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Limitation de la rente d’accident du travail à 25% dans le secteur public : quid d’accident antérieur dans le secteur privé ?

Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 27 novembre 2018, R.G. 2017/AN/213

Mis en ligne le vendredi 10 mai 2019


Cour du travail de Liège (division Namur), 27 novembre 2018, R.G. 2017/AN/213

Terra Laboris

Par arrêt du 27 novembre 2018, la Cour du travail de Liège (division Namur) interroge la Cour constitutionnelle sur l’article 6, § 1er, de la loi du 3 juillet 1967, en ce qu’il serait susceptible d’induire une discrimination entre victime d’accidents du travail successifs, selon que ceux-ci sont indemnisés dans le secteur public uniquement ou également dans le secteur privé.

Les faits

Une travailleuse (occupée dans le secteur privé) a un accident du travail en 1998. Elle est indemnisée, suite à celui-ci, à raison d’une allocation annuelle de 19%, dans le cadre de l’incapacité permanente. Elle entre, ensuite, dans le secteur public (O.N.E.). Elle a, en 2012, un accident, qui fait l’objet d’un règlement sur la base d’une incapacité permanente de 12%.

L’O.N.E. l’informe, dès lors, que l’article 6 de la loi du 3 juillet 1967 contient une règle de limitation des rentes à 25%, et ce dans la mesure où elle continue à exercer ses fonctions. La rente qui lui sera payée le sera, dès lors, sur la base de 6%.

FEDRIS est interrogée et elle répond que cette limitation n’est pas applicable, ne pouvant concerner que le cumul de deux accidents du travail réparés dans le secteur public.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Dinant), l’intéressée demandant qu’il ne soit pas fait application de la règle de limitation. Par jugement du 27 juin 2017, le tribunal fait droit à la demande, considérant que l’article 6, § 1er, de la loi du 3 juillet 1967 ne vise pas d’autres rentes et allocations que celles qu’elle prévoit et, en particulier celles découlant de la loi du 10 avril 1971.

Appel est interjeté.

Position des parties devant la cour

L’O.N.E., appelant, renvoie à la Cour d’arbitrage, qui a admis l’application de la disposition en cas de cumul de plusieurs indemnisations. Il estime que la même logique doit être suivie lorsque les accidents du travail successifs ne relèvent pas tous du secteur public. Subsidiairement, il demande qu’une question soit posée à la Cour constitutionnelle sur une possible discrimination entre les victimes d’accidents du travail successifs qui sont survenus dans le secteur public (où la limitation est applicable) ou certains d’entre eux dans le secteur privé (pour lesquels il n’y a pas de plafonnement).

Quant à l’intimée, elle considère que le texte de l’article 6, § 1er, est clair et qu’il ne peut viser que les indemnisations du secteur public. Elle renvoie également, via de la jurisprudence (non reprise dans l’arrêt) relative aux accidents successifs où il est admis qu’il faut indemniser le second sans tenir compte du premier. Sur ce qui est de la discrimination, elle renvoie également à la jurisprudence de la Cour constitutionnelle, qui, dans divers arrêts, a considéré qu’il peut exister des différences justifiées entre les deux régimes (privé et public).

La décision de la cour

La cour reprend, sur le fondement de l’appel, les règles mises en place par la loi du 3 juillet 1967 et, particulièrement, l’article 6 de la loi. Le premier paragraphe prévoit la limitation à 25% et les deux paragraphes suivants concernent la victime reconnue inapte à l’exercice de ses fonctions mais qui peut en exercer d’autres compatibles avec son état de santé (réaffectation possible, avec maintien du régime pécuniaire dont elle jouissait au moment de l’accident – ou de la maladie professionnelle). Le troisième paragraphe vise également l’aggravation temporaire ultérieure.

