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Recherche d’un emploi dans un autre Etat membre de l’UE : durée de l’absence du territoire national au sens du Règlement n° 883/2004

Commentaire de C.J.U.E., 21 mars 2018, Aff. n° C-551/16 (KLEIN SCHIPHORST c/ RAAD VAN BESTUUR VAN HET UITVOERINGSINSTITUUT WERKNEMERSVERZEKERINGEN)

Mis en ligne le vendredi 3 août 2018


Cour de Justice de l’Union européenne, 21 mars 2018, Aff. n° C-551/16 (KLEIN SCHIPHORST c/ RAAD VAN BESTUUR VAN HET UITVOERINGSINSTITUUT WERKNEMERSVERZEKERINGEN)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 mars 2018, la Cour de Justice de l’Union européenne rappelle que l’article 64, § 1er, sous c), du Règlement n° 883/2004 ne prévoit pas un droit automatique à l’extension de la période de trois mois autorisée en vue de rechercher un emploi à l’étranger à un maximum de six mois.

Les faits

Un ressortissant néerlandais résidant aux Pays-Bas, où il bénéficie de prestations de chômage, informe l’institution nationale de son intention de se rendre en Suisse pour chercher un emploi. Il demande à bénéficier des allocations de chômage, ce qui lui est accordé pour une période de trois mois (1er septembre – 30 novembre 2012). Il sollicite ensuite l’extension de cette période et ceci est rejeté, l’institution néerlandaise motivant sa position par la circonstance qu’elle ne faisait pas usage de la faculté accordée aux services ou aux institutions compétentes en vertu de l’article 64, § 1er, sous c), du Règlement n° 883/2004 d’étendre la période d’exportation des prestations de chômage jusqu’à un maximum de six mois.

Un recours a été introduit, recours qui a abouti devant le Rechtbank Amsterdam (Tribunal d’Amsterdam), au motif de l’absence de motivation suffisante de la décision.

Une nouvelle décision a dès lors été prise, allant cependant toujours dans le même sens. L’institution néerlandaise y fait valoir que les chances de trouver un emploi sont en général plus grandes aux Pays-Bas que dans d’autres pays et, en conséquence, expose avoir pour principe de ne pas prolonger l’exportation de prestations de chômage après la période de trois mois, s’agissant d’instructions ministérielles. Elle considère qu’il n’est pas déraisonnable en l’espèce de s’en tenir à ce principe, vu la situation.

Un nouveau recours est introduit mais est rejeté, le tribunal considérant que la faculté visée à l’article 64, § 1er, sous c), du Règlement a un caractère discrétionnaire et qu’il était dès lors loisible à l’institution nationale de mettre cette faculté en œuvre (ou non) conformément aux règles du droit interne.

Appel est interjeté par l’intéressé devant le Centrale Raad van Beroep (Cour d’appel en matière de sécurité sociale et de fonction publique). La cour émettant des doutes sur la conformité avec le droit de l’Union, elle saisit la Cour de Justice. Elle pose deux questions préjudicielles.

Les questions préjudicielles

La première porte sur la faculté figurant à l’article 64, § 1er, sous c), du Règlement n° 883/2004. La cour d’appel demande si celle-ci peut être exercée, eu égard aux articles 63 et 7 du même texte, ainsi qu’à son objectif et à sa finalité, et encore vu le principe de la libre circulation des personnes et des travailleurs, en refusant par principe toute demande d’extension de la durée de l’exportation des prestations de chômage, sauf si l’institution nationale devait estimer que des circonstances particulières en l’espèce (ainsi l’existence de perspectives concrètes et perceptibles d’emploi) ne lui permettraient pas raisonnablement de la refuser.

La deuxième question est posée au cas où la première appellerait une réponse négative, étant de savoir comment les Etats doivent exercer cette faculté.

L’arrêt de la Cour

La Cour examine uniquement la première question. Dans son rappel des principes, elle revient sur le but du Règlement n° 883/2004, règlement de coordination qui a procédé à la modernisation et à la simplification des règles du Règlement n° 1408/71 tout en conservant, sur la question posée, le même objectif que celui-ci. Est autorisée l’absence d’un chômeur du territoire national pour rechercher un emploi dans un autre Etat membre (ou en Suisse, vu les termes de l’accord CE-Suisse) pour une période de plus de trois mois.

