Terralaboris asbl

Notion d’exécution du contrat de travail et accident du travail

C. trav. Liège (div. Liège), 10 septembre 2018, R.G. 2017/AL/517

Mis en ligne le mardi 26 février 2019


Cour du travail de Liège (division Liège), 10 septembre 2018, R.G. 2017/AL/517

Terra Laboris

Dans un important arrêt rendu le 10 septembre 2018, la Cour du travail de Liège fait un rappel complet de l’évolution jurisprudentielle de la notion d’exécution « au cours » du contrat de travail, telle que contenue à l’article 7 de la loi du 10 avril 1971. Elle dégage, sur la base de nombreux indices, les éléments permettant de conclure que la liberté du travailleur était limitée pendant une période de voyage à l’étranger (à caractère mixte).

Les faits

Un journaliste, rédacteur en chef d’un mensuel sportif, preste, depuis 2011, rédigeant des éditoriaux et des articles. Il est le seul francophone, aucun autre collaborateur n’étant attaché à la rédaction de l’édition francophone de la revue.

En 2014, il effectue un voyage en moto en Corse, avec d’autres personnes, souhaitant, selon ses explications, réaliser un reportage aux fins de publication dans la revue. Il prend ainsi quatre jours de congé et se rend en Corse. Il prévoit un circuit pour un premier parcours en boucle. Il est victime d’une chute et percute un muret. Après être hospitalisé sur place (fracture vertébrale), il est rapatrié. Il subit des lésions et séquelles importantes. Pour l’employeur, informé de l’accident, il n’est pas possible de déclarer celui-ci au motif qu’il se serait produit pendant les vacances de l’intéressé. Celui-ci se refuse à « requalifier » ses jours de congé en jours de travail. La déclaration est faite, mais reprend que l’accident est survenu en dehors du travail, pendant les vacances.

Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Namur, tendant à obtenir la réparation des séquelles dans le cadre de la loi du 10 avril 1971.

Celui-ci fait droit à la demande, admettant qu’il s’est agi d’un accident survenu dans le cours de l’exécution du travail.

La position des parties devant la cour

Pour l’assureur-loi, l’accident n’est pas survenu « dans le cours de l’exécution du contrat de travail ». Il plaide l’absence d’autorité ou de surveillance de l’employeur, s’agissant d’un voyage de pure convenance personnelle. Il y avait suspension du contrat. S’agissant du critère d’exécution, l’assureur pose la question de savoir si le travailleur était sous l’autorité, la surveillance et la direction de l’employeur au moment des faits, à savoir si sa liberté personnelle était limitée en raison de cette exécution. Il reprend longuement les circonstances du voyage, le fait que l’employeur n’aurait confié aucune tâche ou mission en ce sens, l’absence de plausibilité d’un « projet rédactionnel » et autres éléments factuels.

Pour l’intimé, il exécutait au moment de la survenance de l’accident une tâche professionnelle. Il s’agissait de récolte du matériel nécessaire à la rédaction d’un article devant figurer dans la revue dont il était le rédacteur en chef. Dans la mesure où un travail a été effectué pendant les « congés » qu’il a pris, l’accident peut être qualifié d’accident du travail, le contrat ayant continué à être exécuté pendant ceux-ci. Il fait notamment valoir la grande autonomie de son travail, l’absence d’obligation de prester dans les locaux de l’entreprise, le caractère mixte de son voyage, le fait qu’il avait préparé son projet avant son départ (contacts, équipement, notes, information aux collègues néerlandophones, etc.).

Pour lui, l’aspect professionnel du voyage a emporté des restrictions à sa liberté personnelle. Le mode organisationnel choisi n’exclut nullement la possibilité de la subordination du fait que le contrôle, l’autorité et la surveillance de l’employeur s’exercent en définitive sur le résultat final attendu.

La décision de la cour

La cour, qui rappelle la règle de l’article 7, alinéas 1er et 3, de la loi du 10 avril 1971 relative à la présomption d’exécution, se livre à des développements doctrinaux très importants sur la notion de « cours de l’exécution du contrat de travail ». Elle rappelle l’évolution de cette définition en jurisprudence et, notamment par le renvoi à la doctrine de J.-Fr. LECLERCQ (J.-Fr. LECLERCQ, « La notion d’accident survenu dans le cours de l’exécution du contrat de travail dans la doctrine des arrêts de la Cour », Discours prononcé à l’audience solennelle de rentrée du 2 septembre 2002, J.T.T., 2002, pp. 349 à 357), souligne qu’est visée l’exécution du contrat de travail et non (notion plus restreinte) l’exécution du travail.

La cour rappelle qu’il s’agit d’une notion indissolublement liée à la définition de l’autorité de l’employeur, qui est la clé de voûte du mécanisme légal. La restriction de la liberté du travailleur est le corollaire de cette autorité. Celle-ci peut – et la cour le rappelle longuement – s’exercer de façon virtuelle.

