Terralaboris asbl

Prestations aux personnes handicapées et bénéficiaires de la protection subsidiaire

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 15 avril 2019, R.G. 2018/AB/223

Mis en ligne le jeudi 12 septembre 2019


Cour du travail de Bruxelles, 15 avril 2019, R.G. 2018/AB/223

Terra Laboris

Dans un important arrêt du 15 avril 2019, la Cour du travail de Bruxelles fait le point sur la question de l’octroi des allocations aux personnes handicapées aux bénéficiaires de la protection subsidiaire, renvoyant à l’enseignement de la Cour constitutionnelle, à la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne et à des décisions précédemment rendues par des cours du travail.

Les faits

Un bénéficiaire de la protection subsidiaire (article 48/4 de la loi sur les réfugiés) et titulaire d’une carte de séjour temporaire perçoit une aide sociale d’un C.P.A.S. de la capitale, aide équivalente au revenu d’intégration sociale au taux isolé. Il introduit une demande d’allocations aux personnes handicapées, décision refusée au motif de la nationalité.

Il fait une nouvelle demande trois ans plus tard et il est alors constaté par le médecin de l’Etat belge que les critères médicaux sont remplis, la réduction de capacité de gain à un tiers ou moins de celle d’une personne valide étant constatée, ainsi qu’une réduction d’autonomie de treize points. La décision retient, sur la base de certificats médicaux circonstanciés, qu’il y a des séquelles de torture.

Cette demande est également rejetée, et ce toujours au motif de la nationalité.

Le demandeur acquiert la nationalité belge en 2017 et une révision d’office est alors entamée, l’Etat belge octroyant à la fois une allocation de remplacement de revenus et une allocation d’intégration.

Un recours est introduit devant le tribunal en ce qui concerne le point de départ de la période d’octroi, l’intéressé demandant que les allocations lui soient accordées depuis l’introduction de sa deuxième demande et non depuis son inscription au registre de la population (intervenue près de deux ans plus tard).

La demande en appel

A l’appui de son appel, le demandeur – qui a été débouté par le tribunal – sollicite à titre principal la reconnaissance du droit à partir de la date de l’introduction de la demande et à titre subsidiaire, si l’illégalité de la décision ne pouvait être directement établie, il sollicite de saisir la Cour de Justice de l’Union européenne, présentant deux questions tirées de la Directive n° 2011/95/UE et visant également le principe de non-discrimination et d’égalité inscrit aux articles 20 et 21 de la Charte.

Pour l’appelant, les allocations prévues par la loi du 27 février 1987 revêtent un caractère essentiel au regard de la Directive n° 2011/95/UE. Il fait également valoir la proximité des statuts de protection internationale et de sa situation personnelle. Son exclusion n’est, en conséquence, ni nécessaire ni objectivement justifiée, compte tenu de l’impact sur son droit de vivre dignement. Il invoque deux décisions rendues par la Cour du travail de Liège d’une part (C. trav. Liège, 28 août 2018, R.G. 2017/AU/50) et par la Cour du travail de Bruxelles de l’autre (C. trav. Bruxelles, 4 septembre 2017, R.G. 2016/AB/663), ainsi que la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (C.J.U.E., 21 novembre 2018, Aff. n° C-713/17, SHAH AYUBI – cette dernière décision étant invoquée à l’appui de l’effet direct de l’article 29.1 de la Directive).

Le SPF fait valoir qu’un ressortissant étranger qui bénéficie de la protection subsidiaire ne peut être assimilé à celui qui a le statut de réfugié, cette catégorie ne figurant pas à l’article 4 de la loi du 27 février 1987. Il considère qu’il n’y a pas de violation de la Constitution lue en combinaison avec la Directive n° 2004/83/CE du 29 avril 2004 (article 28, § 2). Il fait également valoir que les prestations aux personnes handicapées ne sont pas des prestations essentielles au sens de l’article 29 et qu’il a formé un pourvoi contre l’arrêt de la Cour du travail de Liège ci-dessus.

Avis du Ministère public

Le Ministère public conclut au fondement de l’appel et propose, à titre subsidiaire, trois questions à destination de la Cour de Justice, relatives à l’interprétation de l’article 29 de la Directive n° 2011/95/UE, renvoyant à la jurisprudence SHAH AYUBI.

La décision de la cour

La cour procède à un rappel des normes applicables, étant pour le droit interne la loi du 27 février 1987 et son arrêté royal d’exécution de l’article 4, § 2, du 17 juillet 2006, et, pour le droit européen, il reprend longuement les principes de la Directive n° 2011/95/UE.

Cette dernière précise les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, ainsi qu’au statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire. Le statut conféré à un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride par la protection subsidiaire suppose la reconnaissance par un Etat membre.

Pour ce qui est de la protection sociale, l’article 29.1 de la Directive prévoit que les Etats membres veillent à ce que les bénéficiaires d’une protection internationale reçoivent dans ledit Etat la même assistance sociale nécessaire que celle prévue par les ressortissants de celui-ci. Par dérogation, les Etats peuvent limiter aux prestations essentielles l’assistance sociale accordée en cas de bénéficiaires de statut conféré par la protection subsidiaire, ces prestations essentielles étant servies au même niveau et dans les mêmes conditions d’accès que ceux applicables aux ressortissants.

