Commentaire de C. trav. Liège (div. Namur), 16 mai 2019, R.G. 2017/AN/214
Mis en ligne le vendredi 10 janvier 2020
Cour du travail de Liège (division Namur), 16 mai 2019, R.G. 2017/AN/214
Terra Laboris
Dans un arrêt du 16 mai 2019, la Cour du travail de Liège (division Namur) considère, en application de l’article 22 de la loi du 10 avril 1971 et de l’article 3bis de la loi du 3 juillet 1967, qu’une période d’incapacité temporaire partielle n’équivaut pas à une remise complète au travail, dans la mesure où la consolidation n’est pas acquise : l’indemnisation de l’incapacité temporaire totale est dès lors due.
Les faits
Un ouvrier communal contractuel est victime d’un accident du travail le 12 avril 2010 (accident sur le chemin du travail). Le 27 octobre 2010, son contrat de travail est résilié moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis. Il perçoit, en conséquence, la rémunération correspondant à la durée censée couverte par cette indemnité, soit jusqu’au 30 novembre 2010.
Pour la suite, l’assureur de la Ville, intervenant selon une police de droit commun, règle les indemnités d’incapacité de travail pour une I.T.T., conformément aux règles de la loi du 10 avril 1971, étant 90% de la rémunération. L’assureur arrête son intervention à partir du 1er mai 2013.
Parallèlement, la procédure au MEDEX se poursuit et l’intéressé est convoqué à deux reprises à partir de l’année 2013. La Ville ne réserve cependant pas de suite à cette procédure et ne notifie, par ailleurs, pas de décision de cessation de l’incapacité, comme elle eût dû le faire en vertu de l’article 9 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 applicable aux accidents du travail du personnel communal.
Une contestation survient eu égard à la date de cessation de l’intervention, et ce vu les éléments du dossier médical de l’intéressé.
Le Tribunal du travail de Liège (division Dinant) désigne un expert, qui conclut à une première période d’incapacité temporaire totale, jusqu’au 31 août 2013, période suivie d’une incapacité temporaire partielle (40%) jusqu’au 12 mai 2014, et, de nouveau, une incapacité temporaire totale jusqu’au 31 août 2014. L’expert consolide au 1er septembre 2014 avec un taux d’I.P.P. de 10% et octroie une aide de tiers pendant un mois.
Entre-temps, le travailleur devrait dépendre du secteur A.M.I. mais l’organisme assureur a refusé sa prise en charge. Il est dès lors inscrit comme demandeur d’emploi auprès de l’ONEm pour préserver ses droits.
Il a, dans le cadre de l’assurance chômage, pu bénéficier d’un contrat de formation professionnelle jusqu’au 31 janvier 2014. Les allocations de chômage lui sont accordées jusqu’au 12 mai 2014. Il retombe en incapacité, vu la nécessité d’enlever le matériel d’ostéosynthèse. Cette période s’étend jusqu’au 31 août 2014 et elle est suivie d’une nouvelle période, où l’intéressé bénéficie des allocations de chômage.
Les jugements du tribunal du travail
L’expert a remis ses conclusions, suite à sa désignation par jugement du 24 juin 2014, et celles-ci ont été examinées dans le jugement rendu, ensuite, le 10 janvier 2017.
La position du premier juge est la suivante : les dispositions applicables sont en principe celles de la loi du 3 juillet 1967 et de son arrêté royal d’exécution du 13 juillet 1970 (modifié par celui du 26 novembre 2012). En vertu de ces textes, l’intéressé aurait dû être informé de la cessation de l’incapacité temporaire totale par son employeur. Il l’a été par la compagnie d’assurances mais celle-ci n’est pas l’assureur-loi, dans la mesure où le droit applicable est celui du secteur public. Suite à cette carence, l’intéressé bénéficia en fin de compte d’allocations de chômage (hors périodes d’incapacité). Pour le tribunal, il y a manquement à l’article 9 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970.