Elle renvoie à un arrêt qu’elle a rendu précédemment (C. trav. Liège, 8 mai 2015, R.G. 2014/AL/524), où elle a jugé que l’interprétation très large de la Cour de cassation de la notion d’exécution du contrat a pour seul but de protéger la victime dans toutes les circonstances où elle se trouve sous l’autorité de l’employeur, même si ces circonstances ne permettent d’établir que l’exercice d’une autorité purement virtuelle. Il s’agissait d’une secrétaire médicale travaillant au domicile privé de son employeur et qui avait terminé sa journée de travail. Elle avait été mordue par le chien de l’épouse de ce médecin pendant qu’elle était venue la saluer avant de quitter le bureau. La cour y avait déduit qu’elle se trouvait toujours dans le cours de l’exécution du contrat de travail au moment où l’accident s’était produit, quand bien même avait-elle achevé ses prestations.

Un élément particulier de la présente espèce est le fait que l’accident est survenu au cours d’une suspension légale des obligations découlant du contrat de travail. La Cour de cassation avait posé les principes sur cette question dans un arrêt du 10 janvier 1983 (Cass., 10 janvier 1983, Pas., 1983, p. 543), considérant que, lorsque l’exécution du contrat de travail est suspendue, l’employeur et le travailleur peuvent cependant décider que le travail convenu sera exécuté, totalement ou partiellement. L’accident dont le travailleur est victime à ce moment est survenu au cours de l’exécution du contrat de travail au sens de l’article 7 de la loi du 10 avril 1971. Le travailleur qui accomplit le travail convenu exécute celui-ci alors même qu’une disposition légale – fût-elle d’ordre public – interdit d’accomplir ce travail.

La cour rappelle qu’il s’agissait en l’espèce d’un jeune représentant de commerce, qui, durant l’accomplissement de son service militaire, avait bénéficié d’une permission de sortie au cours d’un séjour à l’hôpital militaire. Il avait mis celle-ci à profit pour effectuer une prospection et avait été victime d’un accident de la circulation.

La cour rencontre ensuite les arguments des parties sur la problématique de l’exécution du contrat, s’attachant particulièrement à la question du travail effectué. La cour rappelle le caractère mixte du voyage, étant à la fois privé et professionnel, caractère très largement étayé, pour des motifs qu’elle énumère, à partir des éléments de fait. L’intéressé établit avoir fourni durant ce séjour de vacances un travail directement en lien avec l’exécution de son contrat, même si une partie du projet avait un caractère privé.

Pour ce qui est de l’impossibilité de tout contrôle susceptible d’être exercé par l’employeur, la cour retient l’autonomie totale dont il jouissait dans l’exécution de son contrat de travail, n’étant en fin de compte tenu que d’une obligation de résultat, à savoir de produire des articles en nombre suffisant, dans le respect de la ligne éditoriale du magazine, en vue d’assurer douze éditions par an.

Est également pointé le fait que l’entreprise connaissait des difficultés économiques à ce moment, ce qui avait amené l’intéressé à prendre personnellement en charge les frais de ce court séjour.

L’examen très minutieux auquel se livre la cour en ce qui concerne l’ensemble des circonstances concrètes de l’exécution du contrat aboutit à la conclusion que l’exercice de l’autorité et du contrôle par l’employeur sur les prestations de travail n’était pas impossible.

Enfin, sur les limitations de la liberté personnelle de l’intéressé, celles-ci sont établies par les éléments du dossier produits par lui, étant les contraintes matérielles et intellectuelles inhérentes à l’exécution du contrat de travail de rédacteur en chef de la revue en cause.

Quant à l’accord de l’employeur, même s’il n’est pas avéré de manière expresse, la cour considère que l’on ne peut exclure qu’il ait été donné implicitement, dès lors qu’il est démontré qu’il s’agissait là d’une pratique courante au sein de l’entreprise, relevant d’un mode d’organisation propre à celle-ci et donc du mode normal d’exécution du contrat de travail.

La cour admet, en conséquence, comme le tribunal, qu’il y avait exécution du contrat de travail.

Intérêt de la décision

Cet imposant arrêt de la Cour du travail de Liège reprend en détail tous les éléments exigés par l’article 7 de la loi du 10 avril 1971 pour que soit rencontré le critère de l’exécution du contrat de travail. La cour y passe en revue les arrêts déterminants rendus par la Cour de cassation sur cette notion, dont elle souligne qu’en l’absence de définition légale, c’est la jurisprudence qui en a progressivement dessiné les contours. Il est renvoyé à l’important discours de M. le Procureur général LECLERCQ prononcé à l’audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation du 2 septembre 2002, ainsi encore qu’à d’autres décisions intervenues depuis.

Relevons enfin que, dans un précédent arrêt de la même cour du travail – précédemment commenté –, il avait été admis que l’exécution du contrat pouvait être retenue même après la constatation de la fin de l’exécution du travail, dans les circonstances de l’espèce, étant que l’employée (secrétaire) passait généralement de la partie professionnelle du domicile de son employeur où elle prestait à la partie privative, et ce afin de saluer son épouse. Un fait apparemment mineur (morsure du petit chien), mais engendrant des séquelles importantes, avait été admis comme s’étant produit dans le cours de l’exécution du contrat.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be