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Récupération d’indu : application du Règlement n° 883/2004

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 25 avril 2019, R.G. 2016/AB/508

Mis en ligne le lundi 23 septembre 2019


Cour du travail de Bruxelles, 25 avril 2019, R.G. 2016/AB/508

Terra Laboris

Dans un arrêt du 25 avril 2019, la Cour du travail de Bruxelles reprend le lien nécessaire entre les obligations des règlements de coordination et celles de la Charte de l’assuré social.

Les faits

Un citoyen français, résidant en Belgique et y percevant une pension de retraite, se voit réclamer un indu de l’ordre de 20.000 euros, au motif qu’alors qu’il percevait sa pension belge, il était resté occupé pendant une période déterminée par une société à Madrid dans le cadre d’un « contrat de relève », conformément au droit espagnol.

Une procédure est introduite et celle-ci a donné lieu, outre au jugement (dont appel) rendu par le Tribunal du travail francophone de Bruxelles le 19 avril 2016, à un précédent arrêt de la cour du travail.

Le jugement du 19 avril 2016

Le tribunal considère qu’il y a eu erreur du SPF, dans la mesure où le formulaire E202 initial complété par l’intéressé mentionnait l’activité rémunérée exercée. Pour le tribunal, l’ONP (SPF Pensions actuellement) devait constater que les données du document étaient en contradiction avec celles du formulaire-questionnaire qui avait été envoyé. Il ne pouvait dès lors rester passif eu égard à l’existence de données contradictoires, dans la mesure où celles-ci avaient une incidence sur le droit à la pension.

Pour le tribunal, en droit, lorsqu’une institution de sécurité sociale a octroyé une prestation par erreur, la décision rectificative ne peut jouer que pour l’avenir, n’entraînant, de ce fait, pas l’obligation de restituer l’indu, et ce à la condition que le bénéficiaire soit de bonne foi. C’est le mécanisme de l’article 17, alinéa 2, de la Charte de l’assuré social, qui prévoit également que la nouvelle décision produira ses effets pour l’avenir, c’est-à-dire le premier jour du mois qui suit sa notification. Tel était le cas en l’espèce et le tribunal a constaté la bonne foi de l’intéressé.

Appel a été interjeté par le Service fédéral des Pensions.

Les décisions de la cour du travail

La cour a rendu deux arrêts, le premier en date du 28 mars 2018 et le second en date du 25 avril 2019.

L’arrêt du 28 mars 2018

Dans le premier arrêt, la cour examine la conformité d’une décision de récupération de l’indu avec le Règlement n° 883/2004, soulignant que les travailleurs migrants ne peuvent perdre des avantages de sécurité sociale du fait qu’ils ont exercé leur droit à la libre circulation.

Après avoir repris les règles relatives à la réduction des prestations (clauses « anti-cumul »), elle souligne que les effets de celles-ci sont adoucis dans le Règlement, et plus particulièrement dans ses articles 53 à 55, qui distinguent les prestations autonomes et les prestations au prorata, ce qui, pour les pensions de vieillesse, permet d’éviter les effets exorbitants ou disproportionnés pour leur application.

Pour ce qui est de l’erreur de l’administration au sens du Règlement, la cour conclut qu’elle est présente en l’espèce, vu que les institutions nationales se sont vu imposer des obligations et, notamment, à l’article 76, § 3, du Règlement n° 883/2004, qui prévoit que les autorités et institutions des Etats membres peuvent communiquer directement entre elles ou encore avec les personnes intéressées. La transmission d’informations et de pièces est également organisée dans le Règlement d’application n° 987/2009.

La cour rouvre les débats, aux fins de définir la portée de ces obligations d’information, celles-ci devant être appréciées en tenant compte des principes d’équivalence et d’effectivité, dans la mesure où elles ne peuvent faire l’objet d’une appréciation plus ou moins sévère que si la question était purement nationale.

L’arrêt du 25 avril 2019

Après un rappel circonstancié des faits, la cour reprend l’examen de la contestation.

Elle confirme qu’il y avait en l’espèce exercice d’une activité au sens de l’article 25 de l’arrêté royal n° 50, ainsi que 64, § 1er, de l’arrêté royal du 21 décembre 1967.

