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Présomption d’exposition au risque de maladie professionnelle dans le secteur public

Commentaire de C. trav. Mons, 28 mars 2018, R.G. 2017/AM/103

Mis en ligne le lundi 7 janvier 2019


Cour du travail de Mons, 28 mars 2018, R.G. 2017/AM/103

Terra Laboris

Par arrêt du 28 mars 2018, la Cour du travail de Mons statue sur la question de la présomption d’exposition au risque professionnel dans le secteur public, considérant qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation qu’elle s’applique également aux maladies hors liste. Dès lors que celle-ci est établie et que la maladie est en lien de causalité avec ladite exposition, il y a lieu à réparation.

Les faits

Mme C. est facteur à la Poste depuis 40 ans.

Elle a développé une tendinite à l’épaule droite dans les années 1990 et a été opérée. Elle a ensuite développé une pathologie au niveau de l’épaule gauche.

Une demande de reconnaissance de maladie professionnelle a été introduite en 2007, demande rejetée au double motif du caractère aspécifique de l’affection et de l’absence de lien causal. Une procédure a été introduite devant le Tribunal du travail du Hainaut (division de Tournai). Mme C. a déposé un rapport circonstancié d’un médecin légiste, qui conclut que la pathologie peut être mise en relation avec l’activité professionnelle. Il fixe le taux d’I.P.P. à 12%.

Peu après l’introduction de la demande, l’intéressée a été déclarée définitivement inapte à l’exercice normal et régulier de sa fonction, ne pouvant par ailleurs pas être réaffectée.

Elle bénéficie ainsi d’une pension prématurée depuis cette date.

Les décisions du tribunal

Trois jugements ont été rendus par le tribunal du travail.

Dans le premier, du 22 octobre 2010, un expert a été désigné, celui-ci déposant son rapport au greffe en juin 2011. Dans le rapport, il conclut que l’affection ne trouve pas sa cause directe et déterminante dans l’exercice de l’activité professionnelle, précisant que cette conclusion doit être maintenue même si cette activité joue dans le temps certainement un rôle significatif.

Le tribunal, dans un deuxième jugement du 22 juin 2012, a demandé à l’expert de se charger d’une mission complémentaire et de recourir à un sapiteur. Le rapport complémentaire de l’expert ne se prononce pas sur le lien de causalité lui-même mais sur les conclusions à retenir si ce lien n’est pas retenu ou s’il l’est. Dans cette deuxième branche de l’alternative, il fixe des périodes d’incapacité de travail et un taux d’I.P.P. de 6%.

Le tribunal a ensuite rendu un troisième jugement, le 24 février 2017, concluant qu’il n’y a pas de maladie professionnelle. L’intéressée est déboutée de son recours.

Appel est interjeté par celle-ci.

Position des parties devant la cour

L’appelante introduit une double demande, étant à titre principal dans le système ouvert et à titre subsidiaire dans le système fermé. Elle plaide que, dans le système ouvert, l’article 30bis des lois coordonnées n’exige pas que le risque professionnel soit la cause principale ou exclusive de la maladie et que, dans le système fermé, les éléments médicaux figurant au dossier démontrent qu’elle est atteinte de la maladie reprise sous le code 1.606.22.

Pour Bpost, il y a lieu de confirmer le jugement en ce qu’il a retenu que n’est pas établi un lien direct et déterminant avec le risque professionnel (système ouvert). Quant à la partie de la demande relative à l’indemnisation dans le système fermé, elle doit être jugée irrecevable, contrairement à ce qu’a décidé le premier juge, vu le non-respect du préalable administratif.

Dans l’hypothèse où la maladie professionnelle serait reconnue dans le cadre de la demande originaire, il propose des périodes d’incapacité et une limitation du taux d’I.P.P. à 2%. Il fait encore une demande à titre plus subsidiaire, étant que, si la demande dans le cadre de la liste doit être examinée, l’expert judiciaire doit se voir confier une expertise complémentaire afin de savoir si la pathologie en cause rentre dans le code indiqué et si l’intéressée a été exposée au risque de cette maladie.

La décision de la cour

La cour rend un arrêt de principe sur les règles d’indemnisation de l’accident du travail dans le secteur public.

Pour la définition de la maladie professionnelle, il y a renvoi aux lois coordonnées du 3 juin 1970 (secteur privé), la cour rappelant également les règles en matière de preuve. En l’espèce, il s’agit de l’application de l’arrêté royal du 5 janvier 1971, qui contient la présomption d’exposition au risque professionnel, présomption réfragable, pour tout travail effectué au sein d’un organisme public.

