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Accidents du travail : obligation de motivation de la décision de refus de l’accident dans le chef de l’assureur-loi

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 10 mai 2019, R.G. 2018/AL/263

Mis en ligne le vendredi 15 novembre 2019


Cour du travail de Liège (division Liège), 10 mai 2019, R.G. 2018/AL/263

Terra Laboris

Dans un arrêt du 10 mai 2019, la Cour du travail de Liège (division Liège) se penche sur deux questions importantes dans la matière des accidents du travail, étant d’une part de déterminer l’étendue de l’obligation de motivation d’une décision de refus de reconnaissance de l’accident dans le chef de l’assureur-loi et, d’autre part, les effets de l’absence d’une déclaration d’accident par l’employeur à celui-ci.

Les faits

Un travailleur prestant en clientèle (pose de matériel en vue de l’installation de panneaux photovoltaïques) adresse un SMS en fin de journée à son employeur, l’informant de ce qu’il se serait coincé le dos pendant le travail. Il produit un rapport médical le lendemain, rapport contenant la suspicion d’une double hernie discale, celle-ci ayant ultérieurement été mise en évidence par des examens spécialisés. Les faits datent du 12 novembre 2014. Pour l’employeur, il n’a pas été « officiellement » avisé de la survenance de l’accident et il n’a pas fait sa déclaration à l’assureur.

La déclaration d’accident a été faite le 2 janvier 2015 auprès du Fonds des Accidents du Travail (actuellement FEDRIS).

L’assureur-loi, informé de la déclaration d’accident, refuse son intervention en juillet 2015, au motif de contradiction dans les éléments à la base des faits, ceux-ci étant par ailleurs incertains.

L’intéressé a introduit un recours devant le Tribunal du travail de Liège.

La décision du tribunal

Le tribunal a admis l’accident. Il a rejeté une demande d’annulation de la décision de l’assureur, au motif d’absence de motivation formelle au sens de la loi du 29 juillet 1991, le tribunal considérant que cet assureur n’est pas une autorité administrative au sens de la loi.

L’accident est reconnu. Sur la preuve de l’accident, celle-ci tient en trois points, étant l’existence de présomptions graves, précises et concordantes d’un événement soudain, l’existence de la lésion et l’absence de renversement par l’assureur du lien causal présumé.

L’assureur a formé appel de ce jugement.

Moyens de parties devant la cour

L’assureur se fonde essentiellement sur un témoignage du client (selon qui le travailleur ne s’est pas plaint d’un accident quelconque survenu dans la journée), sur la déclaration de l’employeur (selon qui les faits ne lui auraient jamais été déclarés, le certificat médical renvoyant à une maladie) et, enfin, sur l’existence de lombalgies antérieures, les examens médicaux spécialisés ayant par ailleurs relevé l’absence de lésions osseuses d’origine traumatique.

La victime demande confirmation du jugement, sauf pour ce qui est du refus du tribunal d’annuler la décision de refus de prise en charge, au double motif que c’est à tort que les juges ont considéré que l’assureur-loi n’est pas une autorité administrative et qu’il y a violation de la Charte de l’assuré social, en ses articles 7 et 13, qui imposent une obligation de motivation en faisant usage d’un langage compréhensible pour le public. En l’espèce, il est reproché à la décision de contenir une motivation sibylline qui ne satisferait assurément pas à ces obligations de la Charte.

La décision de la cour

La cour reprend la chronologie des faits, relevant l’existence d’un SMS et d’un courriel le lendemain ainsi que les résultats d’examen, dont une IRM pratiquée quelques semaines plus tard, relevant une protrusion discale.

Elle examine ensuite longuement les éléments du dossier, dont les déclarations faites à l’assureur-loi, les photos effectuées et reproduites dans le rapport d’enquête, ainsi que les déclarations des intervenants.

Elle statue, ensuite, sur les questions de droit, la première question examinée étant de savoir si l’assureur-loi est une autorité administrative soumise à la loi du 29 juillet 1991.

Le premier point est de déterminer la notion d’autorité administrative et la cour renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 5 février 2016 (Cass., 5 février 2016, n° C.15.0164.F), selon laquelle « même si elle a été tenue d’adopter une forme déterminée par la loi lors de sa constitution et est soumise à un contrôle important de la part des pouvoirs publics, une société coopérative à responsabilité limitée qui ne peut pas prendre de décision obligatoire à l’égard de tiers ne perd pas son caractère de droit privé. Le fait qu’une tâche d’intérêt général lui soit confiée est sans intérêt à cet égard » (texte de l’arrêt). Par analogie, la cour considère que l’assureur-loi n’est pas en tant que tel soumis à l’obligation de motivation formelle au sens de la loi du 29 juillet 1991.

Se pose cependant la question de cette même motivation, eu égard aux obligations visées par la Charte. Un assureur-loi est une institution coopérante de sécurité sociale au sens de l’article 2, 2°, b), de celle-ci, quoiqu’étant un organisme de droit privé. La cour examine en conséquence les obligations contenues aux articles 11 et 14 du texte, concluant que la Charte prévoit pour toute sanction d’une décision qui ne contiendrait pas les mentions de l’article 14 non son annulation mais uniquement l’absence de prise de cours du délai légal pour contester.

