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Intoxication par le benzène et maladie professionnelle (suite)

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 5 novembre 2018, R.G. 2015/AL/512

Mis en ligne le vendredi 29 mars 2019


Cour du travail de Liège (division Liège), 5 novembre 2018, R.G. 2015/AL/512

Terra Laboris

Dans un arrêt du 5 novembre 2018, la Cour du travail de Liège (division Liège) poursuit son examen de l’indemnisation dans le cadre des maladies professionnelles de personnes ayant travaillé dans la même entreprise et ayant développé un cancer du sang.

Rétroactes

La cour a rendu, précédemment, deux arrêts dans cette affaire.

L’arrêt du 12 septembre 2016

Celui-ci, qui a essentiellement tranché les questions de recevabilité et d’intérêt à agir, a également abordé la question de la présomption réfragable d’exposition au risque, étant entendu que l’activité professionnelle comportant l’utilisation de benzène (ou de produits contenant celui-ci) n’est pas contestée.

L’arrêt du 6 février 2017

La cour a rendu un deuxième arrêt, le 6 février 2017, très documenté sur la question de la cause prépondérante exigée. Elle a rappelé que l’article 32, alinéa 2, des lois coordonnées a été modifié le 13 juillet 2006. Elle se livre dans cet arrêt à un travail doctrinal important, notamment sur l’imputabilité. Elle y relève, comme principe d’analyse, qu’il ne faut pas, vu l’appréciation collective de celle-ci, examiner la causalité dans le cas concret de la victime. La méthode à suivre est de déterminer deux groupes, le premier exposé à l’agent pathogène et le second ne l’étant pas.

Dès lors qu’une prévalence suffisamment accrue et plausible de la pathologie est constatée au sein du groupe exposé, la cour pose le principe que l’exposition au risque professionnel peut être retenue comme cause prépondérante et que, à défaut d’autres précisions apportées par le législateur, cette notion est abandonnée aux lumières du juge.

Sur la présomption d’exposition au risque, elle rappelle que celle-ci porte à la fois sur l’élément matériel et sur l’imputabilité.

La cour ordonne une nouvelle expertise, confiée à un hématologue, à qui elle pose des questions précises, aux fins d’examiner la cause prépondérante. Il s’agit de savoir s’il existe une prévalence plus élevée des pathologies en cause parmi les anciens travailleurs de la société que parmi la population en général, si l’on peut, en cas de réponse positive, constater une plausibilité, à savoir la possibilité d’un lien causal entre l’exposition et l’apparition des pathologies, et enfin, si cette possibilité existe, quelle est l’importance tant de la corrélation statistique que de la plausibilité elle-même. La cour lui demande encore de donner des éléments de comparaison avec d’autres maladies en lien avec l’exposition à un agent causal.

L’arrêt du 5 novembre 2018

Cet arrêt intervient après dépôt au greffe de la cour le 11 septembre 2017 du rapport d’expertise et après les conclusions des parties après expertise.

La cour y reprend, dans un premier temps, les points qui ont été définitivement tranchés par les arrêts précédents et sur lesquels elle a vidé sa saisine.

Sur la position de FEDRIS, qui reprend la jurisprudence selon laquelle c’est aux assurés sociaux de démontrer que leur maladie a été provoquée par un agent repris dans la liste, la cour rétorque que cette argumentation est sans impact, dans la mesure où elle a décidé de recourir à un moyen de preuve spécifique, étant l’expertise, et ce aux fins d’être éclairée sur les éléments de causalité apportés par les victimes, éléments qui ont été jugés pertinents dans ses décisions précédentes et sur lesquels elle ne peut (ni ne veut) revenir.

Elle passe ensuite à l’examen du rapport d’expertise. Elle valide le choix de l’expert, qui a exposé qu’il procédait selon un abord global : clinique et expérimental sur la pathologie et non seulement épidémiologique. Il s’agit d’une approche intégrée, qui, pour la cour, excède, tout en les intégrant, les aspects épidémiologiques.

Celui-ci a conclu à la plausibilité et, pour la cour, si l’absence d’autres facteurs explicatifs des maladies incriminées ne prouve pas en tant que telle que le benzène en est la cause, celle-ci n’affaiblit pas les indices épidémiologiques et statistiques qui pointent par ailleurs en direction du benzène comme élément causal. L’expert s’est référé notamment aux travaux de l’Association Internationale de Recherche contre le Cancer (IARC), selon lesquels une « limited evidence » (preuve limitée) suppose une association positive crédible, et ce même si le hasard, des biais ou un élément confondant ne peuvent être exclus avec « reasonable confidence » (« certitude » selon l’expert ou « fiabilité raisonnable » selon FEDRIS). Vu l’exclusion de biais, la cour admet la preuve « limitée ». Elle constate que, s’appuyant sur les travaux de l’IARC, l’expert a abouti de façon construite, systématique et convaincante à la conclusion que, dans la situation des quatre ex-travailleurs (qui avaient initié la procédure au départ), le développement de « mature B cell neoplasms » a été provoqué par cette exposition.

La cour constate que, ainsi, l’expert l’a éclairée sur les questions posées, étant qu’il a donné en toute indépendance un avis éclairé sur le caractère anormalement élevé (ou non) des taux d’incidence par rapport à la population générale et l’existence d’un lien causal préalablement défini (dans son deuxième arrêt) entre l’exposition au benzène et l’apparition de ces maladies. Le rapport est dès lors entériné.

Dès lors que tant la maladie en tant que telle que l’exposition au risque sont établies, la cour conclut que les intéressés doivent être reconnus comme atteints d’une maladie professionnelle provoquée par le benzène ou un de ses homologues. Il s’agit de maladies codifiées dans la liste.

Reste encore à déterminer, une fois le principe de l’indemnisation acquis, à la fois les taux d’incapacité physique, les facteurs socio-économiques et autres éléments de cette indemnisation. Elle invite les parties à compléter un tableau synoptique détaillé permettant de repérer « convergences et divergences, dossier par dossier ».

L’affaire est actuellement remise au 18 février 2019.

Intérêt de la décision

Dans cette affaire longue et complexe, quatre travailleurs avaient introduit une procédure conjointe. A l’heure où la cour statue, deux de ceux-ci sont décédés et leurs ayant-droits ont repris l’instance.

Vu l’importance du litige, la cour a pris plusieurs décisions successives (l’arrêt du 6 février 2017 a été précédemment commenté sur SocialEye), posant les jalons des règles d’analyse. La cour s’est référée, dans cet arrêt « intermédiaire », à la doctrine de S. REMOUCHAMPS (S. REMOUCHAMPS, « La preuve en accident du travail et en maladie professionnelle », R.D.S., 2013, p. 463). Le cœur de la réflexion est, ainsi qu’elle l’a souligné dans cet arrêt, la modification législative intervenue le 13 juillet 2006, dans les conditions de l’article 32, alinéa 2, de la loi. Elle y a également souligné l’absence de jurisprudence et de doctrine à l’époque sur la question de l’imputabilité de l’exposition au risque professionnel (hors la référence ci-dessus).


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