Terralaboris asbl

Débition de la cotisation de solidarité sur des véhicules utilitaires mis à disposition des travailleurs : conditions

Commentaire C. trav. Mons, 23 novembre 2017, R.G. 2016/AM/196

Mis en ligne le vendredi 29 juin 2018


Cour du travail de Mons, 23 novembre 2017, R.G. 2016/AM/196

Terra Laboris

Dans un arrêt très fouillé du 23 novembre 2017, la Cour du travail de Mons rappelle la distinction à opérer entre les véhicules ordinaires et les véhicules utilitaires, en vue de la détermination de la débition de cotisations de solidarité en cas de mise à disposition des travailleurs, ainsi que la présomption légale existant à cet égard (présomption simple).

Les faits

Une société spécialisée dans l’installation de sanitaires et de chauffage fait l’objet d’une enquête de la part de l’Inspection sociale (Contrôle de l’application des lois sociales). Celle-ci porte essentiellement sur les véhicules mis à disposition de certains membres du personnel, étant certains employés.

Le rapport établi en 2011 fait apparaître que l’employeur n’a pu établir que l’utilisation des véhicules a été interdite à d’autres fins qu’à des fins professionnelles, ceci ne figurant ni dans le règlement de travail ni dans un autre règlement interne, aucun système de contrôle réel et effectif n’existant quant à l’utilisation privée de ces véhicules et aucun système n’ayant non plus été mis en place prévoyant des sanctions dissuasives en cas d’une telle utilisation.

Il s’agit de quatre véhicules utilisés par des dépanneurs et de huit véhicules de chantier non remisés.

Pour les quatre premiers véhicules, la société a déclaré la cotisation de solidarité.

Une décision de régularisation intervient, suite à cette enquête, et l’O.N.S.S. décide, en conséquence, de procéder d’office à la demande de paiement de la cotisation de solidarité. Toutes réserves sont faites en ce qui concerne d’éventuelles majorations, intérêts de retard et autres indemnités en application de l’arrêté royal du 29 novembre 1969.

L’avis rectificatif est ensuite envoyé. Il porte sur un montant de l’ordre de 10.000 euros, s’agissant en gros de 3.350 euros de montants principaux et de 6.700 euros d’indemnités forfaitaires. Cette première régularisation concerne les quatre premiers véhicules.

Un second avis est envoyé pour un montant de l’ordre de 94.000 euros, ventilé en gros de la même manière que le précédent.

La société effectue un paiement partiel mais introduit cependant un recours devant le Tribunal du travail de Tournai (section Mouscron). Elle demande la mise à néant des avis rectificatifs et la condamnation de l’O.N.S.S. au remboursement des sommes qu’elle a payées.

Par jugement du 10 juin 2014, le tribunal a dit pour droit qu’aucune cotisation de solidarité n’était due pour la première catégorie de véhicules et a condamné l’O.N.S.S. à 1 euro provisionnel au titre de remboursement des cotisations payées.

Le tribunal a ainsi fait droit à la demande de la société pour les quatre véhicules dépanneurs mais non pour les huit véhicules non remisés tous les soirs dans l’entreprise.

La décision de la cour

La cour se penche essentiellement sur les conditions de l’application de la cotisation de solidarité. Elle constate en premier lieu que la question a été définitivement tranchée pour ce qui est des quatre véhicules dépanneurs, n’étant pas saisie de cette question dans le cadre de l’appel. Se pose, dès lors, la question de l’examen des huit autres.

La cotisation de solidarité a été fixée par l’article 38, § 3quater, 1°, de la loi du 29 juin 1981 établissant les principes généraux de la sécurité sociale des travailleurs salariés. Dans sa version applicable à l’époque des faits, celle-ci est due par l’employeur qui met à disposition de son travailleur, de manière directe ou indirecte, un véhicule également destiné à un usage autre que strictement professionnel, et ce indépendamment de toute contribution financière du travailleur (financement ou utilisation). Il faut entendre par là la mise à disposition d’un véhicule immatriculé au nom de l’employeur ou faisant l’objet d’un contrat de location, de leasing ou autres (sauf si l’employeur démontre soit que l’usage autre que strictement professionnel est le fait d’une personne qui n’entre pas dans le champ de la sécurité sociale des travailleurs salariés, soit que l’usage est strictement professionnel).

