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Motif grave et exercice du mandat de délégué du personnel

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 21 février 2019, R.G. 2018/AB/1.048

Mis en ligne le jeudi 30 janvier 2020


Cour du travail de Bruxelles, 21 février 2019, R.G. 2018/AB/1.048

Terra Laboris

Dans un arrêt du 21 février 2019, la Cour du travail de Bruxelles rejette une demande d’autorisation de licencier pour motif grave, dans l’hypothèse où sont essentiellement visés des faits liés à l’exercice du mandat de délégué du personnel, faits concernant une autre société que l’employeur et ne pouvant, dès lors, aboutir à la rupture du lien de confiance avec celui-ci.

Les faits

Au service d’une maroquinerie depuis plus de 40 ans et titulaire de divers mandats de représentant du personnel au sein des organes de concertation de cette entreprise, un travailleur fait l’objet d’une demande d’autorisation de licenciement pour motif grave en octobre 2018. A ce moment, l’intéressé bénéficie, depuis les élections sociales de 2016, de la protection légale, s’étant présenté sur une liste pour le Conseil d’Entreprise et pour le C.P.P.T. et ayant été élu représentant effectif. Il est également délégué syndical. Il lui est reproché de s’être immiscé illégalement dans les relations sociales au sein d’une autre société, dans laquelle, tout en prétextant un mandat syndical, il aurait obtenu des informations confidentielles relatives aux affaires de cette société et y aurait donné une certaine diffusion. Des contacts auraient également été pris avec le personnel-cadre de cette société et sa direction et des menaces auraient été proférées.

L’employeur précise qu’il a décidé de déposer plainte au pénal avec constitution de partie civile, sur pied des articles 227, 458 et 327 à 331bis du Code pénal (qui visent respectivement l’immixtion dans des affaires publiques ou civiles, le fait de faire connaître ou de révéler des secrets dont on est dépositaire, ainsi que différents types de menaces contre les personnes ou contre les propriétés).

L’employeur rappelle que, vu que l’intéressé détient différents mandats syndicaux, il avait été convenu qu’il travaillerait à la production deux jours par semaine et que les autres jours seraient réservés à l’exercice de ses mandats. Du temps consacré à ceux-ci aurait en fait été détourné pour exercer les activités reprochées.

Il est également fait référence à des manquements antérieurs (irrégularités diverses dans le cadre de l’exercice du contrat de travail et manque de conscience professionnelle).

Le jugement du tribunal du travail

Par jugement du 18 décembre 2018, le tribunal du travail a rejeté la demande, condamnant la société aux dépens (étant 7.440 euros au titre d’indemnité de procédure).

Celle-ci interjette appel, persistant dans sa demande de reconnaissance des motifs graves et demandant en conséquence l’autorisation de licencier le travailleur.

La décision de la cour

La cour aborde les principes relatifs au licenciement pour motif grave d’un travailleur protégé.

Elle renvoie à l’arrêt de la Cour de cassation du 9 mars 1987 (Cass., 9 mars 1987, n° 7769), selon lequel la faute grave n’est pas nécessairement de nature contractuelle, des faits survenus dans un contexte étranger à la relation de travail pouvant constituer un tel motif. Le critère est qu’il soit de nature à rompre définitivement et immédiatement la relation de confiance entre parties.

La cour cite notamment des faits qui ont des conséquences directes ou indirectes néfastes pour l’entreprise, qui ont des répercussions sur les relations professionnelles, qui portent atteinte à la réputation de l’employeur ou des faits dont la nature et la gravité entraînent en soi une rupture de confiance (renvoyant ici à l’hypothèse d’une condamnation pénale pour faits de mœurs sur mineur d’âge d’un ouvrier exerçant ses fonctions dans une école).

En aucun cas, cependant, les faits constitutifs de motif grave ne peuvent être liés à l’exercice du mandat de délégué du personnel. Il s’agit des faits liés à l’exercice du mandat de délégué d’une manière conforme à la loi. Des actes fautifs qui empêcheraient immédiatement et définitivement la poursuite des relations professionnelles ne sont pas couverts, ne relevant pas de l’exercice par le délégué de son mandat d’une manière conforme à la loi. Ils peuvent aboutir à un licenciement pour motif grave même s’ils ont été commis à l’occasion de l’exercice du mandat.

