Commentaire de C. trav. Liège, 7 mars 2006, R.G. 32.606/2004
Mis en ligne le mercredi 26 mars 2008
Cour du travail de Liège, 7 mars 2006, R.G. n° 32.606/2004
TERRA LABORIS ASBL – Mireille Jourdan
Dans un imposant arrêt du 7 mars 2006, la cour du travail de Liège examine la question de savoir si la victime peut réclamer des intérêts moratoires en vertu de la charte de l’assuré social sur les arriérés d’indemnités alloués par une décision judiciaire. Pour la cour, ceux-ci sont dus.
Les faits
La cour relève qu’une demande d’indemnisation a été adressée au Fonds le 17 août 2001. La décision a été notifiée le 28 mars 2002. Il s’agit de la décision de refus du droit aux prestations. Cette décision a été prise avec retard, vu l’art. 10 de la charte de l’assuré social.
Le 29 novembre 2002, le travailleur a contesté en justice cette décision administrative.
Nous n’aborderons ici que la question des intérêts moratoires, la cour examinant en outre celle de l’évaluation de l’incapacité permanente.
Les positions des parties
Le travailleur demande que ceux-ci soient calculés à partir du 18 décembre 2001 sans discontinuer jusqu’au 29 novembre 2002, date à laquelle les intérêts judiciaires seront dus.
Le Fonds n’admet les devoir que du 18 décembre 2001 au 28 mars 2002 et ne conteste pas devoir les intérêts judiciaires (article 1153 du Code Judiciaire). La période ci-dessus est acceptée vu le retard à prendre la décision administrative. Pour le surplus, il s’oppose au paiement des intérêts de retard pour trois motifs :
La décision de la cour
Dans cet arrêt particulièrement fouillé, rappelant un ensemble de principes gouvernant tant la théorie générale des obligations que la charte de l’assuré social, la cour rappelle d’abord la finalité des intérêts moratoires, qui est de rétablir l’équilibre, par référence à l’intérêt légal, que l’écoulement du temps a perturbé. Ils ont donc une finalité économique, étant une indemnisation forfaitaire du retard de paiement. Ils couvrent à la fois le dommage dû à l’absence de jouissance de la somme et celui résultant encore de l’érosion monétaire.
La cour examine ensuite comment les intérêts moratoires sont appliqués à la matière. L’examen des lois coordonnées le 3 juin 1970 révèle qu’elles ne contiennent aucune disposition concernant le calcul de ceux-ci, contrairement par exemple, à la loi sur les accidents de travail.
Par ailleurs, en vertu de l’art. 20 de la charte de l’assuré social, les prestations portent intérêt de plein droit à dater de leur exigibilité et au plus tôt à partir de la date découlant de l’application de l’art. 12 de la même charte, qui précise les obligations de paiement des prestations, c’est-à-dire au plus tard dans les quatre mois de la notification de la décision d’octroi et au plus tôt à partir de la date à laquelle les conditions de paiement sont remplies. La loi ne subordonne dès lors pas l’octroi des intérêts à la constatation d’une faute dans le chef de l’institution de sécurité sociale, non plus qu’à un retard puisque le critère est la date d’exigibilité, le système prévoyant un effet différé vu l’art. 12. La loi contient une exception, étant que si la décision d’octroi est prise avec un retard imputable à l’institution de sécurité sociale, les intérêts sont dus à partir de l’expiration du délai visé à l’art. 10 de la charte, ce dernier précisant que l’institution doit statuer au plus tard dans les quatre mois de la réception de la demande ou du fait donnant lieu à un examen d’office et au plus tôt à partir de la date de prise de cours de la prestation. Si l’article 1153 du Code Judiciaire impose l’exigence d’une sommation, l’article 20 de la charte ne requiert pas celle-ci.
La cour s’appuie longuement sur l’arrêt de la cour d’arbitrage du 8 mai 2002, qui avait considéré qu’il n’est pas pertinent par rapport aux objectifs du législateur de traiter les bénéficiaires assurés sociaux de manière différente selon que les prestations qui leur sont accordées le sont en exécution d’une décision administrative ou d’une décision judiciaire.
Elle rencontre les moyens du Fonds comme suit :
Le Fonds peut-il démontrer l’existence d’une cause étrangère libératoire, à savoir qu’il y aurait absence d’une faute dans son chef ?
Pour la cour, l’on ne peut retenir à ce titre une erreur d’appréciation qui serait contestée par une décision judiciaire car le travailleur doit pouvoir bénéficier des indemnités à leur date d’exigibilité. S’il faut, par ailleurs, examiner si le Fonds n’a pas commis de faute - ce qui pourrait constituer une pareille cause étrangère - encore faut-il conclure que, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, la cause étrangère ne peut être imputable au débiteur. Or, une administration est évidemment responsable de ses décisions.
Ce dernier motif ne peut que conforter les objectifs d’administration diligente contenues dans la charte de l’assuré social.
Intérêt de la décision
Cette décision est particulièrement importante. Le contentieux en la matière est en effet très abondant, le Fonds des Maladies Professionnelles contestant régulièrement devoir payer les intérêts moratoires dans une telle situation. Les objections qui sont généralement opposées aux demandes de paiement de ces intérêts en application de l’art. 20 de la charte sont très judicieusement rencontrées et la consécration de cette jurisprudence devrait mettre un terme à ces contestations.