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Divergence dans les conditions d’octroi des indemnités d’invalidité entre le droit belge et le droit néerlandais : intervention de la Cour de Justice de l’Union européenne

Commentaire de C.J.U.E., 14 mars 2019, Aff. n° C-134/18 (VESTER c/ RIJKSINSTITUUT VOOR ZIEKTE- EN INVALIDITEITSVERZEKERING

Mis en ligne le lundi 29 juillet 2019


Cour de Justice de l’Union européenne, 14 mars 2019, Aff. n° C-134/18 (VESTER c/ RIJKSINSTITUUT VOOR ZIEKTE- EN INVALIDITEITSVERZEKERING)

Terra Laboris

Dans un arrêt du 14 mars 2019, renvoyant à sa jurisprudence PÖPPERL et CRESPO REY notamment, la Cour de Justice, après avoir constaté la divergence des législations belge et néerlandaise sur la question, rappelle le principe de coopération loyale énoncé à l’article 4, § 3, T.U.E., qui oblige les autorités nationales compétentes à mettre en œuvre tous les moyens dont elles disposent pour réaliser le but de l’article 45, T.F.U.E.

Les faits

Une ressortissante néerlandaise travaille aux Pays-Bas pendant 18 ans, jusqu’au 31 mars 2015, et elle perçoit, à partir du 2 avril 2015, des allocations de chômage de l’ONEm, résidant en Belgique. Elle tombe en incapacité de travail quelques jours plus tard. L’indemnité correspondante lui est accordée, sur le fondement du principe de la totalisation des périodes d’assurance, conformément à l’article 6 du Règlement n° 883/2004. Un an plus tard, elle tombe en invalidité. Est alors demandé à l’Institution néerlandaise compétente une indemnité d’invalidité aux Pays-Bas. Il lui est répondu que, parmi les conditions d’octroi du statut d’invalide et en conséquence de l’indemnité y afférente, il y a lieu d’accomplir un stage préalable d’incapacité de travail de 104 semaines. Or, conformément au droit belge, elle ne peut faire valoir que 52 semaines.

L’I.N.A.M.I. informe alors l’intéressée du fait qu’elle n’a comptabilisé que 4 jours d’assurance en Belgique (soit la période consécutive au licenciement où elle s’est inscrite au chômage – 2 avril 2015 – et celle où elle s’est déclarée en incapacité de travail – 7 avril 2015) et qu’elle ne remplit pas les conditions pour bénéficier d’une indemnité légale en Belgique. Celle-ci lui est dès lors refusée, sur le fondement de l’article 57 du Règlement n° 883/2004.

Un recours est introduit devant le Tribunal du travail d’Anvers.

Le 4 avril 2017, l’intéressée a entre-temps satisfait à la condition des 104 semaines requises par la législation néerlandaise et elle obtient le statut d’invalide aux Pays-Bas, l’indemnité d’invalidité lui étant, en conséquence, payée.

Le Tribunal du travail d’Anvers s’interroge cependant sur la divergence entre les législations belge et néerlandaise en ce qui concerne la durée du stage préalable à l’acquisition du statut d’invalide. En l’occurrence, celui-ci aboutit à priver l’intéressée de l’indemnité correspondante pendant un an.

La Cour de Justice est dès lors interrogée sur la compatibilité de cette situation avec les articles 45 et 48, T.F.U.E. Le tribunal pose deux questions préjudicielles.

La décision de la Cour

La Cour examine les deux questions posées, dont elle fait la synthèse comme suit : les articles 45 et 48, T.F.U.E., doivent-ils être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à la situation soumise, étant que, lorsqu’un travailleur a, après une période d’incapacité de travail d’un an, été reconnu comme invalide par l’institution compétente de l’Etat membre de sa résidence et qu’il ne peut bénéficier pour autant d’une indemnité d’invalidité sur la base de la législation interne et qu’il se voit imposer, en vertu de la législation de l’Etat membre où il a accompli l’intégralité de ses périodes d’assurance, une période d’incapacité de travail supplémentaire (en l’occurrence d’un an) pour que lui soit reconnu le statut d’invalide et qu’il puisse bénéficier des prestations correspondantes, étant privé d’une indemnité d’incapacité de travail pendant cette période ?

Après avoir rappelé les principes de la coordination, étant que le Règlement n’organise pas un régime commun de sécurité sociale et que, en l’absence d’harmonisation au niveau de l’Union européenne, chaque Etat membre reste compétent pour aménager son système de sécurité sociale, et ce dans le respect du droit de l’Union, la Cour rappelle que le Traité F.U.E. ne garantit pas à un travailleur que l’extension de ses activités dans plus d’un Etat membre ou leur transfert vers un autre Etat soit neutre sur le plan de la sécurité sociale. Les régimes nationaux peuvent en effet être plus ou moins avantageux au niveau de la protection sociale. La législation moins favorable reste conforme aux articles 45 et 48, T.F.U.E, dès lors qu’elle ne désavantage pas le travailleur concerné par rapport à celui qui aurait exercé la totalité de ses activités dans l’Etat où elle s’applique. Cette situation ne peut cependant pas aboutir à verser des cotisations sociales à fonds perdus.

