Commentaire de C.J.U.E., 7 février 2019, Aff. n° C-322/17 (BOGATU c/ MINISTER FOR SOCIAL PROTECTION)
Mis en ligne le lundi 20 mai 2019
Cour de Justice de l’Union européenne, 7 février 2019, Aff. n° C-322/17 (BOGATU c/ MINISTER FOR SOCIAL PROTECTION)
Terra Laboris
Par arrêt du 7 février 2019, la Cour de Justice rappelle que le champ d’application du Règlement n° 883/2004 a été étendu aux « ressortissants » des Etats membres qui ont été soumis ou non à la législation d’un ou de plusieurs Etats membres, le Règlement précédent (n° 1408/71) visant les « travailleurs ». La Cour y rappelle que, pour bénéficier des prestations familiales dans l’Etat membre compétent, il n’est pas requis que la personne exerce une activité salariée dans celui-ci ni que cet Etat lui serve une prestation en espèces du fait ou à la suite d’une telle activité.
Les faits
Un ressortissant roumain résidant en Irlande depuis une quinzaine d’année a deux enfants, restés en Roumanie. Il a exercé une activité salariée pendant environ six ans et a ensuite perdu son emploi. Il a bénéficié des allocations dans le secteur chômage pendant plus d’un an, s’agissant dans cette période d’une prestation à caractère contributif, et ensuite, pendant près de trois ans, d’une prestation de chômage à caractère non contributif, celle-ci étant suivie de deux années où il a bénéficié d’une prestation de maladie. Il avait sollicité, entre-temps, à la fin de sa période d’occupation en qualité de travailleur salarié, des prestations familiales pour ses enfants. L’administration a accueilli sa demande, sauf pour la période où il a bénéficié de la prestation de chômage à caractère non contributif. Il est fait grief à l’intéressé de ne pas remplir les conditions requises, étant qu’il n’exerce pas une activité salariée ou, à défaut, qu’il ne perçoit pas de prestations à caractère contributif.
Une procédure est introduite et la High Court (Haute Cour) décide d’interroger la Cour de Justice, s’agissant de déterminer si le Règlement n° 883/2004 (et notamment son article 67 – lu conjointement avec l’article 11, § 2) exige, aux fins de l’éligibilité aux prestations familiales, qu’une personne soit salariée dans l’Etat compétent ou bénéficie d’une prestation en espèces au sens de l’article 11, § 2. La cour demande encore s’il faut interpréter la référence aux « prestations en espèces » contenue à la même disposition en ce sens qu’elle vise uniquement la période pendant laquelle le demandeur s’est vraiment vu servir une prestation en espèces ou si elle se réfère à toute période au cours de laquelle il est couvert contre un risque futur (pour lequel il toucherait une telle prestation), que le versement de la prestation ait ou non été demandé lors de la présentation de la demande de prestations familiales.
La décision de la Cour de Justice
Pour la Cour de Justice, se pose la question de vérifier l’éligibilité d’une personne à des prestations familiales dans l’Etat membre compétent, étant de savoir si celle-ci doit exercer une activité salariée dans cet Etat membre ou bénéficier d’une prestation en espèces du fait ou à la suite de cette activité.
La Cour de Justice résume la situation de fait comme suit : une personne qui a demandé des prestations familiales réside dans l’Etat membre compétent. Elle y a exercé une activité salariée dans le passé et a cessé celle-ci. Cette personne a deux enfants résidant dans un autre Etat membre. La période au titre de laquelle le droit est demandé est une période pendant laquelle l’Etat membre compétent a servi au demandeur une prestation en espèces qualifiée de non contributive par la législation interne.
Pour dégager la solution à la question, la Cour de Justice rappelle l’article 67 du Règlement : une personne a droit à des prestations familiales conformément à la législation de l’Etat membre, y compris pour les membres de sa famille résidant dans un autre Etat membre, et ce comme s’ils résidaient dans le premier Etat membre.
