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Licenciement intervenu suite à une fausse couche et discrimination

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Liège), 8 janvier 2019, R.G. 17/3.159/A

Mis en ligne le mardi 10 septembre 2019


Tribunal du travail de Liège (division Liège), 8 janvier 2019, R.G. 17/3.159/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 8 janvier 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Liège) conclut au caractère discriminatoire d’un licenciement intervenu après une fausse couche d’une employée, discrimination directe fondée sur la base du genre et non susceptible de justification.

Les faits

Une employée comptable entre au service d’une société en avril 2015, étant engagée dans un contrat à durée déterminée de trois mois, qui sera renouvelé. Quelques mois plus tard, elle adresse un courrier à la direction, se plaignant de ne pas être bien traitée. Elle fait part de sa déception quant aux conditions et aux perspectives de travail. Son engagement est néanmoins prolongé, un contrat à durée indéterminée lui étant soumis. A la mi-2016, elle apprend qu’elle est enceinte. Suite à une fausse couche, elle est en incapacité de travail pendant trois semaines et adresse à cette occasion un nouveau courrier relatif aux mauvaises conditions de travail et au stress qui s’en est suivi. Un échange de courriers se poursuit, assez amer de part et d’autre.

L’employée reprend le travail à l’issue de la période d’incapacité et est à ce moment licenciée moyennant paiement d’une indemnité compensatoire. Le motif donné sur le C4 est une réorganisation et, à la demande de communication de motifs concrets au sens de la C.C.T. n° 109, la société confirme une réorganisation, impliquant d’ailleurs l’époux de l’employée, qui travaillait comme comptable externe pour la société. Il est fait état, dans un premier temps, d’une répartition du travail de l’employée entre ses collègues présents. L’employeur pointe également que des erreurs d’encodage auraient été constatées.

La travailleuse porte plainte auprès de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes et celui-ci intervient, dans un courrier très circonstancié du 30 janvier 2017, reprenant l’historique de la dégradation des relations entre les parties et estimant que les faits rapportés et documentés suffisent à déclencher la présomption de licenciement en réaction à l’annonce de la fausse couche. L’Institut rappelle qu’il entre dans ses missions de signaler qu’un tel licenciement est constitutif d’un acte discriminatoire prohibé. Il s’agit en l’espèce d’une discrimination directe et il est rappelé qu’est due, dans une telle hypothèse, une indemnisation du préjudice moral et matériel subi équivalente à six mois de rémunération brute.

Vu l’absence de réaction, une requête est déposée devant le tribunal du travail.

Position des parties devant le tribunal

La demanderesse estime qu’il y a une discrimination et rappelle le mécanisme légal d’allègement de la charge de la preuve. Pour elle, il s’agit plus d’une discrimination basée sur le sexe que sur l’état de santé (qu’elle retient à titre subsidiaire).

L’Institut rappelle que les discriminations directes fondées sur le sexe sont interdites en toute hypothèse, les discriminations indirectes pouvant l’être sauf si elles sont justifiées en raison d’un but légitime et constituent des moyens adéquats et nécessaires. Il n’est pas requis, pour que la protection joue, que la femme soit effectivement enceinte à la date du licenciement, l’incapacité trouvant son origine dans la grossesse ou dans une situation de grossesse potentielle devant également être retenue.

Pour l’Institut, l’employeur ne renverse par la présomption, les motifs invoqués n’étant pas établis (réorganisation et erreurs professionnelles).

Quant à la société, elle se borne à rappeler la nécessité pour elle de réorganiser ses tâches comptables et sa gestion des ressources humaines, rappelant également les erreurs commises par l’employée et faisant valoir que celle-ci aurait de toute façon été licenciée, la concomitance entre l’annonce de la fausse couche et la décision de licenciement n’étant qu’une coïncidence, un hasard.

