Commentaire de C. trav. Bruxelles, 10 août 2018, R.G. 2017/AB/164
Mis en ligne le vendredi 29 mars 2019
Cour du travail de Bruxelles, 10 août 2018, R.G. 2017/AB/164
Terra Laboris
Dans un arrêt du 10 août 2018, la Cour du travail de Bruxelles rappelle une jurisprudence bien établie, relative à l’articulation de la réglementation chômage et de la législation A.M.I. : est incompatible avec l’octroi d’allocations de chômage l’incapacité de travail qui répond aux conditions de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994, et celle-ci seulement.
Les faits
Un bénéficiaire d’allocations de chômage introduit une déclaration d’incapacité de travail auprès de son organisme assureur AMI. Celui-ci informe l’organisme de paiement qu’il ouvre un dossier et, quelques semaines plus tard, il communique à celui-ci le montant de l’indemnité journalière qui doit lui être octroyée à partir du début de l’incapacité. Il lui est cependant annoncé une pénalité de 10% pour le début de la période, vu la remise tardive du certificat médical. Il perçoit les indemnités.
Il est ultérieurement entendu par l’ONEm à propos de ceci et se déclare prêt à rembourser les allocations qu’il a perçues pour la période. Il estime qu’il est de bonne foi. Il expose ne pas avoir compris exactement à quoi correspondaient les montants payés par la mutuelle, la communication étant incompréhensible.
Il fait l’objet d’une décision administrative d’exclusion pour 7 semaines, vu son inaptitude au travail pendant cette période, inaptitude dont il n’aurait pas informé l’ONEm. Il est également exclu pour une période de 4 semaines.
La décision administrative se fonde, pour l’exclusion du droit aux allocations, sur les articles 61, § 1er, et 71 de l’arrêté royal organique et, pour la sanction de 4 semaines, sur l’article 154, alinéa 1er, de celui-ci (absence de biffure de sa carte de contrôle). L’ONEm expose avoir tenu compte du fait que les instructions concernant la tenue de la carte de contrôle sont claires. Il ajoute qu’il y a également récidive, l’intéressé ayant été sanctionné précédemment pour une autre infraction.
Un recours est introduit et le Tribunal du travail francophone de Bruxelles le rejette par jugement du 20 janvier 2017.
La décision de la cour
Le problème est, pour la cour, le suivant : il y a un cumul injustifié des allocations de chômage et des indemnités d’incapacité de travail, vu la reconnaissance rétroactive de cette dernière. Ne sont pas contestées l’exclusion et la récupération, seule la sanction l’étant.
La cour reprend, dès lors, l’article 71 de l’arrêté royal relatif aux obligations du travailleur qui veut bénéficier des allocations, obligations relatives à la carte de contrôle.
L’ONEm fait état d’une instruction – non autrement détaillée –, selon laquelle le chômeur doit déclarer n’importe quelle maladie, et ce indépendamment du fait qu’il s’agisse ou non d’une incapacité de travail au sens de l’article 100 de la loi coordonnée le 14 juillet 1994.
La cour rappelle longuement l’articulation entre ces deux branches de la sécurité sociale, citant de larges extraits d’un arrêt du 27 février 2013 (C. trav. Bruxelles, 27 février 2013, R.G. 2011/AB/263), jurisprudence rappelée à plusieurs reprises, et également d’un dernier arrêt date du 4 mai 2017 (C. trav. Bruxelles, 4 mai 2017, R.G. 2015/AB/911).
Dans l’espèce tranchée le 27 février 2013, la Cour du travail de Bruxelles avait constaté que, pour l’ONEm, dès que l’assuré se déclare lui-même inapte au travail, il n’a plus droit aux allocations de chômage, sans qu’il soit nécessaire que cette inaptitude soit constatée par examen médical du médecin accrédité. Selon la réglementation, ne peuvent bénéficier des allocations (i) le travailleur qui perçoit une indemnité dans le régime A.M.I., (ii) celui qui présente une incapacité temporaire totale ou partielle en accident du travail et (iii) celui qui bénéficie d’une prestation en raison d’une incapacité de travail ou d’une invalidité, en vertu d’un régime de sécurité sociale autre.
Ne peut davantage en bénéficier celui qui, sur avis du médecin affecté au bureau de chômage, est considéré comme inapte au sens de la législation A.M.I. Il est ainsi renvoyé à la notion d’incapacité de travail au sens de la loi coordonnée du 14 juillet 1994, dont la définition est donnée à l’article 100 : est reconnu incapable de travailler le travailleur qui a cessé toute activité en conséquence directe du début ou de l’aggravation de lésions ou de troubles fonctionnels dont il est reconnu qu’ils entraînent une réduction de sa capacité de gain à un taux égal ou inférieur au tiers de ce qu’une personne de même condition et de même formation peut gagner par son travail, dans le groupe de professions dans lequel se range l’activité professionnelle exercée par l’intéressé au moment où il est devenu incapable de travailler ou dans les diverses professions qu’il a ou qu’il aurait pu exercer du fait de sa formation professionnelle.
Ceci signifie, pour la cour du travail dans cet arrêt du 27 février 2013, que la capacité de travail doit être réduite à un taux égal ou inférieur au tiers de ce qu’une personne de même condition et de même formation peut gagner par son travail. La cour y a conclu dans cette espèce qu’il n’était pas établi que l’intéressée présentait cette réduction de capacité de gain et qu’en conséquence, il ne pouvait lui être reproché de ne pas avoir mentionné sur sa carte de contrôle qu’elle était malade. Elle ne pouvait donc être exclue sur pied de l’article 71 de l’arrêté royal. La sanction qui lui a été infligée a, par conséquent, été annulée.
Dans la présente affaire, la cour confirme cette manière de voir : compte tenu de la référence à l’article 100 de la loi du 14 juillet 1994, il ne peut être exigé du chômeur qu’en présence de n’importe quel symptôme, il mentionne des « M » sur sa carte de contrôle et qu’il renonce ainsi à une allocation à laquelle il est susceptible d’avoir encore droit si sa maladie ne le rend pas inapte au sens de l’article 100 ci-dessus. Si des instructions de l’ONEm en sens contraire existaient, elles se heurteraient aux dispositions ci-dessus.
En conséquence, si l’incapacité de travail est reconnue rétroactivement, l’on ne peut faire grief au chômeur de ne pas avoir mentionné « M » sur sa carte de contrôle.
La cour souligne encore un point intéressant, étant que, s’agissant d’une sanction à caractère pénal, celle-ci ne pourrait être appliquée lorsqu’au moment du manquement, le chômeur ne pouvait avoir conscience qu’il était en incapacité de travail au sens de la législation A.M.I.
La cour annule dès lors la sanction.
Intérêt de la décision
La question au cœur du débat était, donc, de savoir si le chômeur doit déclarer toute incapacité (qu’elle corresponde ou non aux critères de l’article 100), en indiquant « M » sur sa carte de contrôle. Pour la cour, cette exigence n’est pas posée par les textes. Elle reviendrait à priver le chômeur d’une quelconque allocation dès l’apparition d’un problème de santé. La disposition réglementaire (article 60, A.R.) fait référence aux conditions de l’article 100. Il ne peut dès lors être reproché au chômeur de ne pas avoir déclaré une incapacité de travail (soit inaptitude au sens de la réglementation chômage), alors qu’il n’est pas assuré de remplir les critères légaux A.M.I.