Cette disposition n’exige pas que la « personne » qui a droit à des prestations familiales soit un travailleur salarié. Les conditions d’éligibilité ne sont pas davantage précisées, le texte renvoyant à la législation de l’Etat membre compétent. Vu la finalité du règlement de coordination – dont la Cour rappelle que son article 67, § 1er, sous a), a vocation à s’appliquer lorsque des prestations familiales sont prévues à des titres différents par la législation d’un Etat membre et impose d’appliquer dans ce cas des règles de priorité –, il en découle que plusieurs titres peuvent ouvrir le droit à des prestations familiales pour une personne, parmi lesquelles l’exercice d’une activité salariée. Mais l’article 67 ne peut être compris comme se limitant à ce seul titre. La Cour rappelle encore que le Règlement n° 883/2004 a eu pour objectif d’étendre le champ d’application de la coordination à des catégories de personnes autres que les travailleurs salariés relevant du Règlement précédent (n° 1408/71), et ce notamment aux personnes économiquement inactives.
Le nouveau Règlement s’applique aux « ressortissants » de l’un des Etats membres qui sont ou ont été soumis à la législation d’un (ou de plusieurs) de ceux-ci. Le texte a été modifié, le Règlement n° 1408/71 prévoyant quant à lui, en ce qui concerne le champ d’application, qu’il s’agissait des « travailleurs » qui sont ou ont été soumis à la législation d’un ou de plusieurs Etats membres. Il faut dès lors conclure que l’article 67 n’exige pas l’exercice d’une activité salariée dans l’Etat membre.
En outre, vu la précision contenue dans la question posée par la High Court, relative à la situation d’une personne qui bénéficie d’une prestation en espèces du fait et à la suite d’une activité salariée, la Cour rappelle que cette prestation trouve sa source dans l’exercice passé d’une telle activité.
Elle répond dès lors à la question posée que l’éligibilité d’une personne à des prestations familiales dans l’Etat membre compétent n’exige ni que celle-ci exerce une activité salariée dans celui-ci ni que cet Etat lui serve une prestation en espèces du fait ou à la suite d’une telle activité. Elle renvoie au texte même de l’article 67, qui n’exige pas que la compétence d’un Etat membre en la matière soit fondée sur l’exercice d’une quelconque activité salariée, en ce compris une activité salariée passée.
Intérêt de la décision
Dans ce bref arrêt, la Cour de Justice rappelle l’extension du champ d’application ratione personae du Règlement de coordination n° 883/2004, celui-ci s’appliquant aux ressortissants des Etats membres, alors que, précédemment, étaient visés les travailleurs de ceux-ci.
La législation irlandaise (sans avoir été examinée dans l’arrêt) posant, aux yeux de la Cour, une condition qui ne figure pas dans le texte, le droit de l’Union doit primer.
La Cour de Justice précise encore (considérant 24) que le Règlement prévoit, toujours à la même disposition, des règles de priorité. Celles-ci consistent à tenir compte, dans l’ordre, des droits ouverts au titre d’une activité salariée ou non salariée, puis de ceux ouverts au titre de la perception d’une pension et, enfin, de ceux ouverts au titre de la résidence.
L’on peut très utilement rappeler à cet égard l’arrêt de la Cour de Justice du 6 novembre 2014 (C.J.U.E., 6 novembre 2014, Aff. n° C-4/13, AGENTUR FÜR ARBEIT KREFELD - FAMILIENKASSE c/ FASSBENDER-FIRMAN – précédemment commenté), relatif à l’article 76, § 2, du Règlement n° 1408/71. L’affaire concerne, toujours dans le cadre de la règle anti-cumul, l’hypothèse où une prestation n’a pas été demandée dans l’Etat de résidence et où celle de l’Etat d’emploi contient une possibilité de suspension (en l’occurrence partielle) du droit à la prestation.