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Action en cessation pour discrimination sur la base du handicap

Commentaire de Prés. Trib. trav. Liège (div. Namur) (réf.), 9 mars 2018, R.G. 17/22/C

Mis en ligne le lundi 16 juillet 2018


Prés. Tribunal du travail de Liège (div. Namur) (réf.), 9 mars 2018, R.G. 17/22/C

Terra Laboris

Dans une ordonnance très motivée su 9 mars 2018, le Président du Tribunal du travail de Liège (division Namur) accueille une demande de UNIA tendant à faire cesser un comportement discriminatoire dans le chef d’un employeur public, étant le refus d’aménagements raisonnables du travail, vu l’existence d’un handicap.

Les faits

UNIA (Centre interfédéral pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme et les discriminations) a introduit une action devant le Président du Tribunal du travail de Liège (division Namur), action fondée sur la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre certaines formes de discrimination. Il est demandé au président du tribunal de constater la discrimination dont est victime une travailleuse au service d’une commune de la Province de Namur. UNIA demande que celle-ci soit condamnée à mettre en place les aménagements nécessaires à la poursuite de la fonction de l’intéressée, avec astreinte.

Celle-ci s’est en effet vu refuser la poursuite de la dispense de travail à concurrence de deux demi-journées par semaine, devant recevoir des soins appropriés. La Commune a également refusé de faire droit à sa demande de télétravail. L’intéressée estime qu’il s’agit de mesures de discrimination au travail prohibées par le Décret wallon du 6 novembre 2008.

Les faits – longuement repris par le président du tribunal dans son ordonnance – reprennent l’historique des questions de santé de l’intéressée, qui a subi deux lourdes opérations et a été ultérieurement victime d’un accident de roulage. Elle a obtenu une dispense de service de deux demi-journées par semaine pour effectuer des soins indispensables, dont de la kinésithérapie.

Une prime de compensation a été accordée par l’AViQ à la Commune pour une période allant jusqu’au 31 mai 2017. Certaines tensions entre les parties furent constatées dans le courant de l’année 2016. En fin d’année, UNIA intervint, adressant un courrier très circonstancié à la Commune. Le conseiller en prévention-médecin du travail recommanda la poursuite d’aménagements raisonnables en avril 2017, dont la possibilité de télétravail, demande qui fut appuyée par le conseil de l’intéressée. Elle fut cependant suivie d’un refus de la Commune, refus exprimé par une décision unanime de son Collège. L’intéressée tenta tant bien que mal de concilier les exigences de son état de santé avec ses obligations professionnelles, prenant des jours de congé quand elle le pouvait. En fin de compte, elle recontacta UNIA, qui introduisit, fin 2017, une action en cessation. Elle intervient volontairement dans celle-ci.

La décision du président du tribunal

L’ordonnance rappelle le texte légal, en ce compris les règles en matière de preuve. Elle en vient ensuite à la jurisprudence européenne en matière de handicap et s’arrête plus particulièrement aux arrêts FOA, RING et Z. Elle se réfère à un commentaire publié suite à l’arrêt DAOUIDI (C.J.U.E., 1er décembre 2016, Aff. n° C-395/15, www.terralaboris.be), qui pose notamment deux questions, d’une part celle de l’intérêt (et de la nécessité ?) de recourir au nouveau dispositif intégré par l’arrêté royal du 28 novembre 2016, le « trajet de réintégration d’un travailleur qui ne peut plus exercer le travail convenu temporairement ou définitivement », ainsi que la question de l’étendue et de la portée des aménagements. Il faut en effet savoir s’ils s’imposent, s’ils portent sur un autre travail que celui convenu et si l’employeur s’oppose à les envisager. L’article en cause, cité par l’ordonnance, précise que l’on doit déplorer un manque d’articulation entre le droit du travail classique (centré sur la notion de « travail convenu ») et le droit de la discrimination, ceci lorsque les aménagements conduisent à modifier substantiellement la fonction convenue.

En l’espèce, il est constaté, via l’examen des formulaires d’évaluation de santé ainsi que les rapports de divers médecins consultés (et encore une attestation circonstanciée de kinésithérapie), que l’on est en présence d’un handicap et que celui-ci s’est aggravé depuis l’accident de la route (2014).

Après avoir souligné que la quantité et la qualité de travail de l’intéressée ne font pas l’objet de critiques objectives, le président pose diverses questions, à l’intention de la Commune, exprimant son incompréhension quant au refus de celle-ci, à l’absence de solution alternative, etc., alors que le S.P.M.T. a émis plusieurs recommandations claires.

Celles-ci sont « superbement » (sic) ignorées par la Commune, et ce alors qu’elle reconnaît le handicap de son employée, son aggravation, les soins prodigués ainsi que les souffrances subies.

La décision judiciaire considère que cette attitude est difficilement compréhensible et qu’elle semblerait même traduire l’exercice d’un abus de pouvoir et d’autorité, à savoir d’un abus de droit.

Le président conclut dès lors, sur le plan de la preuve, que UNIA et l’intéressée établissent des faits qui permettent de présumer l‘existence d’une discrimination fondée sur un des critères protégés au sens de l’article 29 du Décret et que l’administration communale n’apporte pas la preuve du contraire. Il ordonne dès lors la cessation de ces faits dans le délai qu’il fixe dans son dispositif.

Les deux aménagements proposés, étant une dispense partielle de prestations et le recours au télétravail, sont considérés comme des mesures appropriées prises en fonction des besoins de l’intéressée dans une situation concrète pour lui permettre d’accéder, de participer et de progresser dans les domaines pour lesquels le Décret est d’application. Par ailleurs, elles ne constituent pas une charge disproportionnée, la dispense de deux demi-journées pouvant être compensée de façon suffisante par une intervention de l’AVIQ. Quant au télétravail, l’ordonnance relève que rares sont aujourd’hui les services publics où celui-ci n’est pas appliqué, voire même favorisé.

Il fait également droit à la demande d’astreinte.

Enfin, une demande d’indemnisation ayant été introduite, le président estime être compétent pour examiner celle-ci, s’agissant d’un préjudice essentiellement moral. Il rappelle que le législateur a décidé de forfaitiser le dommage à l’équivalent de 6 mois de rémunération brute, le but du système étant d’une part d’éviter les comportements de discrimination et, d’autre part, de faciliter la tâche de la victime quant à la preuve. La Commune est ainsi condamnée à un montant de l’ordre de 44.000 euros.

Intérêt de la décision

Cette ordonnance est un exercice complet sur la question. L’action en référé est en effet introduite par UNIA, les éléments permettant d’établir l’existence d’une discrimination fondée sur le handicap sont reconnus et l’employeur reste en défaut d’apporter la preuve qui lui incombe, à savoir que les éléments avancés par la partie demanderesse ne constituent pas des actes de discrimination. Enfin, dans le cadre de cette action en cessation, le président admet l’octroi à l’intéressée de l’indemnité forfaitaire de 6 mois.

L’intérêt supplémentaire de cette décision est de renvoyer à la jurisprudence européenne en matière de handicap, cette notion ayant considérablement évolué, dans le sens d’une acception large. Il est également renvoyé, dans l’ordonnance, à un commentaire de doctrine, récent et rédigé suite à l’arrêt du 1er décembre 2006 (arrêt DAOUIDI, Aff. n° C-395/15). Ce commentaire – dont des extraits ont été repris expressément dans l’ordonnance – déplore le manque de lien entre le dispositif anti-discrimination et l’actuel trajet de réintégration. La question est susceptible d’évoluer fortement dans les mois qui viennent, vu l’actualité de la problématique en cause.


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