L’objet de la demande du travailleur est, par référence à la loi du 10 avril 1971, le bénéfice de son article 23, dans la mesure où il n’y a pas eu de reprise effective du travail. Cette disposition prévoit en effet notamment que la victime bénéficie de l’indemnité d’incapacité temporaire totale jusqu’au jour de la remise complète au travail ou de la consolidation, à savoir qu’elle n’a pas été remise au travail (soit qu’elle se soumette à un traitement proposé en vue de sa réadaptation, soit qu’aucun traitement de ce type ne lui soit proposé), ou encore qu’elle a refusé la remise au travail ou le traitement proposé pour un motif valable.
Le tribunal rejette l’application de l’article 23 et invite les parties à reprendre l’examen de la cause sous l’angle des règles en vigueur dans le secteur public.
Dans un jugement ultérieur du 6 juin 2017, il considère qu’il n’y avait pas lieu, pour la période postérieure à la rupture du contrat de travail, de rechercher la norme qui serait la plus favorable (soit celle figurant dans la loi du 10 avril 1971, soit celle en vigueur dans le secteur public). L’indemnisation intervenue à concurrence de 90% pendant la période de l’incapacité temporaire doit dès lors être retenue. Il dégage trois périodes, étant :
1. Du 1er mai au 31 août 2013 : I.T.T. (l’inscription au chômage n’étant pas assimilée à une reprise complète de travail, à savoir conformément au statut des agents communaux). Ceci vaut pour la période de l’incapacité temporaire partielle également en application de l’article 3bis de la loi du 3 juillet 1967. Le travailleur doit bénéficier de l’indemnisation prévue par cette disposition et le cumul avec les allocations de chômage doit se régler conformément à l’article 61, § 2, de l’arrêté royal organique du 25 novembre 1991.
2. Du 1er septembre 2013 au 12 mai 2014 (période pendant laquelle une formation professionnelle à temps partiel a été suivie), l’intéressé a bénéficié des allocations de chômage ainsi que d’une prime de formation. Il n’y a pas reprise complète du travail et l’indemnisation en accident du travail est par conséquent due (la question de cumul avec les allocations de chômage devant être réglée).
3. Du 13 mai au 31 août 2014 : l’incapacité temporaire totale est retenue (et non contestée), l’organisme assureur, qui est intervenu, bénéficiant de la subrogation légale pour cette période.
Les appels
La Ville sollicite l’application de la loi du 10 avril 1971, pour la période de la formation professionnelle qui a été entreprise le 1er septembre 2013. Elle estime qu’il y a reprise d’une activité professionnelle et qu’elle ne doit plus indemniser pendant cette période. Son appel est limité à cette question.
Pour le travailleur, qui forme appel incident, se pose une question de calcul de la rémunération de base pour l’incapacité permanente partielle. Il demande que celle-ci soit indexée par application de l’article 4, § 1er, de la loi du 3 juillet 1967 et de l’arrêté royal du 13 juillet 1970.
La décision de la cour
La cour liste cinq problèmes, étant (i) l’absence de notification par la Ville de la fin de la période d’incapacité selon la position de son assureur, (ii) la modification des périodes à indemniser vu les conclusions de l’expertise médicale (non contestées), (iii) le droit applicable, étant la loi du 3 juillet 1967 ou celle du 10 avril 1971, (iv) les incidences de la rupture du contrat de travail notifiée le 27 octobre 2010 et (v) la question du cumul entre les indemnités dues suite à l’accident et les allocations sociales perçues.
La cour examine cinq périodes, vu les modifications du statut de l’intéressé pendant celles-ci :
1. Pour la période entre la date de l’accident et la fin de la période couverte par l’indemnité compensatoire de préavis, la cour constate que l’intéressé a bénéficié de 100% de son traitement, en application de l’article 3bis de la loi du 3 juillet 1967, situation correcte.
Renvoyant à un arrêt de la Cour de cassation du 14 mai 2012 (Cass., 14 mai 2012, n° C.09.0318.F), ainsi qu’à la doctrine de Jean JACQMAIN (J. JACQMAIN, Statut des administrations locales et provinciales, A.E.B., 7 mars 1994, n° 52), elle rappelle que l’indemnisation de l’incapacité temporaire totale se cumule avec l’indemnité compensatoire de préavis, cette indemnité ayant une autre cause (étant la cessation du contrat de travail).