La cour du travail renvoie ensuite longuement à l’arrêt CAMBERAJ de la Cour de Justice de l’Union européenne (C.J.U.E., 24 avril 2012, Aff. n° C-571/10, CAMBERAJ), dont elle reprend les considérants 83 à 93, arrêt rendu dans le cadre de la Directive n° 2003/109, abrogée par la Directive n° 2011/95/CE. En vertu de cette dernière, les Etats membres avaient jusqu’au 21 décembre 2013 au plus tard pour rendre leur droit interne conforme à la Directive et certains principes ont encore été réaffirmés dans l’arrêt SHAH AYUBI, dont l’enseignement s’applique pour la cour du travail par analogie aux personnes bénéficiant de la protection subsidiaire.

Il ressort en substance de ce dernier arrêt que, si l’article 29.1 de la Directive n° 2011/95/CE confère aux Etats membres une certaine marge d’appréciation, notamment quant à la détermination du niveau d’assistance sociale qu’ils estiment nécessaire, il n’en reste pas moins que cette disposition met à charge de chaque Etat membre, dans des termes dépourvus d’équivoque, une obligation de résultat précise et inconditionnelle, consistant à assurer à tout réfugié auquel il octroie sa protection le bénéfice de la même assistance sociale que celle prévue pour ses ressortissants (considérant 38).

La Cour de Justice rappelle qu’elle a, dans sa jurisprudence, admis que des dispositions comparables à l’article 29.1, imposant le bénéfice du traitement national ou interdisant certains discriminations, ont un effet direct. Il appartient aux juridictions nationales et aux organes de l’administration d’appliquer intégralement le droit de l’Union et de protéger les droits que celui-ci confère aux particuliers, en laissant au besoin inappliquée toute disposition contraire du droit interne.

La cour du travail procède, en conséquence, à l’examen de l’article 4 de la loi du 27 février 1987 à la lumière des principes ci-dessus, la question essentielle étant de savoir si le demandeur, qui s’est vu octroyer par la Belgique la protection subsidiaire, rentre dans la notion de protection internationale visée à l’article 29.1. Il s’agit dès lors de décider si les allocations aux personnes handicapées constituent une assistance sociale au sens de cette disposition.

Elle relève que la protection subsidiaire est visée aux articles 30 et 31 de la loi du 21 décembre 2013 portant des dispositions diverses urgentes en matière de législation sociale (sans faire de référence à la Directive n° 2011/95/UE, mais renvoyant à l’arrêt de la Cour constitutionnelle n° 42/12 du 8 mars 2012 à propos de la Directive n° 2004/83/CE).

La loi du 21 juillet 2016, qui a modifié celle du 26 mai 2002 concernant le droit à l’intégration sociale, revient cependant in fine à transposer l’article 29.1 de la Directive n° 2011/95/UE, en traitant sur pied d’égalité les réfugiés et les bénéficiaires de la protection subsidiaire.

La cour rejoint la décision rendue le 4 septembre 2017 (C. trav. Bruxelles, 4 septembre 2017, R.G. 2016/AB/663 – autrement composée), selon laquelle les allocations aux personnes handicapées visent à tenir compte de l’état de santé des personnes qui ne disposent pas de ressources suffisantes et qui, du fait de leur état de santé, ne peuvent travailler et/ou subissent une réduction d’autonomie dans les actes de leur vie journalière. Le législateur ne pourrait dès lors considérer que ces allocations ne constituent pas des prestations essentielles au sens de l’article 29.2 de la Directive. Dans une telle interprétation, il y aurait violation de l’article 29.

Elle considère dès lors que l’appel est fondé et fait droit à la demande d’octroi de l’allocation de remplacement de revenus ainsi que de l’allocation d’intégration au 1er octobre 2015.

Intérêt de la décision

Dans cette problématique complexe, l’arrêt rendu par la Cour du travail de Bruxelles ce 15 avril 2019 fait un point important des développements juridiques les plus récents sur la question. La cour renvoie – comme l’avait fait la partie appelante – à deux arrêts rendus par la Cour du travail de Liège et la Cour du travail de Bruxelles. Ainsi que précisé dans l’arrêt, un pourvoi a été formé contre l’arrêt de la Cour du travail de Liège, la décision de la Cour de cassation étant attendue.

Il faut, cependant, avoir égard à l’arrêt de la Cour de Justice du 21 novembre 2018, arrêt capital dans cette problématique. La Cour de Justice y a en effet considéré que l’article 29 de la Directive n° 2011/95/UE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit que les réfugiés bénéficiant d’un droit de séjour temporaire dans un État membre se voient octroyer des prestations d’assistance sociale d’un montant inférieur à celui des prestations accordées aux ressortissants de cet État membre et aux réfugiés bénéficiant d’un droit de séjour permanent dans ledit État membre. Un réfugié peut invoquer, devant les juridictions nationales, l’incompatibilité d’une réglementation telle que celle en cause au principal avec l’article 29, § 1er, de la Directive n° 2011/95, afin que la restriction de ses droits que comporte cette réglementation soit écartée.


Accueil du site  |  Contact  |  © 2007-2010 Terra Laboris asbl  |  Webdesign : michelthome.com | isi.be