Sur les autres critères, la cour en rappelle également les règles (règles de preuve, délai pour entamer la procédure et notification des motifs). Il s’agit des règles habituelles.

Elle en vient, ensuite, à l’application de ces principes, rappelant que seuls peuvent être examinés les faits notifiés dans la lettre d’intention de l’employeur et, pour ce qui est des faits notifiés de manière suffisamment précise, elle déclare qu’elle tiendra compte des explications développées dans les conclusions, pourvu que celles-ci ne modifient pas le fait initialement notifié. Par contre, elle rejette l’examen de faits nouvellement invoqués par la société dans ses conclusions d’appel, dans la mesure où il n’en a pas été question dans la lettre d’intention.

Passant les faits en revue, la cour conclut que certains d’entre eux ne sont pas fautifs. Ainsi, le fait que la société (externe) aurait appris que le travailleur n’avait pas de contrat de travail avec son syndicat mais uniquement des mandats de délégué auprès de son employeur, le fait qu’il ait participé à diverses réunions préparatoires auprès de cette société (externe) pour le compte de son organisation syndicale, dont une réunion relative à l’examen des comptes annuels. D’autres faits sont considérés comme n’étant pas établis (participation à la préparation d’une réunion) ou n’étant pas de nature à entamer la confiance entre l’employeur et le délégué (avoir participé à un entretien individuel pour représenter une employée de la société – externe – avec sa hiérarchie, ainsi que d’avoir pris des contacts pris avec la direction générale de cette société concernant une employée).

Il en découle, pour la cour, que les griefs ne constituent pas des fautes et qu’ils ne sont, a fortiori, certainement pas de nature à rendre immédiatement et définitivement impossible la poursuite des relations contractuelles.

Certains actes reprochés – qui ont été posés par l’intéressé – visent sa qualité de délégué syndical membre de son organisation syndicale et ils sont conformes à la loi. Ils ne sont pas critiquables. La cour vise par là les démarches effectuées auprès de cette société pour soutenir deux travailleurs de l’entreprise. Ces démarches ne sont pas nécessairement fautives à l’égard de l’employeur, étant étrangères à la relation de travail avec celui-ci.

La cour fait grief à l’employeur de ne pas expliquer pourquoi, selon lui, ces faits rompraient la relation de confiance, le reproche fait d’avoir « abusé de son mandat syndical » n’étant pas établi. Elle retient au contraire que certains actes ont été posés en qualité de délégué syndical expert et dans le respect de la loi, d’autres n’étant pas accomplis en qualité de mandataire syndical au sein de l’employeur. Il n’y a dès lors aucun abus du mandat syndical chez celui-ci.

La cour considère, enfin, ne pas devoir faire droit à une demande d’audition de témoins, eu égard à ce qui précède.

Elle considère, en conséquence, l’appel non fondé et refuse l’autorisation de licencier.

Intérêt de la décision

Ce dossier de motif grave porte essentiellement sur des faits relatifs à l’activité syndicale du travailleur, qui est intervenu, au nom de son organisation syndicale, dans des questions concernant le personnel d’une autre société.

Le motif grave n’est dès lors pas reproché pour des agissements concernant directement l’employeur mais essentiellement pour un « abus du mandat syndical » du fait de ses interventions externes.

La cour du travail a rappelé, dans les principes qu’elle a dégagés, que, pour le représentant du personnel, l’article 4, § 3, de la loi du 19 mars 1991 précise qu’en aucun cas, les faits constitutifs de motif grave ne peuvent être liés à l’exercice du mandat du délégué du personnel. Encore faut-il préciser que sont visés par là les faits liés à l’exercice du mandat de représentant conforme à la loi et que des actes fautifs ne relèvent pas de cet exercice d’une manière conforme à la loi et peuvent dès lors aboutir au licenciement pour motif grave.

La cour a rejeté la demande, considérant que les faits qui lui étaient soumis rentraient dans l’exercice normal du mandat, et ce conformément à la loi.

Les actes posés par l’intéressé en dehors de sa relation avec son employeur (préparation d’une réunion au Conseil d’Entreprise en qualité de délégué syndical expert ou autres faits posés en qualité de mandataire syndical) sont sans rapport avec l’employeur et ne peuvent dès lors aboutir à la demande de reconnaissance d’un motif grave de licenciement.


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