2. Pour la période d’incapacité temporaire totale survenant à la fin de celle couverte par l’indemnité compensatoire de préavis, la cour confirme le jugement, étant que, pour cette période, l’intéressé a droit à 90% de sa rémunération quotidienne moyenne plafonnée de l’année qui précède l’accident, et ce après le paiement du salaire garanti. Le fait que l’intéressé se soit inscrit comme demandeur d’emploi est indifférent, celui-ci s’étant trouvé dans l’obligation de le faire, et ce vu l’analyse inexacte faite par l’assureur de l’employeur. L’inscription ne s’assimile pas à une reprise complète du travail. Il y a ici également confirmation du jugement.
3. Pour la période d’incapacité temporaire partielle, qui correspond pour partie à la durée de la formation professionnelle et, pour la suite, à une nouvelle période d’octroi des allocations de chômage, il y a lieu de faire application de l’article 3bis de la loi du 3 juillet 1967 et de l’article 22 de la loi du 10 avril 1971, étant que l’intéressé a droit à l’indemnité pour incapacité temporaire totale jusqu’à la date de la consolidation ou de la remise complète au travail. L’indemnité doit être de 90% (indemnité journalière), même en cas d’incapacité temporaire partielle.
4. Pour la période couverte par une nouvelle incapacité temporaire totale, il n’y a pas de contestation quant à l’application de l’article 3bis de la loi du 3 juillet 1967.
5. Enfin, sur la cinquième période, il y a eu perception d’allocations de chômage, ce qui n’est pas non plus contesté.
Lorsque l’hypothèse d’un cumul entre l’indemnisation en accident du travail et les allocations de chômage se pose, la cour renvoie aux règles de l’article 61, § 2, alinéa 1er, de l’arrêté royal du 25 novembre 1991.
Reste à examiner le fondement de l’appel incident, étant le calcul de la rémunération de base pour incapacité permanente. Pour la cour, il faut se référer à la règle la plus favorable contenue à l’article 4, § 1er, de la loi du 3 juillet 1967 et dans l’arrêté royal du 1er juillet 1970. Cette règle se distingue du régime moins favorable de désindexation contenu à l’arrêté royal du 24 janvier 1969. La cour fait dès lors droit à la demande de l’intimé.
Intérêt de la décision
Se pose dans cette décision la question de la loi applicable (secteur public ou secteur privé) et la cour a rejoint le tribunal sur les dispositions légales à retenir.
Un point tout à fait particulier est soulevé par l’employeur public, dans cette affaire, étant la question de l’incapacité temporaire partielle.
La Ville avait considéré que la formation professionnelle est assimilable à une reprise effective du travail, d’autant que l’intéressé n’avait plus communiqué ses certificats médicaux.
La cour a considéré que, en application de l’article 22 de la loi du 10 avril 1971, dans la mesure où la consolidation n’était pas acquise et qu’il n’y avait pas eu remise complète au travail, la situation était à considérer comme une incapacité temporaire totale, même s’il était dûment constaté qu’elle n’était que partielle. Cette période doit dès lors être couverte par les indemnités journalières légales dans le secteur privé, étant 90% de la rémunération quotidienne moyenne.
Enfin, sur la question de la désindexation, il peut utilement être renvoyé à un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 5 mars 2018, R.G. 2017/AB/471), selon lequel il faut interpréter l’article 18 de l’arrêté royal du 13 juillet 1970 en ce sens que la rémunération annuelle à prendre en considération ne doit pas être adaptée au coût de la vie. Il s’agit de retenir la rémunération non indexée (« désindexée »), c’est-à-dire de ne pas tenir compte de l’incidence de son adaptation à l’indice-pivot. Pour la cour, la cohérence exige qu’à la désindexation de la rémunération de base réponde l’indexation de la rente jusqu’à la date de l’accident. Ce mécanisme permet dans la mesure où la rémunération de base d’une part et la rente d’autre part évoluent sur la base du même indice-pivot et dans des sens opposés, que la désindexation de la rémunération soit neutralisée par l’indexation de la rente.