Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Huy), 1er février 2019, R.G. 18/85/A
Mis en ligne le jeudi 12 septembre 2019
Tribunal du travail de Liège (division Huy), 1er février 2019, R.G. 18/85/A
Terra Laboris
Dans un jugement du 1er février 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Huy) examine la notion de « paiement effectif » d’une pension alimentaire au sens de l’article 110, § 1er, 3°, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991, et ce dans l’hypothèse où le SECAL a fait, en vertu de sa mission légale, des avances au créancier alimentaire, avances qu’il récupère auprès d’un bénéficiaire d’allocations de chômage.
Bref rappel des faits
Le demandeur avait fait figurer sur son formulaire C1 rempli le 30 juillet 2010 qu’il habitait seul mais payait une pension alimentaire. Ceci a entraîné le paiement des allocations au taux de travailleur avec charge de famille.
Il est apparu par la suite que la pension alimentaire n’était pas payée directement mais que, à partir du certaine date, l’organisme de paiement de l’intéressé avait procédé à des retenues sur l’allocation de chômage, à destination du SECAL, en remboursement des avances de pension alimentaire. La mère des enfants avait introduit une demande auprès de cet organisme en janvier 2012 et les avances ont ainsi été payées pendant plus de trois ans, la récupération étant rapidement intervenue par voie de saisie-arrêt sur les allocations de chômage.
Objet du litige
Le recours introduit devant le Tribunal du travail de Liège par l’assuré social bénéficiaire d’allocations de chômage porte sur la catégorie de bénéficiaire, au sens des articles 110 et suivants de l’arrêté royal organique.
Alors qu’il percevait les allocations au taux de travailleur avec charge de famille, l’ONEm a pris une décision d’exclusion à ce taux, en date du 1er février 2018, et a poursuivi la récupération correspondante, conformément aux articles 169 et 170 de l’arrêté royal, infligeant en outre une sanction de treize semaines pour déclaration inexacte. Le litige porte sur le fait que le demandeur avait déclaré payer une pension alimentaire alors que tel n’était pas le cas.
Devant le tribunal, il explique qu’il a effectivement payé une pension alimentaire, même s’il le faisait par l’intermédiaire d’un remboursement du SECAL.
Il demande à titre principal l’annulation de la sanction et, à titre subsidiaire, une réduction de celle-ci.
L’ONEm lui oppose que les remboursements au SECAL n’équivalent pas au paiement d’une pension alimentaire. L’Office sollicite la confirmation de la décision.
La décision du tribunal
Le tribunal commence par le rappel des règles figurant à l’article 110 de l’arrêté royal, qui permet notamment de considérer comme travailleur ayant charge de famille celui qui habite seul et paie de manière effective une pension alimentaire. Pour ce qui est de la notion de paiement effectif, celle-ci a été précisée dans un arrêté royal du 24 janvier 2002 et le tribunal rappelle un extrait du Rapport au Roi, étant qu’il s’agit d’assurer au créancier alimentaire, par le biais d’une obligation supplémentaire conditionnant l’octroi, au redevable, du taux chef de ménage, le respect du paiement de la pension alimentaire. Cette exigence d’effectivité concrétise l’objectif initial des pouvoirs publics, et de l’ONEm en particulier, qui était de permettre au chômeur débiteur alimentaire de s’acquitter de son obligation en lui assurant un complément d’allocations à cette fin. Le Rapport précise également que la modification a été rendue nécessaire, l’effet incitatif initialement prévu dans le texte au profit du créancier alimentaire étant resté purement théorique.
Le tribunal rappelle encore le rôle du SECAL, institution créée par la loi du 21 février 2003 (loi créant un Service des créances alimentaires au sein du SPF Finances) : celui-ci a pour mission de percevoir ou de recouvrer les créances alimentaires, en ce compris les arriérés. Il octroie parallèlement des avances au créancier alimentaire. Lorsqu’il intervient, il envoie au débiteur d’aliments une lettre recommandée l’informant qu’il procède à la perception et au recouvrement de la pension alimentaire et des arriérés en lieu et place du créancier et, à partir de la date de notification, seuls les paiements effectués auprès du SECAL sont libératoires (le tribunal soulignant ce dernier point).