La cour passe par les définitions des termes de la loi, à savoir ceux de « véhicule » (avec renvoi à l’arrêté royal du 15 mars 1968 portant règlement général sur les conditions techniques auxquelles doivent répondre les véhicules automobiles), « usage autre que strictement professionnel » (trajet domicile-lieu de travail parcouru individuellement, usage privé et transport collectif des travailleurs) et « travailleur » (avec référence à la loi du 27 juin 1969 ou aux personnes exclues de celle-ci mais occupées soit dans les liens d’un contrat de travail, soit selon des modalités similaires).

La cour reprend ensuite les conditions énoncées à l’article 38, § 3quater, pour la débition de la cotisation, rappelant qu’a été insérée par la loi du 20 juillet 2005 une présomption selon laquelle tout véhicule qui peut être utilisé à des fins privées par le travailleur est considéré comme effectivement utilisé également à de telles fins. Cette présomption est instaurée pour une perception correcte de la cotisation de solidarité. Elle peut être renversée par l’employeur par toute voie de droit.

En l’occurrence, s’agissant des véhicules de chantier, la cour relève que l’employeur reste en défaut de démontrer que les conditions sont remplies pour échapper au paiement de la cotisation de solidarité eu égard à la condition relative au transport collectif de travailleurs. Au contraire, pour la société, ils servent à un co-voiturage occasionnel. Cependant, des instructions ont été données aux membres du personnel, leur rappelant qu’il est strictement interdit d’utiliser les véhicules en dehors des heures de travail pour un usage privé (des notes de service ayant été produites à cette fin et un rapport d’une réunion syndicale le confirmant, de même que l’absence de couverture omnium en cas d’accident en dehors des heures de travail).

D’autres explications factuelles sont données quant à la nécessité pour la société, vu son objet social, d’effectuer de nombreux déplacements et interventions, des dépannages, etc.

Examinant, dans ce contexte, si la présomption est renversée par l’employeur, la cour retient que, dans le cadre de son renversement, celui-ci peut également invoquer utilement que la nature des véhicules ainsi que leur équipement ne permettent pas un usage privé. Il s’agit en l’espèce de véhicules de type utilitaire équipés de matériel professionnel (véhicules aménagés particulièrement pour le transport de matériel et de marchandise, ne permettant pas le transport de passagers).

Elle renvoie ensuite aux instructions O.N.S.S., qui distinguent les véhicules ordinaires et les véhicules utilitaires. Par « véhicule utilitaire », il faut viser les camionnettes (critère fiscal). Ceux-ci sont imposés sur la base de la valeur réelle de l’avantage (et non forfaitairement). Quant aux « véhicules ordinaires », il s’agit de tous les autres véhicules des classes M1 et N1 (voiture personnelle, voiture mixte, mono-volume, etc.). Est un véhicule ordinaire un véhicule dont la banquette arrière est convertible en une plate-forme de chargement et est un véhicule utilitaire celui qui a un espace de chargement à l’arrière, sans fenêtres, dans lequel aucun passager ne peut être transporté. Pour ces derniers, l’usage privé n’est pas présumé mais les services d’inspection ont la charge de la preuve de cet usage.

La cour relève encore que ces instructions fixent une ligne de conduite uniforme pour l’interprétation de la réglementation. Ces règles ont ensuite été intégrées dans la disposition elle-même par la loi du 20 juillet 2015 portant dispositions diverses en matière sociale.

Elle reprend l’avis du Conseil National du Travail à ce moment, qui a considéré qu’il s’agissait de dispositions purement techniques et que la modification intervenue n’a pas été de nature à modifier le fond du texte.

Elle réforme dès lors le jugement en ce qu’il avait exclu les véhicules non remisés du bénéfice de son dispositif.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Mons, très motivé sur le point technique examiné, présente un intérêt évident, dans la mesure où le rappel de la législation avant (et après) la loi du 20 juillet 2015 portant des dispositions diverses en matière sociale souligne que celle-ci n’a pas modifié le fondement des règles, celles-ci ayant précédemment déjà été reprises dans les instructions de l’O.N.S.S. La cour a par ailleurs précisé que celle-ci avait introduit deux exceptions au principe selon lequel, en cas de mise à disposition du véhicule pour des déplacements domicile-lieu de travail, la cotisation était due même si l’usage privé était interdit et que l’interdiction avait été respectée, l’O.N.S.S. ayant admis que certains trajets devaient être exclus de la notion de déplacement domicile-lieu de travail.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be