Commentaire de C. trav. Bruxelles, 18 mai 2018, R.G. 2017/AB/75
Mis en ligne le lundi 29 avril 2019
Cour du travail de Bruxelles, 18 mai 2018, R.G. 2017/AB/75
Terra Laboris
Par arrêt du 18 mai 2018, la Cour du travail de Bruxelles rappelle l’articulation des articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980, reprenant également la jurisprudence de la Cour de Justice dans divers arrêts, sur la notion de « pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail ».
Les faits
Dans le cadre de l’engagement d’un employé en qualité de « Regional European Sales Manager », soit Directeur de vente régional pour l’Europe, deux contrats de travail sont conclus, l’un en français, sans date précise, renvoyant à diverses dispositions de la loi belge sur les contrats de travail, et l’autre en néerlandais, avec une date certaine, renvoyant quant à lui à des dispositions de la loi et des conventions collectives allemandes.
Près de dix ans plus tard, il est mis fin au contrat, par lettre rédigée en deux langues (anglais et allemand), moyennant préavis de six mois. Il y a dispense de prestation de celui-ci et paiement de la rémunération correspondant au délai.
L’intéressé conteste le délai de préavis, qui n’est, pour lui, conforme ni au droit belge ni au droit allemand. Il introduit une procédure devant le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles, demandant que celui-ci se déclare compétent pour connaître du litige et qu’il fasse application du droit belge. Il réclame des sommes liées à la rupture, considérant qu’il y a nullité du préavis.
Sa demande est déclarée non fondée par jugement du 26 septembre 2016.
Appel est interjeté.
Il formule, devant la cour, la même demande que celle articulée devant le tribunal. Celle-ci variera légèrement dans le cours de ses conclusions.
La décision de la cour
La cour reprend les dispositions de la Convention de Rome du 19 juin 1980. Celle-ci détermine, en ses articles 3.1 et 6.1, la loi applicable au contrat de travail international. La Convention pose le principe de la liberté de choix par les parties de la loi applicable (article 3.1), avec les garanties prévues à l’article 6, étant que, nonobstant cette liberté de choix, celui-ci ne peut avoir pour résultat de priver le travailleur de la protection que lui assurent les dispositions impératives de la loi qui serait applicable, à défaut de choix, en vertu du paragraphe suivant de cet article 6.
Celui-ci dispose que, à défaut de choix, le contrat est régi a) par la loi du pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail, même s’il est détaché à titre temporaire dans un autre pays, ou b) si le travailleur n’accomplit pas habituellement son travail dans un même pays par la loi du pays où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur, à moins qu’il ne résulte de l’ensemble des circonstances que le contrat de travail présente des liens plus étroits avec un autre pays, auquel cas la loi de celui-ci lui est applicable.
La cour du travail rappelle les interventions de la Cour de Justice, qui a été essentiellement saisie d’hypothèses relatives au critère du « pays où le travailleur, en exécution du contrat, accomplit habituellement son travail ». La cour reprend les arrêts KOELZSCH (C.J.U.E., 15 mars 2011, Aff. n° C-29/10, KOELZSCH), MULOX (C.J.U.E., 13 juillet 1993, Aff. n° C-125/92, MULOX IBC Ltd), WEBER (C.J.U.E., 27 février 2002, Aff. n° C-37/00, WEBER), RUTTEN (C.J.U.E., 9 janvier 1997, Aff. n° C-383/95, RUTTEN) et VOOGSGEERD (C.J.U.E., 15 décembre 2011, Aff. n° C-384/10, VOOGSGEERD).
L’arrêt KOELZSCH a posé le principe de la loi applicable en cas de prestations sur le territoire de plusieurs Etats : il faut déterminer quelle est la part la plus importante des activités accomplies pour l’employeur. L’arrêt MULOX avait retenu qu’il fallait déterminer le lieu où ou duquel le travailleur remplit principalement ses obligations à l’égard de l’employeur. A défaut d’autres critères, il faut retenir, selon l’arrêt WEBER, le lieu où le travailleur exécute la plus grande partie des prestations contractuelles, le critère étant le temps de travail consacré par rapport à la durée totale du travail contractuellement convenu. L’arrêt RUTTEN a précisé qu’il faut viser l’endroit où le travailleur a établi le centre effectif de ses activités professionnelles. Enfin, l’arrêt VOOGSGEERD a fixé la méthode à suivre par le juge national.
En l’espèce, la cour constate qu’il n’a pas été procédé à un choix clair, les parties étant contraires sur leur volonté à cet égard. Les deux contrats contiennent d’ailleurs des clauses inconciliables. Il ne peut dès lors être fait application de l’article 3.1 de la Convention de Rome et la cour s’emploie, ensuite, à déterminer le lieu habituel d’occupation. Elle examine dès lors les conditions de l’article 6.2.
L’intéressé travaillait plusieurs jours par mois au siège de la société à Bruxelles mais n’était pas principalement actif sur le territoire. Ses prestations y couvraient une moyenne de trois jours par mois et n’étaient plus longues qu’à titre exceptionnel. La plus grande partie du temps de travail (70% à 80%) concernait des activités exercées sur plusieurs pays de l’Union, le directeur quittant en général son bureau (domicile) en Allemagne pour ses voyages professionnels et y retournant. C’est donc l’Allemagne qui constitue le lieu où il avait établi le centre de ses activités professionnelles, la cour considérant par là qu’il y remplissait la part la plus importante de ses obligations vis-à-vis de son employeur.
Le droit allemand est dès lors d’application. Il en résulte (et c’est encore l’enseignement de l’arrêt VOOGSGEERD) qu’il n’y a pas lieu de faire application de l’article 6.2., b) (pays où se trouve l’établissement qui a embauché le travailleur), dans la mesure où la solution du litige peut être trouvée à partir des critères de l’article 6.2, a) (loi du pays où le travailleur accomplit habituellement son travail).
L’appelant ne formant aucune demande en application du droit allemand, la cour confirme le jugement.
Intérêt de la décision
La cour fait ici un rappel très utile de l’articulation entre les articles 3 et 6 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 en ce qui concerne le choix de la loi applicable par les parties à un contrat de travail international. Elle reprend, en sus, les étapes les plus importantes de la jurisprudence de la Cour de Justice, dont elle rappelle que cette dernière a été essentiellement saisie de l’hypothèse de l’article 6.2, a), s’agissant de préciser ce qu’il faut entendre par « pays où le travailleur exerce habituellement son travail ». Ces décisions sont toujours d’actualité, dans les critères qu’elles ont dégagés au fil du temps. L’on soulignera les précisions apportées par l’arrêt VOOGSGEERD, du 15 décembre 2011. Celui-ci a jugé qu’il faut avoir égard au lieu à partir duquel le travailleur remplit la plus grande partie de ses obligations contractuelles.
Cet arrêt a également posé la règle de l’articulation entre les articles 6.2, a) et 6.2, b), du Règlement : ce n’est que lorsque le litige ne peut pas être réglé sur pied de l’article 6.2, a) qu’il y a lieu de faire application de l’article 6.2, b).