Elle applique, ensuite, les dispositions de la Charte à la décision litigieuse, constatant que celle-ci contient toutes les mentions de l’article 14 et, précisant en outre qu’elle est communiquée au Fonds des Accidents du Travail, qu’elle est parfaitement conforme aux exigences de la loi du 10 avril 1995.

La cour rejette dès lors l’appel incident. Elle précise cependant que, dans le cadre de son contrôle de pleine juridiction, elle dispose du pouvoir de se substituer aux auteurs de la décision de refus de prise en charge opposée par l’assureur-loi en recherchant dans l’ensemble des éléments de fait et de droit soumis à son appréciation si l’intéressé peut, ou non, prétendre à voir qualifier les faits qu’il invoque comme un accident du travail (14e feuillet).

Elle en vient ensuite à l’examen plus classique des éléments d’analyse de l’accident, étant d’une part la présomption légale d’exécution, la présomption de causalité et la triple preuve reposant sur la victime. Elle renvoie abondamment à des arrêts de la Cour de cassation sur le point de la définition relatif à l’exercice normal et habituel de la tâche journalière, la Cour suprême ayant à diverses reprises confirmé qu’il n’est plus exigé aujourd’hui que l’événement soudain se distingue de cet exercice.

Lorsque l’accident est survenu sans témoin, la preuve des éléments constitutifs est plus délicate, selon la cour. Celle-ci renvoie cependant à l’article 1353 du Code civil, selon lequel l’appréciation de la force probante des présomptions est abandonnée aux lumières et à la prudence du magistrat.

Pour ce qui est des déclarations de la victime, elle reprend l’arrêt du 9 juin 1997 (Cass., 9 juin 1997, n° S.96.0184.F), qui a jugé que celles-ci constituent en elles-mêmes des présomptions dont l’appréciation revient au juge du fond. Ceci a été confirmé dans un arrêt de la Cour du travail de Liège du 7 mars 2005 (C. trav. Liège, 7 mars 2005, R.G. 7.533/2004), qui a jugé que les déclarations de la victime peuvent valoir au titre de présomptions et que, la mauvaise foi n’étant pas établie en l’espèce, ses déclarations ont une valeur probante certaine si son contenu en est confirmé par des présomptions.

Reste un point important, que la cour développe également, relatif à l’article 62 de la loi sur les accidents du travail, qui impose à l’employeur ou à son préposé de déclarer à l’entreprise d’assurances compétente, soit directement, soit via le portail de la sécurité sociale, tout accident pouvant entraîner l’application de la loi. La cour rappelle que l’employeur ne doit pas s’ériger en juge de la qualification des faits mais qu’il a l’obligation de faire cette déclaration dès lors que les faits en cause sont susceptibles d’entraîner l’application de la loi.

Il est constaté en l’espèce que la déclaration n’a pas été faite. Or, l’article 223, § 1er, 3°, du Code pénal social érige l’absence de déclaration en infraction punie d’une sanction de niveau 2. En conséquence, eu égard à l’article 29 du Code d’instruction criminelle, la cour – ayant constaté la trace d’une infraction dans le chef de l’employeur– transmet le dossier à l’Auditorat général de la Cour du travail de Liège afin qu’il examine la nécessité d’engager les poursuites requises contre leur auteur.

La cour conclut, après un rappel des éléments essentiels du dossier, au rejet des appels, tant l’appel principal que l’appel incident. Elle ordonne la désignation d’un expert, à qui elle confie une mission très détaillée.

Intérêt de la décision

Outre les critères habituels relatifs à la preuve d’un accident du travail (en outre ici survenu en l’absence de témoin), cet arrêt de la Cour du travail de Liège se distingue par deux questions très peu abordées.

La première est relative à la question de savoir si l’assureur-loi est une autorité administrative au sens de la loi du 29 juillet 1991 – la cour répondant à cette question par la négative – ou s’il est tenu à une obligation de motivation au sens de la Charte de l’assuré social – question à laquelle la cour répond par l’affirmative. Les institutions de droit privé collaborant au fonctionnement de la sécurité sociale sont en effet des institutions coopérantes de sécurité sociale et sont dès lors tenues par les obligations de la Charte. La cour conclut cependant qu’en l’absence de motivation adéquate d’une décision d’une telle institution, la sanction prévue n’est pas la nullité mais l’absence de prise de cours des délais de recours (et non de prescription).

La deuxième question importante est la sanction de l’absence de déclaration de l’employeur d’un accident du travail. Etant établi de par l’examen minutieux des faits que le travailleur l’a informé de la survenance de l’accident, la cour rappelle les obligations mises à charge de l’employeur par l’article 62 L.A.T., ainsi que la sanction érigée en cas d’absence de déclaration dans le Code pénal social, étant une sanction de niveau 2. Suspectant l’existence d’une telle infraction, la cour a, sur ce point, transmis le dossier à l’Auditorat général.


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