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Obligations de l’employeur dans le cadre de la Directive n° 89/391/CEE : incidence sur le montant de la pension de retraite ?

Commentaire de C.J.U.E., 21 mars 2018, Aff. jointes n° C-133/17 et C-134/17 (PODILĂ et alii c/ SOCIETATEA NAŢIONALĂ DE TRANSPORT FEROVIAR DE CĂLĂTORI « CFR CĂLĂTORI » SA BUCUREŞTI et MUCEA c/ SMDA MUREŞ INSOLVENCY SPRL, agissant en qualité de curateur à la faillite de SC INDUSTRIA SÂRMEI SA CÂMPIA TURZII)

Mis en ligne le vendredi 14 septembre 2018


Cour de Justice de l’Union européenne, 21 mars 2018, Aff. jointes n° C-133/17 et C-134/17 (PODILĂ et alii c/ SOCIETATEA NAŢIONALĂ DE TRANSPORT FEROVIAR DE CĂLĂTORI « CFR CĂLĂTORI » SA BUCUREŞTI et MUCEA c/ SMDA MUREŞ INSOLVENCY SPRL, agissant en qualité de curateur à la faillite de SC INDUSTRIA SÂRMEI SA CÂMPIA TURZII)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 mars 2018, la Cour de Justice examine des affaires roumaines (qu’elle joint) relatives particulièrement à la Directive n° 89/391/CEE concernant la sécurité et la santé des travailleurs au travail, dont elle rappelle qu’elle comporte des principes généraux concernant la prévention des risques professionnels, l’élimination des facteurs de risques et d’accidents et les lignes générales pour la mise en œuvre des garanties qu’elle contient. Elle ne peut cependant être invoquée à l’appui d’une demande de correction du montant de la pension de retraite qui dépendrait des conditions de travail auxquelles le travailleur a été soumis.

Les faits

Deux recours sont introduits devant la Cour de Justice. Ils sont joints par celle-ci, posant une problématique commune. Il s’agit d’affaires roumaines, dans lesquelles d’une part un serrurier-monteur et d’autre part un chauffagiste et trempeur chef d’équipe ont saisi les juridictions nationales aux fins d’obtenir une majoration de leur pension de retraite, majoration prévue dans certaines hypothèses où les travailleurs ont été exposés à des conditions particulières ou spéciales. Il s’agit de conditions de travail considérées difficiles et dangereuses.

L’objet de la demande devant le juge national est d’obtenir la condamnation de l’Etat roumain à payer les contributions sociales dues pour les activités exercées dans de telles conditions au cours d’une période donnée. Les deux affaires ont été jugées par la Curtea de Apel Cluj (Cour d’appel de Cluj), qui a décidé de surseoir à statuer et de poser deux questions (identiques) à la Cour de Justice, dans la mesure où aucun recours interne de droit commun n’existe en cas de non prise en compte de la partie de la carrière prestée dans de telles conditions si s’est posé un problème de classement de l’activité du travailleur dans l’entreprise.

Les questions préjudicielles

La première question porte sur le T.F.U.E. (articles 114, § 3, 151 et 153) ainsi que sur la Directive n° 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail (article 9 en particulier). Le juge national demande si ces dispositions s’opposent à ce qu’un Etat membre introduise des délais et des procédures limitant l’accès à la justice en ce qui concerne le classement comme lieu de travail exposant les travailleurs à des conditions particulières ou spéciales, les privant ainsi du droit à la sécurité et à la santé au travail résultant de ce classement conformément aux réglementations internes.

La seconde question, portant particulièrement sur l’article 9, sous a), de la Directive n° 89/391/CEE, porte sur le point de savoir si cet article s’oppose à une législation interne qui ne sanctionne pas la passivité de l’employeur en ce qui concerne l’obtention d’une évaluation des risques concernant la sécurité et la santé au travail.

La décision de la Cour

La Cour résume les questions (qu’elle traite ensemble) comme suit : les dispositions en cause s’opposent-elles à la réglementation nationale roumaine qui lui est soumise fixant des délais stricts et des procédures qui ne permettent pas aux juridictions nationales de revoir ou d’établir le classement des activités des travailleurs dans différents groupes à risque sur la base desquels sont calculées les pensions de retraite ?

