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Allocations de chômage provisionnelles et étendue de l’obligation du bénéficiaire

Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 24 mai 2019, R.G. 2018/AL/455

Mis en ligne le mardi 10 décembre 2019


Cour du travail de Liège (division Liège), 24 mai 2019, R.G. 2018/AL/455

Terra Laboris

Dans un arrêt du 24 mai 2019, la Cour du travail de Liège (division Liège) pose la question de la portée de l’étendue de l’obligation d’agir en justice dans le chef d’un bénéficiaire d’allocations provisionnelles, eu égard aux termes de l’article 47 de l’arrêté royal organique.

Les faits

Une employée d’une institution bancaire fut amenée à présenter sa démission dans des circonstances particulières, ayant été menacée de licenciement pour motif grave en raison d’un vol de fonds déposés sur le compte bancaire d’un client, et ce par le biais d’opérations effectuées à partir de son poste de travail. L’intéressée a persisté à contester ce reproche, soutenant qu’il s’agirait du fait d’un collègue, disparu entre-temps.

Suite à cette démission, l’intéressée se présenta auprès de son organisme de paiement pour obtenir des allocations de chômage. Elle fut admise aux allocations provisoires par un courrier de l’ONEm, près de six mois plus tard. Elle fut alors informée que, si elle n’avait en principe pas droit aux allocations de chômage pendant la période couverte par une indemnité ou des dommages et intérêts auxquels elle pourrait prétendre suite à la rupture de son contrat de travail, elle pourrait cependant se les voir octroyer à titre provisoire, à condition de respecter quatre engagements qu’elle avait souscrits sur le formulaire C4.2 signé. Parmi ceux-ci, figure celui d’exiger de l’employeur le paiement de l’indemnité ou de dommages et intérêts suite à la rupture, et ce au besoin par voie judiciaire.

En mars 2014, soit après l’expiration du délai annal pour introduire la procédure, l’ONEm prit une décision d’exclusion concernant les allocations perçues à titre provisionnel jusqu’à cette date et en ordonnant la récupération. Il s’agit d’un montant de l’ordre de 17.500 euros.

L’intéressée s’était en effet engagée à intenter une action contre son ex-employeur et elle ne l’a pas fait, informant l’ONEm en octobre 2013 qu’elle y renonçait. Ce faisant, il s’agit, pour l’ONEm, d’une privation volontaire dans son chef de l’indemnité à laquelle elle pouvait prétendre et, en conséquence, les allocations de chômage octroyées à titre provisionnel devaient être récupérées.

Le jugement du tribunal

Suite au recours introduit devant le Tribunal du travail de Liège (division Liège), la décision administrative fut confirmée, le tribunal ayant considéré qu’elle ne pouvait renoncer à l’action qu’elle s’était formellement engagée à introduire contre son ex-employeur, dans la mesure où elle avait fait valoir que sa démission avait été donnée sous la contrainte.

L’appel

Appel a été interjeté, la travailleuse faisant notamment valoir une violation du devoir d’information et de conseil reposant sur l’ONEm, étant qu’il ne l’avait pas avisée que, si elle intentait cette action (ce qui était encore possible à ce moment-là), elle pourrait conserver le bénéfice des allocations provisionnelles même en cas d’issue défavorable. Elle fait également valoir le poids financier de la sanction qu’elle se serait vu infliger si l’ONEm avait fait application des dispositions en matière d’abandon d’emploi et celui beaucoup plus important de la décision contestée, puisqu’elle contient une exclusion d’une durée de 18 mois (correspondant au préavis minimal qui eut dû être respecté).

L’appelante demande dès lors à la cour d’annuler la décision administrative et de la rétablir dans ses droits aux allocations.

La décision de la cour

La cour reprend le courrier adressé par l’ONEm en avril 2013, l’avertissant de ce qu’elle remplissait les conditions pour être admise aux allocations provisoires. Ce courrier comprend des « informations importantes », que la cour synthétise. Il s’agit de l’obligation d’agir en justice contre l’ex-employeur, du sort des allocations en cas d’échec, de l’action qui serait intentée contre l’ex-employeur, ainsi que des possibilités d’obtenir des informations complémentaires.

Pour ce qui est des dispositions applicables, elle rappelle la combinaison des articles 44 et 46 (§§ 1er et 3) ainsi que 47 de l’arrêté organique. Cet article 47 énonce quatre conditions, qui peuvent, pour la cour, être sommairement résumées comme suit : agir, informer, rembourser et céder.

Le non-respect de l’engagement d’introduire une réclamation, au besoin par la voie judiciaire, est sanctionné en vertu du même article (alinéa 2) par l’exclusion du bénéfice des allocations à dater de la fin du contrat et pour la période couverte par les délais minimaux légaux de préavis qui sont d’application.

N’étant pas contesté qu’aucun recours n’a été introduit contre l’ex-employeur dans l’année, la cour considère qu’il faut apprécier le manquement commis en tenant compte des obligations d’information et de conseil de l’ONEm, l’appelante soutenant que celles-ci ont été violées et que c’est cette violation qui est à l’origine du litige.

Elle en vient ainsi à l’examen de ces dispositions relatives au devoir d’information et de conseil. Elle reprend en premier lieu l’article 7, § 1er, i), de l’arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, qui énonce le principe que l’ONEm a pour mission générale de veiller à ce que les chômeurs puissent bénéficier des allocations qui leur sont dues s’ils en remplissent les conditions d’octroi.

