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Convention bilatérale de sécurité sociale entre un Etat membre de l’U.E. et un Etat tiers : droit aux allocations familiales pour un enfant résidant dans cet Etat ?

Commentaire de C.J.U.E., 5 septembre 2019, Aff. n° C-801/18 (E.U. c/ CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS)

Mis en ligne le mercredi 26 février 2020


C.J.U.E., 5 septembre 2019, Aff. n° C-801/18 (E.U. c/ CAISSE POUR L’AVENIR DES ENFANTS)

Terra Laboris

Convention bilatérale de sécurité sociale entre un Etat membre de l’U.E. et un Etat tiers : droit aux allocations familiales pour un enfant résidant dans cet Etat ?

Par arrêt du 5 septembre 2019, la Cour de Justice de l’Union européenne, renvoyant à sa jurisprudence GOTTARDO, conclut que l’article 45 T.F.U.E., lu en combinaison avec l’article 4 du Règlement n° 883/2004, s’oppose au refus d’octroi d’allocations familiales destinées à un enfant résidant avec sa mère dans un Etat tiers, pour lesquelles le droit est ouvert dans l’Etat d’emploi par un citoyen ayant la nationalité d’un Etat membre et travaillant comme travailleur frontalier dans un autre Etat.

Objet du litige

Un travailleur postule l’intervention de la Caisse pour l’avenir des enfants (caisse luxembourgeoise) pour les allocations familiales pour son enfant, qui réside avec sa mère dans un pays tiers. Il s’agit du Brésil. Une convention de sécurité sociale a été signée entre le Grand-Duché de Luxembourg et la République fédérative du Brésil le 16 septembre 1965.

Le travailleur (ressortissant portugais résidant en France et travaillant au Luxembourg) s’est vu débouté de sa demande introduite auprès de la Caisse par une décision du 6 juin 2016. Le fondement de la décision de refus est que l’intéressé ne remplit pas les conditions légales de droit luxembourgeois (article 269, alinéa 1er, du Code de la sécurité sociale), étant une condition d’attribution. Il n’est pas de nationalité brésilienne ou luxembourgeoise et l’institution considère en conséquence que la convention ne lui est pas applicable.

Un recours est formé devant le Conseil arbitral de la sécurité sociale, qui, par jugement du 7 juillet 2017, le rejette. La motivation est plus précise, étant que l’enfant n’a droit aux allocations familiales ni pour lui-même, dans la mesure où il ne réside pas effectivement et de façon continue au Luxembourg, ni en tant que membre de la famille de sa mère (celle-ci n’étant pas soumise à la législation luxembourgeoise), ni encore en tant que membre de la famille de son père (qui ne relève quant à lui pas de la convention de sécurité sociale, dans la mesure où il n’est ni ressortissant luxembourgeois ni ressortissant brésilien, la seule qualité de travailleur frontalier étant insuffisante pour qu’il puisse être considéré « ressortissant luxembourgeois »). Se pose déjà devant le Conseil arbitral la question (et ce à titre subsidiaire) de l’application de la jurisprudence GOTTARDO (C.J.U.E., 15 janvier 2002, Aff. n° C-55/00, GOTTARDO c/ ISTITUTO NAZIONALE DELLA PREVIDENZA SOCIALE).

Appel est interjeté devant le Conseil supérieur de la sécurité sociale. L’intéressé considère que, s’il travaillait en France, il pourrait bénéficier pour son enfant des allocations familiales françaises, vu l’accord entre la République française et la République fédérative du Brésil en matière de sécurité sociale (accord du 15 décembre 2011). De même, s’il travaillait au Portugal, il pourrait bénéficier des allocations familiales portugaises, et ce en faveur d’un autre accord bilatéral, accord « Iberoamericano ».

Il plaide, devant le Conseil supérieur de la sécurité sociale, le principe de la libre circulation (article 45 T.F.U.E., la Directive n° 2004/38 et le Règlement n° 883/2004). Sur le plan de la libre circulation, il fait valoir que le non-paiement des allocations entraînerait un désavantage particulier susceptible de l’inciter à ne plus travailler au Luxembourg. Il s’agirait d’une entrave au principe de libre circulation. A titre subsidiaire, il plaide également l’application de la jurisprudence GOTTARDO, vu la convention de sécurité sociale conclue entre l’Etat membre et le pays tiers.

Pour la juridiction nationale, n’ayant pas son domicile légal au Luxembourg et n’y résidant pas effectivement, l’enfant n’a droit aux allocations familiales ni pour lui-même ni en tant que membre de la famille, que ce soit celle de sa mère ou encore de son père. Elle fait également valoir que le champ d’application de la convention de sécurité sociale serait limité aux ressortissants et résidents de l’un des Etats membres à celle-ci.

La juridiction pose ainsi deux questions préjudicielles.

Les questions préjudicielles

La première porte sur la question de savoir si les institutions de sécurité sociale compétentes dans un Etat membre (luxembourgeoises en l’occurrence) sont tenues, conformément aux obligations découlant de l’article 45 T.F.U.E. ainsi que de la Directive n° 2004/38/CE et du Règlement n° 883/2004, de verser les prestations familiales aux ressortissants d’un autre Etat membre, lorsqu’en présence des mêmes conditions d’octroi de ces prestations, l’institution compétente reconnaît, à la suite d’une convention bilatérale conclue entre le premier Etat membre (Grand-Duché de Luxembourg) et un pays tiers, le droit aux prestations familiales pour leurs propres ressortissants et résidents.