La Cour de cassation est intervenue dans un arrêt du 4 avril 2016 (Cass., 4 avril 2016, n° S.14.0039.F), aux termes duquel, si, s’agissant de maladies professionnelles reconnues comme telles, l’arrêté royal applicable au personnel du secteur public, comme la loi du 3 juillet 1967, fait référence aux articles 30 et 30bis des lois coordonnées applicables dans le secteur privé, l’article 5 de cet arrêté, qui subordonne la réparation du dommage à la condition d’exposition au risque professionnel, exclut l’application de l’article 32 des lois coordonnées auquel il ne se réfère pas davantage que la loi du 3 juillet 1967 elle-même.

Il s’agissait en l’occurrence d’un sapeur-pompier, pour lequel était applicable l’arrêté royal du 21 janvier 1993 et la Cour de cassation a considéré qu’en tenant l’article 32, alinéa 2, des lois coordonnées du 3 juin 1970 pour applicable au litige relatif à la réparation de la maladie professionnelle dont il aurait été victime, il y a violation des dispositions légales.

Pour la cour du travail, cet enseignement peut être transposé aux travailleurs du secteur public, tels que l’appelante, dans la mesure où l’article 4, alinéa 2, de l’arrêté royal du 5 janvier 1971 est le pendant de l’article 5, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 21 janvier 1993.

Le régime probatoire est dès lors le suivant :

  • S’il s’agit d’une demande en système ouvert, l’intéressée doit prouver l’existence de n’importe quelle maladie, ainsi que le lien de causalité entre cette maladie et l’exercice de la profession : la maladie doit trouver sa cause directe et déterminante dans celui-ci.
  • Pour la demande en système fermé, il s’agit uniquement de prouver que la maladie dont l’intéressée est atteinte figure sur la liste.

La demande formée à titre principal est faite dans le système ouvert. Pour la cour du travail, la Cour de cassation a clairement considéré dans son arrêt que, dans le secteur public, la présomption d’exposition au risque professionnel s’applique tant aux maladies de la liste qu’aux maladies hors liste. Dès lors ainsi que la pathologie est avérée et que la présomption d’exposition au risque professionnel n’est pas renversée, il y lieu à réparation.

Examinant les rapports de l’expert – dont elle relève à certains égards l’inexactitude et les contradictions –, la cour en revient à l’enseignement de la Cour de cassation dans son arrêt du 2 février 1998 ainsi qu’à la doctrine (S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., n° 2/13, p. 489), selon laquelle, par cet arrêt, la Cour de cassation a singulièrement réduit la portée des termes légaux, permettant d’en revenir à la conception de la causalité issue de la théorie de l’équivalence des conditions. Il y aura ainsi causalité lorsque la maladie ne serait pas survenue ou aurait été moins grave sans l’exercice de la profession, peu importe qu’il y ait d’autres causes, étrangères, à celui-ci. Dès lors que la victime établit le lien entre la maladie et cet exercice, elle n’est pas tenue de prouver l’importance de l’influence des autres causes potentielles.

La cour reprend également la jurisprudence des cours du travail de Liège et de Bruxelles sur la question (C. trav. Liège, 27 janvier 2012, R.G. 2011/AL/273 et C. trav. Bruxelles, 10 mai 2010, R.G. 2008/AB/51.275).

Même si en l’espèce existe une cause endogène, le lien de causalité ne peut être exclu. La cour le retient donc.

Elle réserve encore quelques développements à la question du préalable administratif, concluant à la recevabilité de l’extension du recours (renvoyant à Cass., 12 décembre 2016, n° S.15.0068.F).

Intérêt de la décision

Cet arrêt est le juste prolongement de la jurisprudence de la Cour de cassation sur la question.

Deux arrêts de la Cour suprême y sont rappelés et ce sont ceux-ci qui balisent la matière sur le plan de la preuve.

Dans le premier, du 2 février 1998, la Cour de cassation avait posé le principe qu’il ne ressort pas des travaux parlementaires que, par les termes « déterminante et directe », l’article 30bis ait disposé que le risque professionnel doit être la cause exclusive ou principale de la maladie et que le lien de causalité prévu par l’article 30bis ne requiert pas que l’exercice de la profession soit la cause exclusive de celle-ci. Cet article n’exclut pas une prédisposition ni n’impose que l’ayant-droit doive établir l’importance de l’influence exercée par cette dernière.

Dans un arrêt du 4 avril 2016, la Cour de cassation a rappelé que l’article 5 de l’arrêté royal du 21 janvier 1993 exclut l’application de l’article 32 des lois coordonnées, la loi du 3 juillet 1967 ne s’y référant pas non plus. Dans la présente espèce, la cour du travail précise que l’enseignement de cet arrêt peut être transposé aux travailleurs du secteur public couverts par l’arrêté royal du 5 janvier 1971, puisque l’article 4, alinéa 2, de celui-ci est le pendant de l’article 5, alinéa 1er, de celui du 21 janvier 1993.


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