Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Huy), 14 mai 2018, R.G. 17/11/A
Mis en ligne le vendredi 15 mars 2019
Tribunal du travail de Liège (division Huy), 14 mai 2018, R.G. 17/11/A
Terra Laboris
Le Tribunal du travail de Liège (division Huy) a repris les principes sur la question dans un jugement rendu le 14 mai 2018, rappelant que seule la préparation à l’exercice d’une activité concurrente future est admise.
Les faits
Un employé vendeur est licencié moyennant prestation d’un préavis de 3 mois et 12 semaines en août 2016. Une quinzaine de jours plus tard, la société dénonce un motif grave. Celui-ci se fonde, selon l’employeur, sur des conversations Facebook que l’employé a eues pendant ses heures de travail, sur le lieu de travail, et ce avec un client du magasin et un collègue. L’employé aurait fait état de la mauvaise santé financière du magasin, de l’imminence de la fermeture, etc. L’employeur reproche dès lors à l’employé d’avoir gravement nui aux intérêts de la société et à sa réputation. Il signale également avoir appris que l’intéressé avait contacté des fournisseurs directs pour préparer un projet professionnel concurrent.
L’intéressé ne marque pas accord avec la position de l’employeur et conteste l’existence du motif grave.
Vu l’échec des discussions entre parties, il introduit une procédure devant le tribunal du travail.
La décision du tribunal
Le tribunal reprend la grille d’analyse du motif grave, telle que généralement retenue (respect des délais, obligation de précision des motifs et exigence d’une faute à ce point grave qu’elle rend immédiatement et définitivement impossible la poursuite de toute relation contractuelle). Le tribunal rappelle également qu’il faut que celle-ci entraîne la perte de confiance entre les parties et qu’existe une hiérarchie dans les fautes graves, certaines de celles-ci n’étant pas des motifs graves parce qu’elles ne sont pas de nature à empêcher immédiatement la poursuite des relations contractuelles.
Il y a dès lors lieu, pour le tribunal, d’examiner successivement les propos calomnieux qui sont reprochés à l’intéressé et l’activité concurrente.
Pour le premier point, s’agissant d’une appréciation de fait, le tribunal estime que les propos repris dans les conversations privées avec des connaissances ne peuvent être qualifiés de propos calomnieux et diffamants. Il n’est pas rapporté par ailleurs qu’un impact quelconque de ces propos aurait été constaté sur l’activité commerciale.
Pour ce qui est de la concurrence déloyale, il reprend un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 14 décembre 2016 (C. trav. Bruxelles, 14 décembre 2016, R.G. 2014/AB/595), dont il cite un attendu important, la cour du travail ayant précisé dans sa décision que, si le travailleur toujours en service exerce une activité concurrente de celle de son employeur, celle-ci sera considérée comme déloyale. Seule la préparation à l’exercice d’une activité concurrente future est admise, la cour citant le fait de constituer une société, de prendre une participation dans une société concurrente, de prendre certains renseignements, ou encore de réaliser certaines négociations ou transactions, sans cependant entamer ladite activité. Cet arrêt renvoyait lui-même à une précédente décision rendue le 17 novembre 2015 par la même cour (C. travail. Liège, div. Namur, 14 novembre 2015, R.G. 2014/AN/15).
En l’espèce, il est constaté que l’employé était au stade d’un projet d’ouverture d’un magasin. Pour le tribunal, il est dès lors normal qu’il s’informe, même si ceci intervient auprès d’un fournisseur dont son employeur est client. Pour le tribunal, le fait de préparer un projet d’ouverture d’un magasin (s’agissant en l’espèce d’une activité différente, même si certains produits sont identiques, et d’un endroit différent) ne peut être considéré comme un acte de concurrence. A fortiori, il ne peut s’agir d’une faute grave.
Le motif grave étant rejeté pour les deux motifs invoqués, le tribunal conclut à la débition de l’indemnité compensatoire du préavis.
Intérêt de la décision
Ce jugement renvoie à deux arrêts importants sur la question, étant d’une part l’arrêt de la Cour du travail de Bruxelles du 14 décembre 2016 et, d’autre part, celui de la Cour du travail de Liège du 17 novembre 2015.
Ces deux arrêts ont été précédemment commentés pour SocialEye.
Rappelons que, dans le premier, la cour du travail avait longuement repris la règle de l’article 17, 3°, de la loi du 3 juillet 1978, soulignant que l’interdiction de concurrencer l’employeur (ainsi que de divulguer des secrets de fabrication ou d’affaires) pendant l’exécution du contrat est une obligation découlant de l’article 1134 du Code civil. Il s’agit de l’exécution de bonne foi des conventions.
Dès lors que le travailleur est toujours sous contrat de travail, toute activité concurrente à l’employeur est déloyale en elle-même. Il n’est pas interdit cependant de se préparer à l’exercice d’une activité future, seul étant interdit l’exercice de celle-ci. La cour y avait fait la distinction avec la concurrence déloyale exercée après la fin du contrat de travail, le principe de la liberté du travail permettant au travailleur de concurrencer son ex-employeur. La limitation à celle-ci est, dans ce cas, l’existence d’une clause de non-concurrence valable et la référence était faite aux pratiques honnêtes en matière de commerce, qui viennent sanctionner le dénigrement (le fait de jeter le discrédit sur un concurrent), la confusion (le fait d’agissements aboutissant à ce que la clientèle se trompe et soit attirée), ou encore la désorganisation (soit interne par la divulgation de secrets de fabrication, de détournement de fichiers, etc., soit de l’activité du concurrent par le détournement de commandes, etc.). L’ensemble de ces comportements sont considérés comme fautifs.
L’arrêt rendu par la Cour du travail de Liège le 17 novembre 2015 concernait également un motif grave de rupture, celui-ci résidant dans le fait pour l’employé d’avoir encodé et signé des certificats de performance énergétique (activité de l’employeur), et ce en son nom et pour le compte d’une autre société. S’était posée, dans cet arrêt, la question de la régularité de la preuve. La cour y avait longuement rappelé les principes du secret des lettres (article 22 de la Constitution), ainsi que la loi du 13 juillet 2005 relative aux communications électroniques, et la C.C.T. n° 81 du 26 avril 2002 relative à la protection de la vie privée des travailleurs à l’égard du contrôle des données de communication électroniques en réseau.
Le mode de preuve en l’espèce ayant été admis, étant qu’il n’y avait pas eu de contraintes ni d’ingérence prohibées dans le droit à la vie privée du travailleur, la cour avait conclu à une tentative de détournement par l’employé à son profit d’une importante clientèle. Cet arrêt est également très utile, sur le plan de la preuve, par l’important renvoi qu’il fait à l’arrêt BĂRBULESCU de la Cour européenne des Droits de l’Homme (Cr.E.D.H., 4e section, 12 janvier 2016, BĂRBULESCU c/ ROUMANIE, Req. n° 61.496/08).