29 juin 2018


Cour du travail de Bruxelles, 24 novembre 2017, R.G. 2016/AB/851

Terra Laboris

Dans un arrêt du 24 novembre 2017, la Cour du travail de Bruxelles fait un rappel très utile des règles en matière d’apport de clientèle, rappelant qu’une distinction doit être faite entre l’hypothèse de l’apport effectif d’une clientèle par le représentant de commerce et l’accroissement d’une clientèle existante.

Rétroactes

Dans le cadre de l’examen d’un licenciement pour motif grave (qu’elle ne retiendra pas, les personnes ayant licencié n’établissant pas avoir eu la qualité pour ce faire), la Cour du travail de Bruxelles est saisie entre autres de la question de la débition par l’employeur d’une indemnité d’éviction, au sens de l’article 101 de la loi sur les contrats de travail.

Il n’est pas contesté que l’intéressé était un représentant de commerce. Par ailleurs, il remplissait la condition d’ancienneté et la société n’établit pas qu’il n’a pas subi de préjudice suite à la rupture, sur le plan de la clientèle. En vertu de l’article 101 LCT, l’indemnité est en effet due si le contrat de travail est résilié par l’employeur sans motif grave ou en cas de démission du représentant de commerce pour motif grave dans le chef de ce dernier.

La décision de la cour

La cour examine, dans le cadre des principes contenus à l’article 101 LCT, les conditions pour l’octroi de l’indemnité, à savoir essentiellement s’il y a eu apport de clientèle. Le but de la disposition légale est d’établir que, par son activité de visite et de prospection, le représentant de commerce a ajouté au patrimoine de l’employeur des clients qui, au moment de son entrée en fonction, ne faisaient pas appel à lui pour l’offre de produits ou de services.

La cour du travail rappelle qu’il faut opérer une distinction entre l’apport propre d’une clientèle et le développement d’une clientèle existante.

La première de ces deux hypothèses se vérifie lorsque le représentant apporte à son nouvel employeur des clients qui, précédemment, étaient ceux de l’employeur précédent et que, par conséquent, il introduit chez ce dernier une clientèle avec laquelle il a déjà pu travailler auparavant, ainsi que la création d’une clientèle, hypothèse dans laquelle le représentant apporte à son employeur des clients qui n’avaient pas déjà été démarchés, ni par la société ni par lui-même.

La cour donne comme exemples d’apport de clientèle la réactivation de clients (qui les amènera à passer de nouveau des commandes, s’agissant de clients qui n’avaient plus conclu avec l’employeur depuis longtemps, de telle sorte qu’ils ne pouvaient plus être considérés comme des clients existants) ainsi que l’introduction de nouvelles gammes de produits auprès des clients existants.

Quant à l’accroissement de la clientèle existante, dû aux efforts et démarches du représentant, et ce auprès de clients existants, ceci ne peut être en principe considéré comme un apport de clientèle entraînant le droit à l’indemnité d’éviction. Seule pourrait être prise en compte, dans ce cas, l’hypothèse d’un client qui, au moment de l’entrée en fonction du représentant, ne réalise avec l’employeur qu’un chiffre d’affaires dérisoire, chiffre que le représentant fait croître de manière considérable, vu le volume d’affaires qu’il a développé avec le client.

La cour reprend ensuite les principales décisions rendues par la Cour de cassation en ce qui concerne l’apport de clientèle. Elle passe en revue les conditions essentielles, étant que, pour qu’un client soit « apporté », il est exigé que ce client puisse renouveler sa commande. Ceci vise la possibilité pour le client de procéder de la sorte, mais la preuve de la passation effective de nouvelles commandes n’est pas exigée. Ceci serait, en réalité, ajouter à la loi.

La question de l’importance de la clientèle fait également débat et, à cet égard, la cour du travail rappelle que l’apport ne doit pas être considérable. A l’opposé, l’apport de quelques clients ne suffit pas.

Les règles sont différentes en cas d’existence d’une clause de non-concurrence dans le contrat de travail, puisque celle-ci implique une présomption d’apport de clientèle, qu’il convient alors à l’employeur de renverser.

Sur le plan de la preuve, celle-ci peut être apportée par tous moyens de droit, témoignages y compris. Dès lors que le représentant dépose une liste de clients aux fins d’établir la réalité de l’apport, la force probante de celle-ci dépend de la réaction de l’employeur. L’employeur doit dès lors collaborer à l’établissement des faits permettant d’établir (ou non) le bien-fondé de la demande du travailleur, et la cour souligne que ceci vaut en l’espèce d’autant plus que l’employeur est supposé être en possession de tous les éléments qui lui permettent d’établir dans quelle mesure les données produites par le travailleur correspondent à la réalité.

La cour souligne qu’en doctrine (J. LAENENS, K. BROECKX, D. SCHEERS, Handboek gerechtelijk recht, Intersentia, Anvers, Oxford, 500, n° 1084-1085), en matière civile, l’on ne peut admettre que la charge de la preuve dépende d’un aléa de procédure qui ferait d’une partie ou d’une autre le demandeur ou le défendeur, mais qu’il faut appliquer la règle selon laquelle, si une partie dispose d’éléments de preuve, elle est tenue de les fournir. Il appartient au juge de déterminer, dans le cadre du partage de la charge de la preuve, laquelle des parties est la plus susceptible de pouvoir apporter cette preuve, dans les circonstances de l’espèce.

Dans le cas examiné, la société conteste que les clients repris sur la liste présentée par le représentant de commerce soient des clients apportés par lui, et ce par de brèves mentions, telles que le fait qu’il ne s’agirait plus d’un client aujourd’hui, qu’il était déjà client au moment de l’entrée en service du représentant, ou qu’il a en réalité été apporté par quelqu’un d’autre.

Cependant, aucune preuve de ces éléments n’est apportée. La cour fait dès lors droit à la demande de l’intéressé, sur la base de la liste qu’il a produite et qui n’est pas sérieusement contestée par la société.

Le représentant a dès lors droit à l’indemnité d’éviction, calculée sur la même base que l’indemnité compensatoire de préavis de l’article 39, § 1er, 2e alinéa, LCT, à savoir que n’est pas seulement prise en compte la rémunération, mais également les avantages du contrat.

L’indemnité est en l’occurrence de 9 mois de rémunération, vu que l’ancienneté se situait entre 30 et 35 ans de service.

Intérêt de la décision

Cet arrêt rappelle quelques règles relatives à la notion de clientèle dans les contrats des représentants de commerce.

La Cour de cassation a, au fil du temps, balisé la matière sur la notion d’apport. Les principes dégagés par la Cour suprême sont utilement rappelés dans l’arrêt. C’est, cependant, sur la question de la preuve que cet arrêt est innovant, puisqu’il reprend une opinion de doctrine selon laquelle les règles classiques en matière de charge de la preuve sont aléatoires, puisqu’elles dépendent de la position des parties, qu’elles soient demanderesse ou défenderesse. La solution prônée par ces auteurs est d’aller dans le sens d’un partage de la charge de la preuve, étant qu’il doit être décidé par le juge quelle partie est le mieux à même de produire tel ou tel élément de preuve. Généralement, cette question se règle à travers les principes relatifs à l’administration de la preuve, principes selon lesquels il est généralement admis que le défendeur ne peut se borner à contester, sans plus, les prétentions du demandeur.


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