Dans l’affirmative, si devait être étendue à la matière des prestations familiales la jurisprudence de l’arrêt GOTTARDO, se pose la question de savoir si l’institution compétente pourrait faire valoir une justification objective (sur la base de considérations tenant aux charges financières et administratives lourdes rencontrées) pour justifier une inégalité de traitement.

La décision de la Cour

La première règle rappelée par la Cour est qu’il résulte de sa jurisprudence constante que tout ressortissant de l’Union, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité, qui a fait usage du droit à la libre circulation des travailleurs et qui a exercé une activité professionnelle dans un Etat membre autre que celui de sa résidence, relève du champ d’application de l’article 45 T.F.U.E. (considérant 32).

Ensuite, elle reprend le principe d’égalité de traitement dans le contexte des rapports entre le droit de l’Union et les conventions bilatérales conclues entre deux Etats membres ou entre un Etat membre et un pays tiers. Elle a ainsi notamment jugé qu’un accord bilatéral qui réservait le bénéfice de bourses d’études aux seuls nationaux des deux Etats membres, parties à cet accord, ne pouvait pas faire obstacle à l’application du principe d’égalité de traitement entre les travailleurs nationaux et les travailleurs communautaires établis sur le territoire d’un de ceux-ci. C’est la jurisprudence MATTEUCCI (C.J.U.E., 27 septembre 1988, Aff. n° C-235/87, MATTEUCCI c/ COMMUNAUTÉ FRANÇAISE DE BELGIQUE et COMMISSARIAT GÉNÉRAL AUX RELATIONS INTERNATIONALES DE LA COMMUNAUTÉ FRANÇAISE DE BELGIQUE).

D’autres exemples sont donnés et la Cour en vient notamment de manière particulière à l’arrêt GOTTARDO. Une ressortissante française, qui avait travaillé en Italie, en Suisse et en France et n’avait pas de droits suffisants pour obtenir une pension de vieillesse en Italie, s’est vu bénéficier de la totalité des périodes d’assurance qu’elle avait accomplies en Suisse et en Italie (conformément à une convention bilatérale Italie-Suisse en matière de sécurité sociale). La juridiction nationale avait cherché dans cette affaire à savoir si les autorités italiennes étaient tenues, conformément aux règles de l’article 39 C.E. (qui est devenu l’article 45 T.F.U.E.), d’étendre aux travailleurs ressortissants d’Etats membres autres que les citoyens italiens le bénéfice de la prise en compte des périodes d’assurance accomplies en Suisse, et ce pour l’acquisition du droit à des prestations de vieillesse en Italie. La Cour poursuit, avec moult rappels à des principes régulièrement dégagés dans sa jurisprudence, accordant encore une importance toute particulière à d’autres enseignements de l’arrêt GOTTARDO.

En conclusion, elle répond affirmativement à la première question, étant qu’à la fois l’article 45 T.F.U.E. et l’article 4 du Règlement C.E. n° 883/2004 (lecture combinée) s’opposent au refus par les autorités compétentes d’un Etat membre de verser à un ressortissant d’un autre Etat qui travaille dans le premier Etat sans y résider les prestations familiales pour son enfant résidant dans un pays tiers avec sa mère lorsque, en présence des mêmes conditions d’octroi, les autorités reconnaissent le droit aux prestations pour leurs propres ressortissants et résidents à la suite d’une convention internationale bilatérale conclue entre ce premier Etat membre et le pays tiers, sauf si les autorités peuvent avancer une justification objective à leur refus.

A cet égard, la Cour retient que ne constitue pas une telle justification objective la lourdeur des charges financières et administratives vantée, renvoyant encore à sa jurisprudence, selon laquelle elle a itérativement jugé que des motivations tirées de l’augmentation des charges financières et d’éventuelles difficultés administratives ne sauraient en tout état de cause justifier le non-respect des obligations découlant de l’interdiction de discrimination sur le fondement de la nationalité, principe énoncé à l’article 45 T.F.U.E.

Intérêt de la décision

Cette affaire se situe, comme la Cour l’a rappelé à divers égards, dans le prolongement de la jurisprudence GOTTARDO. Elle y avait notamment précisé que, lorsqu’un Etat membre conclut avec un pays tiers une convention internationale bilatérale de sécurité sociale (prestations de vieillesse en cause), le principe fondamental d’égalité de traitement impose à cet Etat d’accorder aux ressortissants des autres Etats membres les mêmes avantages que ceux dont bénéficient ses propres ressortissants en vertu de ladite convention, sauf si une justification objective à son refus peut être invoquée. L’administration nationale compétente et le Gouvernement italien y avaient invoqué, pour justifier leur refus d’admettre la totalisation des périodes d’assurance, l’augmentation éventuelle de charges financières et administratives liées à la collaboration avec les autorités helvétiques compétentes.

Cette question a été rejetée par la Cour.


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