Il s’agit d’une activité exercée à l’étranger et la cour relève que la réglementation ne prévoit pas dans quelle mesure cette activité doit être exercée. Celle-ci a bel et bien existé et l’effectivité du droit à la libre circulation doit être vérifiée, dans tous ses effets. La cour renvoie à l’arrêt COMMISSION c/ CHYPRE (C.J.U.E., 21 janvier 2016, Aff. n° C-515/14, COMMISSION c/ CHYPRE), qui a repris les principes fondamentaux à cet égard. Il n’y a pas eu dans la situation examinée entrave à l’effectivité du droit à la libre circulation. Ainsi, l’application de la réglementation belge n’a pas contraint l’intéressé à choisir entre sa pension espagnole et sa pension belge.

Elle rappelle que le droit primaire de l’Union ne garantit pas à un assuré qu’un déplacement dans un autre Etat membre soit neutre en matière de sécurité sociale (notamment en matière de pension de maladie et de pension de vieillesse), un tel déplacement, compte tenu des disparités existant entre les régimes et les législations des Etats membres, pouvant, selon le cas, être plus ou moins avantageux ou désavantageux pour la personne concernée sur la plan de la protection sociale (la cour renvoyant ici expressément à l’arrêt de la Cour de Justice du 21 janvier 2016, dont elle cite un extrait). Il doit sur ce point être conclu à l’absence de violation du droit primaire de l’Union.

Conformément au Règlement n° 883/2004, les revenus perçus par le demandeur en raison du contrat de travail à temps partiel ne peuvent être considérés comme des prestations de sécurité sociale, revenus d’ailleurs non repris comme tels par le droit espagnol. Ils ne peuvent dès lors avoir la nature de pension de vieillesse au sens de l’article 54 du Règlement et, à cet égard non plus, la décision du SPF ne viole pas le Règlement n° 883/2004.

La cour en vient cependant aux principes dégagés par la Cour constitutionnelle à propos de l’article 17 de la Charte de l’assuré social. Elle examine longuement l’arrêt du 20 janvier 2010 (C. const., 20 janvier 2010, n° 1/2010), qui a expressément rappelé que l’article 17 de la Charte doit être lu en combinaison avec l’article 5 du Règlement européen n° 987/2009, fixant les modalités d’application du Règlement n° 883/2004.

En l’espèce, la cour constate que le formulaire E202 adressé par l’institution espagnole s’imposait au SPF aussi longtemps qu’il n’était pas retiré ou déclaré invalide par l’Etat espagnol. Dans la mesure où il n’est pas établi que l’intéressé savait ou devait savoir qu’il ne remplissait pas les conditions d’octroi de la pension de retraite belge pendant la période en litige, la cour conclut à la confirmation du jugement, la pension perçue ne devant pas être restituée.

Intérêt de la décision

Le dénouement de cette affaire était attendu, le premier arrêt rendu par la cour le 28 mars 2018 ayant dégagé des règles importantes sur le plan des liens entre le Règlement de coordination n° 883/2004 et les obligations mises à charge des institutions de sécurité sociale par la Charte de l’assuré social.

Il découle de l’examen de la cour que la mise en comparaison des obligations figurant dans le Règlement et dans la Charte doit aboutir, afin qu’il n’y ait pas d’entrave au principe de la libre circulation, à ce que les obligations mises à charge des Etats dans le cadre du Règlement ne fassent pas l’objet d’un examen plus sévère que s’il était effectué conformément aux règles nationales.

L’arrêt fait le lien entre ces obligations et le mécanisme de l’article 17 de la Charte.

Il relève encore à juste titre la solution dégagée par la Cour constitutionnelle dans son arrêt du 20 janvier 2010, où celle-ci a rappelé que le législateur belge a recherché une meilleure protection juridique de l’assuré social et que, s’agissant d’examiner des documents et pièces justificatives établis dans un autre Etat membre, il faut appliquer, à côté des dispositions du Règlement, l’article 17 de la Charte. La Cour constitutionnelle y a souligné qu’en cas de doute sur la validité d’un document ou l’exactitude des faits qui sont à la base des mentions y figurant, l’institution de l’Etat membre qui reçoit ce document demande à l’institution émettrice les éclaircissements nécessaires et, le cas échéant, son retrait. L’institution émettrice réexamine ce qui l’a amenée à établir le document et, au besoin, le retire. A défaut, ce document fait foi.


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