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Octroi des allocations de chômage : lien avec la C.C.T. n° 109 ?

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 30 octobre 2018, R.G. 17/5.051/A

Mis en ligne le vendredi 15 mars 2019


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 30 octobre 2018, R.G. 17/5.051/A

Terra Laboris

Dans un jugement très motivé du 30 octobre 2018, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, saisi d’un recours contre une sanction pour motif équitable, rappelle que le travailleur n’a aucune obligation d’introduire une procédure en justice contre son ex-employeur et que l’existence d’un motif équitable du licenciement s’apprécie de manière autonome.

Les faits

L’ONEm exclut un demandeur d’allocations pendant une période de 10 semaines, considérant qu’il a été licencié pour un motif équitable suite à son attitude fautive. Un recours est introduit par celui-ci devant le tribunal, qui demande à être rétabli dans ses droits et postule la condamnation de l’ONEm à un montant provisionnel de 3.000 euros. Il réclame également les intérêts légaux et judiciaires au taux légal de 7%.

Subsidiairement, il demande la réduction de la sanction.

Celle-ci fait suite à son licenciement par une société pour laquelle il a travaillé pendant 2 ans et demi (juin 2014 – décembre 2016). Il a été licencié moyennant paiement d’une indemnité de rupture de 12 semaines, la lettre de licenciement faisant état – longuement – d’une attitude inacceptable, d’arrivées tardives, de départs anticipés, etc.

L’employeur précise qu’il paie les 12 semaines, le dispensant ainsi d’un préavis à prester, et ce afin qu’il puisse rechercher un emploi.

Le document C4 fait également état de manquements, visant des « Retards et départs anticipés. Attitude incohérente à l’esprit de la société » (sic).

Il est convoqué par l’ONEm pour s’expliquer quant au motif du licenciement, l’Office faisant une démarche parallèle auprès de l’employeur, le motif repris sur le document C4 n’étant pas suffisamment précis. Diverses questions sont posées à celui-ci, aux fins de connaître les raisons concrètes du licenciement, ainsi que d’autres précisions.

Lors de son audition, le travailleur précise qu’il conteste le motif du licenciement et qu’il a d’ailleurs contacté son organisation syndicale en ce sens.

Il fait valoir qu’en réalité, le licenciement est intervenu suite à une demande de congé parental qu’il avait introduite.

Reprenant les faits qui lui sont reprochés à propos des arrivées tardives et des départs anticipés, il en donne une version bien moins accablante pour lui.

Après l’audition, il ajoute encore des nouveaux renseignements, dont une attestation de son organisation syndicale.

De son côté, l’employeur transmet ensuite des lettres et courriels relatifs à son ex-vendeur, étant essentiellement des courriels. La société ne répond pas plus précisément aux questions posées par l’ONEm.

L’ONEm en conclura, dans la décision administrative sanctionnant l’intéressé, qu’il est responsable de la perte de son emploi, celui-ci étant convenable, et qu’il est, de ce fait, chômeur par suite de circonstances qui dépendent de sa volonté.

Il produit, après cette décision, de nouveaux éléments, à destination de l’ONEm, établissant que l’ancien employeur a menti concernant les faits les plus sérieux retenus contre lui. L’ONEm refuse de revoir sa décision, faisant grief à l’intéressé de ne pas apporter la preuve qu’il a « toujours eu un comportement irréprochable sur son lieu de travail ».

Par la suite, il s’avère que, l’organisation syndicale ayant demandé à connaître les motifs concrets du licenciement, la société a refusé de fournir les éléments qui prouveraient selon elle qu’elle aurait fait preuve de « beaucoup de patience » vis-à-vis de l’employé. Elle précise dans son courrier que « dans ce genre de situation, ce sera toujours la parole de l’un contre la parole de l’autre ». Elle se réserve, dans ce courrier à destination du syndicat, de fournir les éléments utiles ultérieurement. Elle annonce que, dans le cadre de cette procédure, elle se réserve également d’introduire une demande reconventionnelle.

L’intéressé ne poursuit pas dans la voie du licenciement manifestement déraisonnable, mais demande, par requête adressée au tribunal, l’annulation de la sanction ONEm.

La décision du tribunal

Le tribunal commence par rappeler que, pour que le motif du licenciement soit équitable, il appartient à l’ONEm de prouver (i) une attitude fautive dans le chef du travailleur, (ii) un lien de causalité entre la faute et le licenciement et (iii) la conscience dans le chef du travailleur du risque de licenciement provoqué par son attitude. Pour qu’il y ait motif équitable, une certaine gravité est donc requise (le tribunal renvoyant à plusieurs décisions de la Cour du travail de Bruxelles, dont C. trav. Bruxelles, 6 janvier 2016, R.G. 2012/AB/1.030). Sur le plan de la charge de la preuve, c’est l’ONEm qui doit établir le caractère équitable du motif. Il renvoie à la doctrine de L. MARKEY (L. MARKEY, Le chômage : conditions d’admission, conditions d’octroi et indemnisation, Etudes pratiques de droit social, Kluwer, 2017, vol. I, p. 319), selon laquelle, en cas d’affirmations contraires de l’employeur et du travailleur, la version de l’employeur ne peut, à défaut d’autres éléments, être préférée et que le doute doit être interprété en faveur du chômeur.