L’avis de M. l’Auditeur du travail

M. l’Auditeur du travail fait un long rappel des règles en matière de discrimination. Il retient que le mécanisme légal impose de procéder en plusieurs étapes, étant (i) de déterminer si la différence de traitement peut être qualifiée de discrimination fondée sur le sexe (et, si oui, de déterminer s’il s’agit d’une discrimination directe ou indirecte), (ii) de déterminer ensuite si le demandeur prouve des faits permettant de présumer l’existence de celle-ci, (iii) dans l’affirmative, d’examiner si la partie défenderesse prouve l’absence de discrimination ou si les conditions requises pour qu’elle soit admise sont remplies (exigence professionnelle déterminante, objectif légitime approprié et nécessaire) et (iv), si cette preuve n’est pas rapportée, de déterminer le mode de réparation en fonction du choix fait par la partie demanderesse.

Reprenant les échanges entre les parties, M. l’Auditeur du travail constate un revirement d’attitude complet à l’égard de l’employée au moment où elle a exposé avoir vécu l’expérience la plus traumatisante de sa vie, ainsi qu’une réponse tout à fait inappropriée de l’employeur. La société n’établissant pas que le licenciement aurait eu lieu même en l’absence de discrimination (absence de preuve de la restructuration annoncée), il considère que, dans la mesure où le mode de réparation choisi est le forfait, il y a lieu d’allouer l’indemnité réclamée.

La décision du tribunal

C’est également par un long rappel des principes que le jugement procède, à la fois sur la discrimination fondée sur le genre ainsi que sur l’état de santé.

En l’espèce, le tribunal estime que la demanderesse démontre qu’elle a fait l’objet d’un licenciement à un moment très particulier de la relation de travail et qu’elle établit ainsi un fait permettant de présumer un licenciement en représailles, suite à l’incapacité consécutive à la fausse couche. Le renouvellement du contrat à durée déterminée et l’engagement à durée indéterminée sont rappelés, ainsi que le fait qu’aucune remarque ne lui a été adressée auparavant (avertissement, courriel, etc.), alors que des marques de satisfaction, voire de félicitations, sont présentes au dossier.

L’employeur n’apportant pas à la preuve des motifs de licenciement invoqués, le tribunal conclut à l’existence d’une mesure discriminatoire. Il précise qu’est une discrimination fondée sur le sexe féminin la mesure prise au regard, à l’occasion ou dans le cadre de la grossesse, qu’il s’agisse de la grossesse en elle-même, d’un traitement en rapport avec la fertilité (fécondation in vitro, etc.), une fausse couche, l’accouchement, ou encore l’allaitement : ces mesures ont un lien direct avec le sexe, mais non avec l’état de santé, avec lequel elles n’entretiennent en l’espèce qu’un lien indirect. La discrimination est une discrimination directe et non susceptible de justification.

Le jugement fait dès lors droit à la demande et condamne la société au paiement de l’indemnité forfaitaire de six mois de rémunération.

Intérêt de la décision

La solution dégagée par le tribunal du travail dans cette affaire ne surprend pas, les éléments du dossier ayant permis à la partie demanderesse d’établir l’existence de faits faisant présumer l’existence d’une discrimination et la partie défenderesse restant en défaut d’établir les motifs autres, qu’elle considère avoir été à la base de la mesure de licenciement.

Le point d’intérêt particulier est l’analyse faite en parallèle du licenciement discriminatoire sur la base du genre et sur la base de l’état de santé. Dans un attendu important, le tribunal estime que, si la décision discriminatoire a été prise au regard, à l’occasion ou dans le cadre de la grossesse – qu’il s’agisse de la grossesse en elle-même, d’un traitement en rapport avec la fertilité, d’une fausse couche, de l’accouchement, ou encore de l’allaitement –, il s’agit d’une discrimination fondée sur le sexe féminin. Celle-ci n’est pas susceptible de justification. Le lien avec le sexe est direct et, avec l’état de santé, il est indirect. L’indemnité est en conséquence allouée sur la base du premier critère.

L’on peut utilement renvoyer sur la question à un jugement rendu par le Tribunal du travail de Mons et Charleroi (division La Louvière) le 22 mai 2015 (R.G. 13/758/A – précédemment commenté). Celui-ci visait la situation spécifique d’absence pour incapacité de travail liée à des problèmes de grossesse.


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