En vertu de la législation belge, l’indemnité d’invalidité a été refusée au motif que l’intéressée n’a pas suffisamment cotisé en Belgique et qu’elle ne pouvait percevoir ladite indemnité que sur la base des prestations d’assurances accomplies aux Pays-Bas. Interrogée par l’Institution belge, l’Institution néerlandaise a refusé d’octroyer l’indemnité afférente à ce statut au motif de la non-réalisation de la période d’incapacité de travail de 2 ans, exigée par législation néerlandaise. Elle a ainsi imposé l’accomplissement d’une seconde année de stage.

La Cour de Justice constate que, si la législation néerlandaise n’opère a priori pas de distinction entre les travailleurs migrants et les travailleurs sédentaires par rapport à cette exigence d’une période de 2 ans, elle conduit en pratique à désavantager, durant la seconde année d’incapacité de travail, les travailleurs migrants dans la situation de l’intéressée par rapport aux travailleurs sédentaires. Ceux-ci bénéficient en effet d’un avantage de la sécurité sociale dont sont privés les migrants. S’ils ne font pas usage de leur droit à la liberté de circulation et qu’ils accomplissent l’intégralité de la période d’incapacité de travail requise aux Pays-Bas, ils perçoivent, pendant ces deux années, l’indemnité d’incapacité de travail prévue par la loi néerlandaise.

L’application de cette loi produit dès lors des effets incompatibles avec le but de l’article 45, T.F.U.E., et la Cour rappelle ici son arrêt LEYMAN (C.J.U.E., 1er octobre 2009, Aff. n° C-3/08, LEYMAN) et, particulièrement, son point 49 avec la jurisprudence y reprise. Il y a un traitement différencié entre plusieurs groupes de personnes, l’un étant défavorisé. Ces deux groupes doivent, dans le droit de l’Union, être traités de la même façon et se voir appliquer le même régime, à savoir celui du groupe favorisé. Ceci est le seul système de référence valable, renvoyant encore aux affaires PÖPPERL (C.J.U.E., 13 juillet 2016, Aff. n° C-187/15, PÖPPERL) et CRESPO REY (C.J.U.E., 28 juin 2018, Aff. n° C-2/17, CRESPO REY).

Le système de référence valable est la situation appliquée aux Pays-Bas pour les travailleurs sédentaires, étant que, s’ils ont accompli l’intégralité de leur période d’incapacité de travail requise, ils perçoivent l’indemnité.

La Cour conclut dès lors que le droit de l’Union, en ses articles 45 et 48, T.F.U.E., s’oppose à la situation soumise. La Cour ajoute (considérant 48) qu’il appartient aux autorités nationales de déterminer quels sont en droit interne les moyens les plus appropriés pour atteindre l’égalité de traitement. Elle ajoute que cet objectif pourrait être atteint en octroyant également aux travailleurs migrants dans la situation visée une indemnité d’incapacité durant la seconde année d’attente imposée par la législation néerlandaise.

Le juge national devra dès lors déterminer comment rendre effectif le droit de l’Union sur la question.

Intérêt de la décision

Il est évident, dans l’espèce soumise, que l’intéressée s’est vu appliquer un traitement défavorable par rapport aux travailleurs sédentaires aux Pays-Bas et que ce traitement défavorable trouve son origine dans sa situation de travailleur migrant.

Les conditions de la loi belge et de la loi néerlandaise sont distinctes sur le plan des conditions d’octroi des indemnités d’invalidité et la Cour de Justice rappelle que le Règlement de coordination n’a pas pour effet d’harmoniser les législations. Il appartient dès lors au juge national de déterminer les moyens les plus appropriés pour atteindre l’égalité de traitement entre les travailleurs migrants et les travailleurs sédentaires.

La Cour invite le juge de renvoi à régler la question par l’octroi de l’indemnité d’incapacité de travail durant la seconde année (d’attente) imposée par la législation néerlandaise. Cette solution découle, en cas de traitement différencié entre plusieurs groupes de personnes, du principe de l’application aux membres du groupe défavorisé, de celui réservé au groupe favorisé.

Les deux arrêts PÖPPERL et CRESPO REY ont été précédemment commentés, s’agissant de l’application des règles en matière de pension de vieillesse.


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