Vient ensuite l’examen des dispositions pertinentes de la Charte de l’assuré social (articles 3, 4 et 6), la cour rappelant par ailleurs la répartition des rôles entre l’organisme de paiement et l’ONEm, ainsi que leurs obligations respectives.

Elle renvoie à une décision de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 14 mars 2018, R.G. 2015/AB/1.186), dont il ressort que la Charte de l’assuré social est venue codifier certains principes de bonne administration en matière de sécurité sociale, mais que celle-ci n’épuise pas la question des devoirs qui s’imposent aux institutions de sécurité sociale. L’article 3 est une application du devoir de minutie, étant que les institutions doivent communiquer d’initiative à l’assuré social tout complément d’informations nécessaire à l’examen de sa demande ou au maintien de ses droits. Cette obligation n’est pas subordonnée à la condition que l’assuré social ait préalablement demandé par écrit une information concernant ses droits et obligations (avec renvoi à l’arrêt de la Cour de cassation du 23 novembre 2009, n° S.07.0115.F). En présence d’un élément douteux, le devoir de conseil et d’information pesant sur l’ONEm, tel qu’interprété par la Cour de cassation, impose la proactivité que requiert le devoir de minutie reposant sur l’administration et celui-ci est dès lors tenu de solliciter les clarifications nécessaires à une prise de décision en connaissance de cause.

La cour applique ces principes au cas d’espèce. La lettre du 24 avril 2013 est considérée comme contenant l’information suffisante et rédigée dans un langage clair et accessible. Pour ce qui est du devoir de conseil, la cour considère que l’on eut pu raisonnablement attendre de l’Office qu’il précisât sa position en signalant clairement à l’intéressée qu’il entendait qu’elle introduise son action, quel qu’en soit le résultat. Le point central du litige est, cependant, de savoir si l’intéressée pouvait raisonnablement prétendre à l’indemnité compensatoire de préavis, et ce alors que son conseil avait émis un avis très réservé sur les chances de succès.

La cour en vient ainsi à la question de la validation ou de l’invalidation par les juridictions du travail d’une démission donnée sous la contrainte. Elle rappelle de nombreuses décisions, intervenues notamment sur la question de la violence (juste ou injuste), et boucle son raisonnement, à la suite de cet examen, par le constat que la question de l’étendue de l’exécution de l’obligation à charge du bénéficiaire d’allocations, consacrée par l’article 47 de l’arrêté royal, n’a pas été examinée par les parties, s’agissant de l’obligation d’intenter et, le cas échéant, de diligenter et de poursuivre jusqu’à terme (la cour mettant ici un point d’interrogation) une action judiciaire contre l’ex-employeur en paiement des indemnités auxquelles elle pouvait éventuellement (la cour souligne) prétendre du fait du licenciement irrégulier.

Pour la cour, il y a lieu d’approfondir cette voie et elle ordonne une réouverture des débats, avec un double objet, qui est de déterminer (i) si, vu les circonstances particulières du litige, l’article 47, § 1er, alinéa 1er, 1°, de l’arrêté royal peut être interprété en ce sens qu’il ne faisait pas obligation à l’intéressée d’intenter une action contre son ex-employeur pour laquelle son conseil à l’époque émettait un avis très réservé et (ii) si, dans la mesure où la question ci-dessus appelle une réponse négative, le manquement ponctuel au devoir de conseil de l’ONEm (relevé ci-dessus) a engendré, dans le chef de l’intéressée, un préjudice qui soit en lien causal avec ladite faute de l’Office.

L’affaire reviendra devant la cour le 17 janvier 2020.

Intérêt de la décision

La cour a synthétisé les obligations contenues à l’article 47 de l’arrêté royal organique comme étant : agir, informer, rembourser et céder. C’est la condition d’agir qui est au cœur de cette décision, et ce vu le libellé-même de la disposition.

L’article 47 dispose en effet sur cette question que le travailleur qui n’a pas reçu ou qui n’a reçu qu’en partie l’indemnité ou les dommages et intérêts auxquels il a éventuellement droit du fait de la rupture de son contrat de travail peut, à titre provisoire, bénéficier des allocations pendant la période qui serait couverte par ses indemnités s’il satisfait à la condition de s’engager à réclamer à son ex-employeur, au besoin par la voie judiciaire, le paiement de l’indemnité ou des dommages et intérêts auxquels il a éventuellement droit. La cour a souligné le terme « éventuellement », ce qui induit la question de l’étendue de l’obligation du bénéficiaire d’allocations.

Les circonstances de la cause étaient rendues plus complexes encore du fait d’un litige intervenu au niveau de saisie entre l’ex-employeur et la travailleuse (et sa famille). Toujours est-il que le constat de l’absence d’action judiciaire dans l’année n’est pas contestable. Les circonstances très particulières de la rupture ont cependant été relevées, ainsi que les aléas d’une action en requalification d’une démission en licenciement.

L’arrêt que rendra la cour du travail sur la question qu’elle a soulevée eu égard à l’étendue de l’obligation du chômeur d’introduire une telle procédure – même si celle-ci comporte des aléas – est dès lors attendu avec intérêt.


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