La Cour rejette en premier lieu l’examen de la cause eu égard aux dispositions du Traité visées. L’article 114 ne contient en effet pas d’obligations spécifiques à charge des Etats membres, non plus que les articles 151 et 153 en matière de calcul et de limitation des droits à la pension ou de sécurité sociale. Il n’y a pas, pour la Cour, d’indication quant au lien pouvant exister entre la réglementation visée et les dispositions du Traité.

Elle se penche ensuite sur la Directive n° 89/391/CEE. Elle rappelle que celle-ci énonce des principes généraux, étant les obligations incombant à l’employeur en matière de protection de la sécurité et de la santé des travailleurs notamment. Les obligations faites à celui-ci sont de procéder à une évaluation des risques pour la santé et la sécurité, en ce compris ceux concernant les groupes de travailleurs à risques particuliers, ainsi que de déterminer les mesures de protection à prendre.

En l’occurrence, les questions posées se situent dans un cadre particulier, étant le classement des lieux de travail des intéressés pour les besoins de la détermination de leur pension de retraite. Il n’est pas demandé de faire constater que l’employeur n’a pas respecté les obligations qui lui incombaient, ni que les conditions dans lesquelles les requérants ont exercé leur travail ne sont pas conformes aux exigences en matière de sécurité et de santé au travail, mais bien de faire reconnaître que les lieux auraient dû être classés en tant que lieux de travail exposant les travailleurs à des conditions particulières ou spéciales, et ce en vue d’une augmentation de leur pension de retraite.

La loi roumaine qui a transposé la Directive n° 89/391/CEE prévoit que les travailleurs et/ou leurs représentants ont le droit de faire appel à l’autorité compétente en matière de sécurité et de santé au travail s’ils estiment que les mesures prises par l’employeur ne sont pas suffisantes pour garantir la sécurité et la santé au travail et, de même, sont prévues des sanctions en cas d’inobservation de ces obligations.

N’étant pas contesté que la transposition est conforme, la Cour constate ici également que la situation qui lui est soumise ne relève pas du champ d’application de la Directive.

En conclusion, les délais stricts et les procédures fixés par la loi roumaine qui ne permettent pas aux juridictions nationales de revoir ou d’établir le classement des activités des travailleurs dans différents groupes à risques (en vue du calcul des pensions de retraite) ne heurtent pas les dispositions citées du Traité non plus que la Directive n° 89/391/CEE, qui ne trouvent ainsi pas à s’appliquer.

Intérêt de la décision

Le droit national prévoit, en l’espèce, que les critères et la méthode de classement comme lieu de travail exposant des travailleurs à des conditions particulières ou spéciales sont établis par décision du Gouvernement. Des actes normatifs ont été pris, visant à établir ceux-ci et à fixer des délais pour mettre en œuvre les procédures correspondantes. Depuis le 1er avril 2001, les lieux de travail considérés comme exposant les travailleurs à des conditions particulières ou spéciales sont listés dans des annexes au texte. Des dispositions spécifiques prévoient également les conditions de renouvellement des avis de classement et des procédures de réévaluation interviennent tous les 5 ans. Pour les travailleurs qui bénéficient d’une pension du système public de pension, des points peuvent être cumulés à raison de 50% pour certaines périodes et 25% pour d’autres.

Il n’y a pas de voie de recours de droit commun visant à faire constater ces conditions particulières ou spéciales de travail ou tendant à faire condamner les employeurs à classer les lieux de travail comme exposant les travailleurs à de telles conditions lorsqu’ils n’ont pas obtenu ou, le cas échéant, lorsqu’ils n’ont pas renouvelé les avis de classement. En outre, en-dehors des activités visées aux annexes au texte légal, il n’y a pas non plus de voie de recours.

La question est, pour la Cour de Justice, purement nationale, aucune infraction à l’article 9 de la Directive n° 89/391/CEE ne pouvant être retenue, puisqu’en vertu de ce texte, l’employeur doit disposer d’une évaluation des risques et déterminer les mesures de protection à prendre en matière de sécurité et de santé au travail. L’incidence de ces obligations sur l’objet du litige, étant la détermination des droits en matière de pension de retraite, est en-dehors du champ d’application de la Directive.

L’on notera cependant que la Cour a relevé qu’il ne peut être exclu d’emblée qu’un système de classement des activités des travailleurs en différentes catégories pour les besoins du calcul des pensions de retraite selon des procédures administratives spécifiques et des délais stricts puisse avoir une incidence sur le respect des obligations incombant aux employeurs en vertu de la Directive. Ceci doit cependant être vérifié par la juridiction nationale (considérant 42).


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