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Perception d’intérêts fictifs sur compte courant par un administrateur de société : exercice d’une activité professionnelle ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 14 décembre 2017, R.G. 2016/AB/673

Mis en ligne le vendredi 3 août 2018


Cour du travail de Bruxelles, 14 décembre 2017, R.G. 2016/AB/673

Terra Laboris

Dans un arrêt du 14 décembre 2017, la Cour du travail de Bruxelles reprend les conditions dans lesquelles les mandataires de société sont susceptibles d’être assujettis au statut social des travailleurs indépendants, rappelant qu’une double présomption existe dans le cadre de ce statut social et que, à défaut d’être renversées, l’assujettissement est de droit.

Les faits

Une assurée sociale sollicite le bénéficie d’une pension de retraite, qui lui est accordée en mai 2010. Celle-ci renonce à ce moment aux indemnités de chômage dont elle bénéficiait et déclare qu’elle n’exerce plus d’activité professionnelle.

Quatre ans plus tard, en 2014, l’I.N.A.S.T.I. informe cependant le SPF de ce que l’intéressée a été administratrice d’une société jusqu’en septembre 2012 et qu’en 2011, alors qu’elle bénéficiait déjà de sa pension de retraite, elle a perçu une rémunération de dirigeante d’entreprise de l’ordre de 27.800 euros. L’I.N.A.S.T.I. a considéré qu’elle devait dès lors être assujettie au statut social jusqu’en septembre 2012 à titre complémentaire. Vu l’absence de revenus (sauf en 2011), aucune cotisation n’a été due pour la période d’assujettissement.

L’intéressée expose, via son comptable, qu’il s’agit de la valeur des intérêts fictifs calculés sur le compte courant dont elle a bénéficié suite à la vente à la société d’un immeuble qui lui appartenait en propre.

Le SPF prend la décision de suspendre la pension de retraite pour toute l’année 2011, considérant qu’il s’agit d’une activité professionnelle ayant engendré des revenus dépassant les limites autorisées.

L’intéressée conteste, via son conseil, avoir exercé une quelconque activité professionnelle, précisant que le mandat qu’elle détenait était « formel », vu que le Code des sociétés impose à toute société anonyme de compter trois administrateurs. Elle fait également valoir que le mandat était exercé à titre gratuit et n’a jamais exigé de prestations particulières et qu’elle n’avait d’ailleurs pas les compétences pour les effectuer.

Elle maintient que les revenus sont le fruit de l’existence d’un compte courant et que c’est l’administration fiscale qui a considéré qu’il y avait lieu de retenir des intérêts fictifs sur celui-ci. Il s’agit, pour elle, non d’une activité réelle mais du « résultat technique de règles fiscales inhérentes à l’existence d’un compte courant dans une société anonyme ».

L’I.N.A.S.T.I. maintenant sa position, étant que l’exercice d’un mandat est de manière irréfragable présumé constituer l’exercice d’une activité entraînant l’assujettissement (présomption devenue réfragable vu la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, dans son arrêt du 3 novembre 2004), l’assujettissement doit être maintenu à titre complémentaire, jusqu’en septembre 2012, l’intéressée étant bénéficiaire d’allocations de chômage jusqu’en 2010 et d’une pension de retraite ensuite.

Une procédure est initiée devant le Tribunal du travail du Brabant wallon et, par jugement du 31 mai 2016, celui-ci déboute l’intéressée.

Elle interjette appel.

La décision de la cour

Les règles applicables figurent à la fois dans l’arrêté royal n° 50 du 24 octobre 1967 relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs salariés (article 25, alinéas 1er et 2) et dans l’arrêté royal du 21 décembre 1967 portant règlement général du régime (article 64, § 2, A). Il s’agit des conditions de l’activité professionnelle autorisée, activité admise dans les limites du plafond.

Pour la cour, vu la référence à l’arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, il faut apprécier la notion d’activité au sens de cette réglementation.

La question posée en l’espèce est le bénéfice d’un compte courant à charge de l’entreprise dont l’intéressée était administrateur. La cour renvoie à l’appréciation de l’administration fiscale, étant que la gratuité de ce bénéfice génère un revenu, en l’occurrence des intérêts fictifs, sur lesquels elle a été taxée comme « rémunération de dirigeant d’entreprise ». La cour estime être liée par cette qualification fiscale, dans la mesure où elle n’a pas été contestée.

Il en découle que l’appelante fait l’objet d’une double présomption, étant qu’elle a bénéficié de revenus taxables (comme indépendante) et qu’elle est titulaire d’un mandat dans une société commerciale. La mention de la gratuité dans les statuts est inopérante à renverser la conclusion ci-dessus. L’intéressée aurait dû démontrer qu’elle n’avait jamais exercé d’activité en qualité d’administrateur. Or, ceci n’étant pas fait, les présomptions ne sont nullement renversées. Ainsi, elle aurait pu établir que la société était inactive, que son état de santé ne lui permettait pas de participer à sa gestion, qu’elle n’assistait pas aux réunions (C.A. et A.G.), etc.

L’appelante ayant cru bon de déposer dans ses pièces un mandat donné à son comptable pour la représenter à un C.A., la cour y voit précisément un acte de gestion…

Le jugement est dès lors confirmé.

Intérêt de la décision

La situation des mandataires de société eu égard aux présomptions d’exercice d’activité indépendante est connue. La jurisprudence a eu, depuis l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 3 novembre 2004 (n° 176/2004), l’occasion d’affiner, au fil du temps, les exigences posées pour qu’il ne soit pas conclu à l’assujettissement (gratuité du mandat prouvée en fait et en droit, société dormante,…). L’on notera qu’en l’espèce, la cour ajoute spécifiquement le critère de l’état de santé, considérant que, si la personne avait pu établir que son état de santé ne lui avait nullement permis de participer à la vie de la société, l’absence d’activité aurait pu être retenue.

L’intérêt particulier de la décision réside, cependant, dans la question des intérêts fictifs. Il semble que la formule retenue ait été élaborée avec le comptable de l’intéressée, étant que, pour l’année en cause (postérieure au bénéfice de la pension de retraite), aucune rémunération n’avait été déclarée en tant que telle. C’est par la correction fiscale qui a attiré l’attention de l’I.N.A.S.T.I. La cour confirme ici que cette question de perception d’intérêts fictifs ne permet pas d’éluder l’assujettissement, dans la mesure où les juridictions sociales sont tenues par la qualification donnée par l’administration fiscale, étant que ces montants ont été taxés comme rémunération de dirigeant d’entreprise et que cette qualification n’a pas été contestée.


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