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Résolution judiciaire : un petit rappel

Commentaire de Trib. trav. fr. Bruxelles, 29 avril 2019, R.G. 18/1.452/A

Mis en ligne le lundi 14 octobre 2019


Tribunal du travail francophone de Bruxelles, 29 avril 2019, R.G. 18/1.452/A

Terra Laboris

Dans un jugement du 29 avril 2019, le Tribunal du travail francophone de Bruxelles conclut, dans une hypothèse de modification de la fonction d’une employée, à un manquement grave de l’employeur justifiant la résolution judiciaire du contrat à ses torts et sa condamnation au paiement de l’équivalent de l’indemnité compensatoire de préavis qui eût été due en cas de licenciement.

Les faits

Une demande est introduite par une employée devant le Tribunal du travail francophone de Bruxelles, aux fins d’entendre prononcer la résolution judiciaire du contrat de travail qui la lie à son employeur. Elle réclame également une indemnité au titre de dommage moral pour discrimination directe fondée sur le sexe.

L’intéressée a été engagée en 2015 en qualité de « consultant informatique » par une société de droit luxembourgeois. Elle a été placée chez un client de la société, à Bruxelles. En janvier 2017, elle a informé son employeur de ce qu’elle était enceinte. Elle a, après son congé de maternité, pris des jours de vacances et exercé son droit parental (réduction des prestations pendant deux mois). Pendant son absence, elle a été remplacée par un employé, qui a exercé ses fonctions. La société avait conclu avec ce dernier un contrat de sous-traitance pour une période d’environ six mois.

Alors qu’elle était toujours en suspension de contrat, le directeur de la société lui a proposé une modification de sa rémunération, envisageant une diminution du montant nominal de celle-ci et l’octroi d’un véhicule de société. Des écrits sont échangés, la société confirmant sa disponibilité pour faire un avenant au contrat et l’intéressée refusant une telle proposition. Recontactant son employeur, elle envisage la voie de la collaboration indépendante. La société la refuse. L’employée prend alors contact avec le client de son employeur ainsi qu’avec ce dernier, demandant à reprendre les fonctions qu’elle exerçait avant son congé de maternité. Le client répond que le poste est pourvu et que reste vacant un autre, qualifié de poste de « project manager ».

Le conseil de l’employée fait valoir dans un courrier que celle-ci ne souhaite pas exercer la fonction, s’agissant de deux fonctions totalement différentes, avec un niveau de responsabilité différent et des possibilités d’évolution également différentes. Le courrier contient le refus de l’intéressée de changer de fonction auprès du client concerné, ainsi que sa ferme intention de retrouver à la fois sa fonction et sa rémunération d’avant son congé de maternité.

Les parties restent sur leur position. Lors de la reprise, l’employée se présente au siège d’exploitation et il lui est demandé de suivre des formations en ligne pendant deux jours. Elle remet un certificat médical pour une durée d’une semaine, demandant à son conseil d’intervenir dans le même temps pour trouver une solution.

Il y a alors reprise du travail, mais celle-ci ne porte que sur le suivi de « formations en ligne », et l’employée constate que, pour certains jours, elle n’a pas la moindre tâche à accomplir. Elle retombe en incapacité de travail et le contrat est alors suspendu, pour ce motif ou pour du chômage temporaire.

Une action en référé est introduite le 31 janvier 2018. L’ordonnance rendue rejette la demande, au motif que les conditions d’urgence et de provisoire ne sont pas remplies.

Une action est dès lors introduite au fond en mars 2018 et, immédiatement après, l’intéressée démissionne moyennant préavis, qu’elle souhaite voir fixé à cinq semaines. La société marque accord sur celui-ci et sur ses conditions.

La décision du tribunal

Le tribunal procède en premier lieu à un rappel des principes découlant de l’application dans les relations de travail de l’article 1184 du Code civil. Il souligne que la résolution judiciaire suppose une faute de la part du débiteur de l’obligation. Il est également de règle que la fonction est un élément essentiel du contrat de travail et que l’employeur ne peut, sous peine de commettre une faute, modifier unilatéralement la fonction convenue. S’agissant d’un contrat synallagmatique à prestations successives, la résolution judiciaire remonte, en vertu de la jurisprudence de la Cour de cassation, au jour de l’introduction de la demande en justice (renvoyant notamment à Cass., 5 juin 2009, n° C.07.0482.N).

En cas de suspension du contrat pendant la procédure judiciaire, la résolution rétroagit en principe au dernier jour de travail effectif. Le fait par ailleurs que le contrat de travail prenne fin avant la décision judiciaire n’a pas nécessairement pour conséquence que la demande soit devenue sans objet (le tribunal renvoyant ici à Cass., 25 février 1991, n° 8.971, ainsi qu’à diverses décisions de fond).

Sur la réparation, les dommages et intérêts alloués peuvent être équivalents, selon la doctrine, à une indemnité compensatoire de préavis (renvoyant à P. CRAHAY, « Modifications des conditions de travail et résolution du contrat », J.T.T., 1985, p. 47).

En l’espèce, le tribunal va conclure à la résolution judiciaire du contrat aux torts de la société. Il analyse la fonction exercée ainsi que celle modifiée et rappelle que l’intéressée n’a pas marqué accord sur cette modification et que, à défaut pour l’employeur d’avoir fourni une fonction comparable ou similaire lors de la reprise du travail, il y a un manquement important qui justifie à suffisance la résolution judiciaire du contrat.

La démission de l’intéressée après le dépôt de la requête introductive ne prive pas d’objet la demande introduite.

Sur les dommages et intérêts, il admet qu’ils doivent être équivalents à l’indemnité compensatoire de préavis à laquelle la demanderesse aurait pu prétendre en cas de licenciement. Il considère que ne doivent pas être inclus, d’une part, l’indemnité de la C.C.T. n° 109 demandée par analogie avec celle-ci et, d’autre part, le préjudice moral supplémentaire également demandé par analogie avec la sanction forfaitaire de la loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes. La preuve de la réunion des conditions légales n’est en effet pas apportée.

Intérêt de la décision

Ce jugement reprend les étapes successives de l’examen d’une demande de résolution judiciaire d’un contrat de travail vu le (ou les) manquement(s) grave(s) d’une des parties.

En l’occurrence, le rappel est fait du caractère essentiel de la fonction exercée et le tribunal va analyser, concrètement, les responsabilités des deux appellations, prenant en compte que la demanderesse exerçait depuis son engagement la fonction de « project manager office assistant », dont les tâches sont listées, tâches portant essentiellement sur des travaux de préparation de réunions, d’administration et de compilation de rapports, etc., alors que la fonction proposée (sinon imposée) impliquait des responsabilités plus importantes, s’agissant pour son titulaire (« project manager ») d’être responsable de la gestion du projet depuis sa création jusqu’au résultat, de la gestion du budget, du planning et des ressources, etc.

La particularité de la situation jugée est non une rétrogradation imposée vers des fonctions moins importantes, mais l’obligation d’exercer des fonctions comportant plus de responsabilités que celles faisant l’objet du contrat.


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