Le tribunal précise que ce n’est pas au travailleur de démontrer qu’il a toujours eu un « comportement irréprochable » sur son lieu du travail, mais que l’ONEM a la charge de la preuve du fait qu’il invoque et que celui-ci doit être non seulement fautif mais aussi en lien causal prouvé avec le licenciement. Le tribunal se penche ensuite sur les obligations du travailleur dans le cadre de la C.C.T. n° 109, cette procédure n’ayant pas été entamée en l’espèce, alors que ceci avait été annoncé. Il rappelle que le travailleur n’a aucune obligation de contester les motifs de son licenciement, et ce que ce soit dans le cadre de la protection en matière de congé parental ou de celui de la C.C.T. n° 109. L’absence de procédure en justice ne peut être retenue à sa charge et ne peut constituer une reconnaissance de quelque fait que ce soit et, notamment, en l’espèce, de l’existence d’un motif équitable.

Il souligne encore que la sanction a été prise, selon l’ONEm, sur la base des déclarations de l’employé lors de son audition et retient que l’employeur n’a pas répondu aux questions précises posées par l’ONEm, se bornant à envoyer des éléments sans autres explications. Il souligne encore qu’il doit procéder à l’analyse des motifs de licenciement exprimés dans la lettre de licenciement elle-même et que l’ONEm ne peut en ajouter d’autres.

Il passe ensuite successivement en revue toute une série de faits pointés par l’employeur. Il en rejette le caractère fautif, le travailleur ayant fourni toutes explications souhaitées.

Subsiste, parmi les faits pointés, un retard de 7 minutes. Le tribunal qualifie celui-ci de fait anodin, spécialement lorsque le retard est unique. Il n’y a dès lors pas de faute en lien de causalité avec le licenciement. Il souligne encore ce qu’il a énoncé antérieurement, étant que le travailleur n’a aucune obligation de diligenter une procédure judiciaire contre son employeur, même pour l’inciter à « dévoiler les motifs du licenciement », et que l’absence de procédure judiciaire ne peut être retenue contre le travailleur comme preuve de la réalité des motifs allégués par l’employeur.

Il en vient, ensuite, au motif de la sanction elle-même. L’ONEm ayant précisé qu’il a pris celle-ci sur la base des déclarations de l’intéressé lors de son audition, le tribunal souligne que ce dernier n’avait pas connaissance à ce moment des courriels échangés en interne à son propos et qui ont été envoyés par l’employeur. Il rejette, encore, des griefs faits quant aux qualités de vendeur de l’intéressé faits par son supérieur hiérarchique.

Il en conclut qu’il y a lieu de le rétablir dans ses droits. Il fait droit à la demande de condamnation provisionnelle ainsi qu’aux intérêts, qui courent de plein droit à partir de l’exigibilité des allocations, celle-ci existant dès la naissance du droit aux prestations.

Intérêt de la décision

Ce jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles éclaire les rapports entre les conditions d’octroi des allocations de chômage et le dispositif de la C.C.T. n° 109 en ce qui concerne le caractère manifestement déraisonnable du licenciement.

La réglementation en matière de chômage connaît en effet la notion de « motif équitable », motif qui d’une part est plus large que le motif grave et, d’autre part, est une des conditions d’octroi des allocations, étant que, en cas de motif équitable de licenciement, le travailleur ne remplit pas la condition relative à l’absence de responsabilité dans son chef de sa situation de chômage. D’autre part, la C.C.T. n° 109 vise l’obligation pour l’employeur de donner les motifs concrets pour lesquels il a licencié, permettant, dans le cadre réglementaire qu’elle organise, le contrôle du caractère licite ou non de ce motif, sans qu’il soit lié à l’existence d’une faute quelconque dans le chef du travailleur, le motif concret s’identifiant à celui de l’article 63 (défunt) de la loi du 3 juillet 1978.

Le tribunal rappelle très judicieusement que, dans le cadre de la réglementation chômage, la procédure est organisée par les articles 44, 51 et suivants de l’arrêté royal organique et qu’aucun lien n’est fait – ou n’est à faire – avec la procédure de vérification de la motivation substantielle du licenciement, qui porte sur l’existence d’un motif et son caractère régulier.

Aucune obligation ne peut donc être mise à charge du travailleur, dans le cadre de sa demande d’octroi d’allocations de chômage, de se retourner contre son employeur aux fins d’exiger de lui qu’il communique les motifs concrets du licenciement, ainsi qu’autorisé par les articles 4 et suivants de la C.C.T. n° 109. Il s’agit de deux situations hermétiquement différentes.


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