La cour relève que la disposition a été modifiée dans le temps. Ainsi, elle prévoyait, initialement, qu’aussi longtemps que la victime conserve l’exercice de fonctions, la rente ne pouvait dépasser 25% de la rémunération sur la base de laquelle elle était établie. Depuis la loi du 17 mai 2007 (modifiant la loi du 3 juillet 1967), la disposition a été complétée et se lit actuellement comme suit : « Aussi longtemps que la victime conserve l’exercice de fonctions, la rente visée à l’article 3, alinéa 1er, 1°, b), et l’allocation visée à l’article 3, alinéa 1er, 1°, c), ne peuvent dépasser… ».

La cour rappelle la ratio legis de la limitation, renvoyant aux travaux parlementaires (Doc. Parl. Ch., 1964-1965, n° 1023/1), étant que le dommage dans le secteur public serait plus limité, compte tenu notamment de la stabilité d’emploi et des garanties offertes aux victimes qui conservent leur emploi.

La Cour constitutionnelle (à l’époque Cour d’arbitrage) est déjà intervenue dans un arrêt du 5 décembre 2002 (C. const., 5 décembre 2002, n° 176/2002), considérant que la disposition est applicable non seulement aux victimes d’un seul accident, mais aussi à l’hypothèse de plusieurs rentes provenant d’accidents successifs. Le nombre d’accidents est en effet indifférent, vu l’objectif poursuivi. La cour souligne que l’objectif poursuivi par le législateur en 2017 a été d’étendre la limitation non seulement à la rente d’incapacité permanente, mais également à l’allocation d’aggravation. Il ne s’est pas agi de remettre en cause le principe. Les rentes et allocations du secteur privé ne devraient dès lors pas intervenir, n’étant pas reprises dans la disposition.

Cependant, la cour est sensible à l’argument de l’O.N.E. relatif à la discrimination possible entre les victimes d’accidents successifs, le dernier étant indemnisé dans le cadre de la loi du 3 juillet 1967, dès lors que les victimes conservent l’exercice de fonctions, et ce selon que le premier accident est indemnisé dans le cadre de la loi du 3 juillet 1967 ou dans celui de la loi du 10 avril 1971. Dans la première hypothèse, le maximum de l’indemnisation est 25% de la rémunération de base et, dans la seconde, il n’y a pas de limitation.

Renvoyant aux principes dégagés par la Cour constitutionnelle dans sa jurisprudence, la cour du travail relève que la différence de traitement pourrait être légitimée par les différents objectifs entre les deux secteurs. Elle considère cependant qu’il y a lieu, en application de la loi du 6 janvier 1989, de poser une question préjudicielle à la Cour constitutionnelle. La question porte sur la violation possible des articles 10 et 11 de la Constitution, dès lors que l’article 6 traite de manière différente deux catégories de personnes se trouvant dans une situation comparable : d’une part les victimes d’accidents du travail tous indemnisés dans le cadre de la loi du 3 juillet 1967 (avec limitation) et d’autre part les victimes d’accidents du travail dont certains sont indemnisés dans le secteur privé (avec absence de limitation).

Intérêt de la décision

Le jugement a quo, rendu par le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) le 27 juin 2017 (R.G. 16/761/A), a été commenté précédemment. Cette affaire nous semble la première à poser la question de l’application de l’article 6, § 1er, à l’hypothèse d’accidents antérieurs survenus dans le secteur privé.

La Cour du travail de Liège pose à juste titre la question de la constitutionalité de la disposition, qui ne contient aucune référence aux indemnisations éventuelles intervenues suite à un (ou plusieurs) accident(s) dans le secteur privé.

Relevons en tout état de cause que, quelle que soit la décision de la Cour constitutionnelle, l’indemnisation allouée dans le cadre du secteur public ne pourra elle-même excéder les 25% si la personne a conservé l’exercice de ses fonctions. Sur cette deuxième question, il peut utilement être renvoyé à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 18 octobre 2017, R.G. 2016/AB/31 – également précédemment commenté), qui a considéré que, si l’employeur public entend limiter le paiement de la rente à 25%, il doit établir que l’intéressée a conservé l’exercice de fonctions pendant la période litigieuse. Ceci signifie un exercice effectif.


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