L’action du SECAL est une action pour le compte et au nom du créancier d’aliments. Il s’agit d’une subrogation de plein droit, notamment, aux actions et droits civils ainsi qu’aux garanties dont le créancier dispose en vue de la perception et du recouvrement.
En l’espèce, la question est de savoir si l’intéressé a effectivement payé la pension alimentaire. Les faits n’étant pas contestés (absence de paiement, demande d’intervention de la mère auprès du SECAL et intervention de cet organisme), il faut déterminer si le remboursement des avances équivaut à un paiement effectif.
Pour le tribunal, tel est le cas, vu l’article 3 de la loi du 21 février 2003, qui précise qu’à partir de la date de la notification (et sous réserve d’une situation non visée en l’espèce), seuls les paiements effectués auprès du Service des créances alimentaires sont libératoires. A partir de l’intervention du SECAL, seuls les paiements faits libèrent le débiteur.
Pour le tribunal, lorsque l’ONEm considère que le travailleur doit s’acquitter personnellement de l’obligation alimentaire, il ajoute au texte une condition qu’il ne contient pas, celui-ci n’exigeant pas un paiement volontaire et personnel. A partir de l’intervention de l’organisme et jusqu’à l’arrêt de celle-ci (intervenu à la demande de la mère), les remboursements sont libératoires. Ils équivalent à un paiement effectif.
Le tribunal va donc confirmer la décision de l’ONEm pour une partie de la période et la réformer pour une autre, pour laquelle l’intéressé peut ainsi bénéficier des allocations pour travailleur ayant charge de famille.
Sur la sanction, le tribunal consacre encore quelques développements sur la question de la motivation, soulignant un point particulier de la loi du 29 juillet 1991, étant que, si la motivation est obligatoire, il doit y avoir un rapport de proportionnalité entre l’importance de la décision et sa motivation, celle-ci devant être claire. Il renvoie notamment, pour la jurisprudence du Conseil d’Etat qui a annulé des décisions dont la motivation était vague et insignifiante, à l’arrêt du 13 mars 1991 (C.E., 13 mars 1991, n° 36.636, J.T., 1991, p. 738, avec commentaire de D. LAGASSE). Plus précisément pour ce qui est de la matière du chômage, il renvoie à l’arrêt du 15 février 1999 de la Cour de cassation (Cass., 15 février 1999, n° S.98.0007.F), selon lequel la durée de l’exclusion doit faire l’objet d’une motivation propre. L’absence de cette motivation emporte que soit prononcée la nullité de la décision.
En l’espèce, la sanction n’est pas motivée correctement, seule figurant la mention selon laquelle le chômeur n’a pas fait une déclaration complète et eu égard également à la longueur de la période infractionnelle.
Pour le tribunal, cette motivation ne tient pas compte de la situation effective de l’intéressé. La décision est annulée, le tribunal estimant qu’une sanction de six semaines d’exclusion est justifiée, et ce par pouvoir de substitution.
Intérêt de la décision
L’intérêt de ce jugement est de situer le rôle du SECAL dans la matière des allocations de chômage, et particulièrement dans l’article 110 de l’arrêté royal organique.
Son paragraphe 1er détermine les hypothèses dans lesquelles un travailleur au chômage peut être considéré comme ayant charge de famille. La situation de celui qui habite seul et paie effectivement une pension alimentaire est prévue, celle-ci intervenant soit sur la base d’une décision judiciaire, soit étant reprise dans un acte notarié dans le cadre d’une procédure en divorce par consentement mutuel ou d’une séparation de corps, ou encore d’un acte notarié rédigé au profit d’un enfant (soit à la personne qui exerce l’autorité parentale, soit à l’enfant mineur) si l’état de besoin subsiste.
Toutes autres pensions alimentaires sont rejetées, en ce compris celle effectivement payée, mais volontairement et n’entrant pas dans les hypothèses ci-dessus.
Le tribunal interprète l’intervention du SECAL comme signifiant que les montants qu’il récupère équivalent à un paiement effectif de la part contributive du chômeur, au sens de cet article 110. L’on aura noté que, si la décision de l’ONEm est en conséquence réformée pour la période où cette institution est intervenue par saisie-arrêt sur les allocations de chômage, elle est maintenue pour les périodes en-dehors de cette intervention.