Le texte du Règlement précise que cette période « peut » être étendue par les services ou institutions compétents, et ce jusqu’à un maximum de six mois. Ce terme n’impose pas aux institutions compétentes d’étendre jusqu’à un maximum de six mois la période en cause. Le Règlement n’organise pas, par ailleurs, un régime commun de sécurité sociale, mais laisse subsister des régimes nationaux distincts. Il a pour unique objet d’assurer la coordination entre ceux-ci afin de garantir l’exercice effectif de la libre circulation des personnes. Il laisse ainsi subsister des régimes différents engendrant des créances distinctes à l’égard d’institutions distinctes contre lesquelles le prestataire possède des droits directs en vertu soit du seul doit interne, soit du droit interne complété si nécessaire par le droit de l’Union (considérant 44, qui rappelle notamment les arrêts BREY du 19 septembre 2013, Aff. n° C-140/12, et COMMISSION c/ ROYAUME-UNI du 14 juin 2016, Aff. n° C-308/14).

Le droit au maintien des prestations de chômage pendant une période de trois mois contribue à assurer le principe de la libre circulation des travailleurs. L’exportation de ces prestations n’est garantie dans le Règlement que pendant cette période de trois mois mais, en vertu du droit national, celle-ci peut faire l’objet d’une extension jusqu’à un maximum de six mois.

Cette interprétation n’est pas remise en cause par le principe de la levée des clauses de résidence. Celles-ci s’appliquent en effet uniquement dans les cas prévus à l’article 64 du Règlement et dans les limites qui y sont fixées. Reprenant l’avis de l’Avocat général, la Cour souligne encore que les disparités existant entre les régimes et les mesures des Etats membres qui ont mis en œuvre cette faculté ne peuvent être considérées comme des restrictions à la libre circulation des travailleurs dès lors que l’article 48 T.F.U.E. prévoit une coordination des législations et non une harmonisation. Les différences de fond et de procédure entre les divers régimes de sécurité sociale et, par conséquent, dans les droits des personnes qui y sont affiliées, ne sont pas touchées par cette disposition.

Pour ce qui est des critères pouvant être fixés pour ladite prolongation, lorsque la faculté est exercée, l’institution nationale doit adopter, vu l’absence de critères dans le Règlement lui-même, des mesures nationales encadrant la marge d’appréciation de l’institution compétente.

En l’espèce, l’institution nationale a motivé sa décision, se référant d’ailleurs dans un premier temps à une instruction du Ministre des Affaires sociales et de l’Emploi. Elle a ultérieurement fait valoir que des circonstances particulières propres à l’espèce, étant notamment l’existence de perspectives concrètes et perceptibles d’emploi, pouvaient justifier que la demande soit acceptée, notamment si l’intéressé se trouvait dans un processus susceptible d’aboutir à un tel emploi et qui requérait l’extension du séjour dans l’Etat d’accueil, ou encore qu’il avait une déclaration d’intention de la part d’un employeur lui offrant une perspective réelle d’engagement.

Elle conclut que, dans de telles circonstances, l’Etat membre est resté dans les limites autorisées par le droit de l’Union, en adoptant des mesures au terme desquelles l’extension ne pouvait être accordée que lorsque certaines conditions sont satisfaites.

Intérêt de la décision

L’extension de la période autorisée d’absence du territoire national en vue de la recherche d’un emploi est le fruit d’une modification du texte figurant dans le Règlement n° 883/2004. La Cour de Justice souligne à diverses reprises que l’article 64 du Règlement, intitulé « Chômeurs se rendant dans un autre Etat membre », contient une possibilité d’extension de la période traditionnellement admise pour la recherche d’un nouvel emploi. Ceci ne peut, cependant, être considéré comme une prolongation automatique, qui interviendrait – par exemple – sur pied de la seule demande du chômeur. Les institutions nationales sont en effet autorisées à définir des critères devant être réunis dans la mise en œuvre de cette faculté. La Cour rappelle encore que l’article 64 n’assure le droit au paiement des prestations de chômage que pendant la période de trois mois et que c’est dans les limites de cette durée que doit être respecté le principe de la libre circulation des travailleurs.


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