Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 février 2018, R.G. 2016/AB/1.083
Mis en ligne le lundi 29 octobre 2018
Cour du travail de Bruxelles, 21 février 2018, R.G. 2016/AB/1.083
Terra Laboris
Dans un arrêt du 21 février 2018, la Cour du travail de Bruxelles rappelle qu’en la matière, la définition de l’unité technique d’exploitation ne fait ni référence aux critères de la loi du 20 septembre 1948 ni à ceux de la loi du 4 août 1996, servant à déterminer les entreprises soumises à l’obligation d’organiser des élections sociales.
Les faits
Une société, existant depuis 1983, fait l’objet d’une procédure de réorganisation judiciaire en 2009. Une ancienne gérante est redésignée à cette fonction. Dans le cours de la procédure de réorganisation judiciaire, le fonds de commerce de la société est cédé à cette dernière, ainsi qu’à un tiers, qui agit au nom d’une société en voie de constitution. Pour ce qui est du personnel, il est repris en totalité, et ce aux conditions existantes, comprenant tous les avantages quelconques dont il bénéficie, en ce compris son ancienneté.
Une nouvelle société est constituée en 2011, dont la même gérante est propriétaire d’un quart des parts sociales, le solde appartenant à deux sociétés anonymes.
Trois travailleurs sont engagés aussitôt. Ceux-ci travaillaient pour l’ancienne société. Pour ceux-ci, la nouvelle société a demandé à l’O.N.S.S. des réductions « premiers engagements ». L’ancienne société est alors déclarée en faillite.
Deux ans et demi plus tard, l’O.N.S.S. décide d’annuler les réductions « premiers engagements » accordées, au motif qu’il s’agissait de la même unité technique d’exploitation. Les cotisations réclamées sont de l’ordre de 8.600 euros.
Dans le cadre de la procédure d’opposition à contrainte, en 2014, la société nouvelle postule l’annulation de la contrainte et le bénéfice de la réduction O.N.S.S. pour l’ensemble des travailleurs.
Elle considère que son actionnariat et sa gérance sont tout à fait différents de la situation de la société faillie et estime qu’elle est étrangère à celle-ci.
La contrainte a été confirmée par jugement du tribunal du travail du 25 octobre 2016 et la société demande à la cour de réformer celui-ci.
La décision de la cour
La cour est ainsi saisie des articles 335 et suivants de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002. A l’époque des faits, cette disposition prévoit que, dans certaines conditions, l’employeur peut bénéficier temporairement d’une réduction de cotisations de sécurité sociale pour trois travailleurs nouvellement engagés, et ce au maximum. L’on ne peut cependant remplacer un travailleur actif dans la même unité technique d’exploitation au cours des quatre trimestres précédant l’engagement (article 344).
La question de l’occupation n’est pas contestée.
Le point en litige est dès lors de vérifier s’il y a une même unité technique d’exploitation. Cette situation est en effet exclusive de la réduction autorisée.
La cour rappelle que la notion d’unité technique d’exploitation n’est pas définie dans la loi, non plus que dans celle qui l’a précédée, qui était une loi-programme du 30 décembre 1988. Il n’y a pas de référence aux législations en matière d’élections sociales.
Selon une abondante jurisprudence, ces critères ne sont pas comme tels applicables, ce que la cour reprend. Il s’agit essentiellement de décisions de la Cour du travail de Bruxelles (dont C. trav. Bruxelles, 22 octobre 2015, R.G. 2014/AB/788 et C. trav. Bruxelles, 3 septembre 2015, R.G. 2014/AB/819). La cour rappelle également la réponse à une question parlementaire n° 676 (Bull. Q. & R., Ch., 9 novembre 1998, L49, Bull. 150, p. 20449).
La Cour de cassation est intervenue dans un arrêt du 29 avril 2013 (Cass., 29 avril 2013, n° S.12.0096.N), qui impose de vérifier l’existence d’une telle U.T.E. à la lumière de critères socio-économiques : l’entité qui occupe le travailleur nouvellement engagé a-t-elle des liens sociaux et économiques avec celle qui, au cours des douze mois précédant le nouvel engagement, a occupé un travailleur qui est remplacé par le nouveau travailleur ? En réalité, ce qui est visé est que l’engagement ne doit pas intervenir sans aucune création réelle d’emploi. Dans d’autres arrêts, la Cour de cassation avait confirmé que la réduction est autorisée uniquement s’il y a une réelle création d’emploi dans la même unité technique d’exploitation (voir notamment Cass., 7 juin 2010, n° S.09.0107.N et Cass., 1er février 2010, n° S.09.0017.N).
Dans les faits, la cour conclut, comme le premier juge, que les liens économiques et sociaux sont certains : reprise du fonds de commerce et engagement à maintenir les conditions de travail du personnel, constat que les travailleurs pour qui la réduction est demandée prestaient pour l’ancienne société jusqu’à la veille de leur « engagement » par la nouvelle.
La cour retient encore d’autres éléments, à titre surabondant : même gérante, même localisation des activités, même clientèle, mêmes activités elles-mêmes (ou similarité), même matériel, même adresse et même siège social.
Il y a une seule U.T.E. et il n’y a donc pas eu de création d’emploi.
Les autres éléments (faillite, absence d’identité des organes respectifs, modification du logo, de la clientèle alors qu’elle fait partie du fonds de commerce) ne sont pas de nature à permettre de retenir l’absence d’U.T.E. L’élément important est la convention de cession.
La société demandant, à titre subsidiaire, que la question soit posée à la Cour constitutionnelle de la possible existence d’une violation des articles 10 et 11 de la Constitution, dans la mesure où la cession du fonds de commerce est intervenue dans le cadre d’une réorganisation judiciaire sous le contrôle d’une autorité de justice, la cour retient que, s’il y avait violation (la loi ne contenant pas d’exception en cas de transfert de personnel intervenant dans une telle situation), celle-ci ne pourrait le cas échéant que déboucher sur le constat d’une lacune dans la législation et celle-ci ne pourrait être comblée que par le législateur.
La cour ne pose dès lors pas la question préjudicielle suggérée.
Reste un dernier point relatif au contrôle du juge : la société considérant que la décision n’est pas motivée, la cour rappelle qu’elle dispose d’un pouvoir de réformation, étant que, si la décision est irrégulière sur le plan formel, le juge ne peut l’écarter purement et simplement sans constater que les cotisations ne sont effectivement pas dues.
Intérêt de la décision
La question se pose régulièrement de rechercher s’il y a même unité technique d’exploitation, dans le cadre de la loi-programme autorisant la réduction de cotisations de sécurité sociale en cas de nouvel engagement.
La cour rappelle deux questions importantes sur cette faculté : il faut qu’il y ait une réelle création d’emploi et, par ailleurs, la notion d’U.T.E. n’est pas celle des législations en matière d’élections sociales.
L’on notera néanmoins qu’il faut rechercher les critères économiques et sociaux, dont il n’est, dans cette matière, pas dit que les critères sociaux priment (ce qui est le cas dans le cadre des lois du 20 septembre 1948 et du 4 août 1996).
Un dernier point important est que, pour la cour, l’élément à retenir est la cession du fonds de commerce, cession qui est assurément de nature à retenir les liens sociaux et économiques requis, la loi ne faisant pas d’exception pour la cession intervenue dans le cadre d’une procédure de réorganisation judiciaire intervenant sous contrôle d’une autorité de justice.