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En cas de requalification de la relation de travail, les montants versés au titre de collaboration indépendante sont-ils répétibles ?

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 6 novembre 2018, R.G. 2011/AB/612

Mis en ligne le vendredi 29 novembre 2019


Cour du travail de Bruxelles, 6 novembre 2018, R.G. 2011/AB/612

Terra Laboris

Par arrêt du 6 novembre 2018, la Cour du travail de Bruxelles rappelle la jurisprudence de la Cour de cassation selon laquelle une demande de remboursement de sommes formée par l’employeur est soumise aux dispositions du Code civil relatives à la répétition de l’indu. La requalification d’une convention de collaboration indépendante en contrat de travail n’a cependant pas pour conséquence de rendre indues les commissions versées en exécution de celle-ci.

Les faits

L’affaire concerne un gérant d’un point de vente d’une importante librairie. Il a le statut d’indépendant, perçoit des commissions sur le chiffre d’affaires et est affilié au statut social.

Se pose, en cours de prestations, la question de savoir si son statut est correct, l’intéressé estimant qu’il est un « faux indépendant », vu les restrictions apportées par la société à son organisation et à sa gestion.

Les relations entre parties devenant très tendues, il est finalement procédé par la société à la résiliation de la convention. L’ex-gérant revendique alors le statut de travailleur salarié pour la période d’occupation, estimant qu’il y avait autorité dans l’exercice de son activité.

Une procédure est introduite, en conséquence, devant le Tribunal du travail de Bruxelles, le demandeur sollicitant la régularisation des cotisations à l’O.N.S.S. ainsi que le paiement de sommes importantes aux titres de rémunération, d’arriérés, ainsi que d’une indemnité de rupture et de dommages et intérêts.

L’affaire a donné lieu à un jugement du tribunal du travail du 13 juillet 2006, dans lequel la qualité de salarié a été reconnue. Elle a été renvoyée au rôle pour les montants.

Appel a été interjeté par la société et la cour du travail a rendu deux arrêts, dont celui du 6 novembre 2018.

L’arrêt du 25 novembre 2015

Dans cet arrêt, après avoir réglé divers points de discussion factuels et procéduraux, la cour a procédé à l’examen de la relation, étant la question centrale de la requalification.

Elle a conclu que l’ensemble des éléments examinés ne démontraient pas l’exécution d’un travail indépendant, certains points étant incompatibles avec une telle exécution.

Elle a pointé comme signes révélateurs non seulement d’une dépendance économique mais d’une subordination juridique : (i) la manifestation du contrôle du rendement de l’activité du gérant, avec pouvoir de sanction en cas de non-réalisation de quotas, (ii) le fait qu’un représentant de la société a pénétré d’initiative dans le magasin en l’absence du gérant, intrusion considérée comme incompatible avec une collaboration indépendante, et (iii) l’intervention régulière de la société dans le système informatique du magasin aux fins de contrôler la comptabilité.

L’arrêt du 6 novembre 2018

La cour examine les demandes financières des parties, la société ayant demandé d’une part la réduction de l’indemnité compensatoire de préavis à un montant de l’ordre de 5.000 euros et ayant sollicité de l’autre le remboursement des sommes indues perçues au cours de la collaboration indépendante, s’agissant d’un montant de l’ordre de 146.000 euros, la compensation judiciaire étant sollicitée entre les sommes.

La cour examine en premier lieu la question de la prescription de cette demande, constatant d’abord sa recevabilité, au motif qu’elle est fondée sur des faits invoqués dans la citation introductive d’instance. Pour ce qui est du délai de prescription, elle renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 10 octobre 2016 (Cass., 10 octobre 2016, n° S.14.0061.N), qui a jugé que l’action par laquelle l’employeur poursuit contre le travailleur le remboursement de sommes qu’il lui a payées indûment ne dérive pas du contrat du travail mais des dispositions du Code civil relatives à la répétition de l’indu et que, en conséquence, cette demande est soumise au délai de prescription général.

La cour constate cependant que les conditions de l’indu (paiement sans cause) ne sont pas réunies. La demande de la société est dès lors rejetée.

Pour ce qui est des montants réclamés par l’employé, la cour rejette d’abord la demande de paiement de sursalaires pour les heures de travail effectuées au-delà de la durée hebdomadaire du travail, dans la mesure où, en qualité de gérant, l’intéressé était, en vertu de l’article 2 de l’arrêté royal du 10 février 1965, une personne investie d’un poste de direction ou de confiance. Pour la cour, le fait d’exercer cette fonction implique qu’il n’y a pas d’heures supplémentaires au sens de la loi du 16 mars 1971.

Sur l’indemnité compensatoire de préavis, elle fait droit à la demande du travailleur, rejetant le point de vue de la société qui entendait limiter cette indemnité à 3 mois. Elle fixe à 6 mois la durée du préavis convenable, tenant compte des circonstances à la date de la rupture du contrat, susceptibles d’avoir une influence sur les possibilités de reclassement de l’intéressé.

Elle examine ensuite une demande d’indemnisation dans le cadre d’un abus de droit, et ce dans le cadre de la théorie civiliste. Le gérant estime en effet que son licenciement est intervenu en représailles, des circonstances brutales et attentatoires à sa réputation étant pour lui établies. La cour relève notamment qu’il y a eu une « descente » dans le point de vente, à une heure d’affluence, des responsables de la société accompagnés d’un huissier de justice, avec exigence de restitution immédiate des clés et du fonds de commerce.

Le licenciement est considéré comme fautif, la société ayant exercé son droit de rupture d’une manière excessive.

Pour ce qui est du préjudice, la cour le fixe à 6 mois de rémunération.

Elle règle encore d’autres points, liés à la reconnaissance du statut de salarié (prime de fin d’année, pécule de vacances).

Elle rejette, ensuite, une demande de dommage moral faite séparément, et ce sur pied de l’article 1382 du Code civil, au motif de l’absence de dommage moral distinct en lien causal certain avec la faute de la société.

Intérêt de la décision

Cet arrêt de la Cour du travail de Bruxelles met un terme à cette affaire ancienne, dans laquelle la première décision rendue, en date du 25 novembre 2015, avait tranché une importante question, étant la méthodologie à suivre en cas de requalification. La rupture datait de 2004 et les faits sont ainsi antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi du 27 décembre 2006.

Les critères dégagés par la Cour du travail dans cette décision, comme étant incompatibles avec l’existence d’un contrat d’entreprise, avaient été relevés à l’époque (cette décision ayant été précédemment commentée). La cour avait pointé, comme révélateurs d’une subordination juridique et non simplement économique, l’intervention régulière de la société à la fois dans le contrôle du rendement de l’activité du gérant ainsi que le contrôle de la comptabilité, effectué d’office dans le système informatique du magasin. De même, la possibilité que s’était réservée la société d’envoyer un de ses représentants dans le magasin avait également été considérée comme incompatible avec l’exercice d’une activité indépendante.

Si la méthode d’analyse est aujourd’hui donnée par la loi du 27 décembre 2006, les manifestations d’autorité doivent encore actuellement être examinées et les indices dégagés par la cour restent ainsi d’actualité.

L’on notera enfin que la cour du travail a rappelé dans cet arrêt la jurisprudence de la Cour de cassation en ce qui concerne la demande d’un employeur en vue du remboursement de sommes qu’il estime payées indûment : cette demande ne dérive pas du contrat de travail mais des dispositions du Code civil relatives à la répétition de l’indu et doit dès lors être soumise au délai de prescription général.


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