Commentaire de C. trav. Liège (div. Liège), 5 juin 2019, R.G. 2018/AL/85 et 2018/AL/104
Mis en ligne le mercredi 4 mars 2020
C. trav. Liège (div. Liège), 5 juin 2019, R.G. 2018/AL/85 et 2018/AL/104
Terra Laboris
GRAPA : révision d’office et fait nouveau
Par arrêt du 5 juin 2019, la Cour du travail de Liège (division Liège) rappelle la modification intervenue par la loi du 8 décembre 2013, qui a revu le principe de la prise en compte des revenus et celui de la division des ressources, les petits-enfants cohabitant à l’adresse légale du bénéficiaire n’étant plus pris en compte.
L’objet du litige
Un bénéficiaire de GRAPA introduit un recours contre deux décisions administratives du SPF devant le Tribunal du travail de Huy, le Service ayant révisé son droit à la garantie de revenus au 1er avril 2015 et lui réclamant un indu pour une période deux ans, de l’ordre de 2.500 euros. Il s’agit d’une révision d’office à laquelle le SPF a procédé sur la base de la perception de revenus professionnels en 2015. Celle-ci n’a pas d’impact sur le droit, mais a permis, tenant compte de cet élément nouveau postérieur au 1er janvier 2014, d’appliquer la nouvelle réglementation prévue par la loi du 8 décembre 2013, qui supprime en son article 5 le diviseur de ressources précédemment pris en compte en application de l’article 7 de la loi du 22 mars 2001.
Le tribunal a débouté l’intéressé.
Les faits
Le demandeur (appelant) perçoit une garantie de revenus depuis le 1er avril 2013. Le diviseur de ressources (4) tient compte du fait qu’il réside avec trois de ses petites-filles. Il exerce un travail autorisé en 2015 et perçoit de ce chef un montant de l’ordre de 935 euros. Il n’a pas informé le SPF de la modification (vu la modicité de la somme et son absence d’incidence sur le montant de la GRAPA). Celui-ci est informé par le SPF Finances et procède à une révision d’office. A l’occasion de celle-ci, est appliqué le nouveau calcul prévu par la loi du 8 décembre 2013, à savoir le diviseur de ressources 1. Il en résulte une diminution importante (la GRAPA passant d’un montant de l’ordre 10.200 euros à 4.775 euros environ) ainsi que l’apparition d’un indu (limité à 6 mois).
La décision de la cour
La cour reprend le mécanisme mis en place par la loi du 22 mars 2001 instaurant la garantie de revenus aux personnes âgées. L’ancien article 7 disposait que le montant des ressources et des pensions pris en compte était toutes les ressources et toutes les pensions, quelles qu’en soient la nature ou l’origine. Il s’agit des ressources et pensions dont dispose le demandeur et/ou les personnes avec qui il partage la résidence principale (sauf exception). Le tout est divisé par le nombre de personnes partageant celles-ci, en ce compris l’intéressé. La loi du 8 décembre 2013 modifiant la loi du 22 mars 2001 instituant la garantie de revenus aux personnes âgées a revu ce principe de division des ressources. L’on ne prend plus en considération que les ressources et pensions de quelque nature que ce soit dont dispose l’intéressé ou le conjoint ou le cohabitant légal qui partage la même résidence principale. Celles-ci sont divisées uniquement par le nombre de personnes dont les ressources et pensions sont prises en considération (dont l’intéressé). Est également pris en compte pour la division le nombre d’enfants mineurs d’âge et d’enfants majeurs pour lesquels des allocations familiales sont perçues, avec limitation au premier degré.
Des mesures transitoires sont intervenues, pour les personnes bénéficiant de la garantie de revenus avant le 1er janvier 2014. Celles-ci conservent le montant attribué jusqu’au moment où, d’office ou sur demande, une décision de révision sera prise, et ceci suite à des faits nouveaux se produisant au plus tôt le 1er janvier 2014.
La cour reprend ensuite les dispositions relatives à la révision d’office (arrêté royal du 23 mai 2001) et rappelle que celles-ci imposent au bénéficiaire de déclarer la date, la nature et le montant d’une modification intervenue dans les ressources à prendre en considération.
Il incombe par ailleurs au SPF de justifier de la légalité de sa décision de révision d’office suite à des faits nouveaux qui se seraient produits au plus tard le 1er janvier 2014 mais qui sont « neutres » sur le droit.
En l’espèce, la question litigieuse porte sur la possibilité de procéder à une révision d’office sur la base d’un élément nouveau, dont l’impact est neutre sur le plan du droit, et d’appliquer en conséquence la nouvelle réglementation.
La cour rappelle que la modification intervenue à l’article 14 de l’arrêté royal du 23 mai 2001 est intervenue pour tenir compte des éléments futurs qui impactent le calcul du droit à la GRAPA. Le motif de révision portant sur une modification intervenant dans les ressources peut être lu de deux manières, étant qu’il vise une modification quelconque ou une modification qui impacte le droit. Le texte réglementaire vise « une modification intervenant dans les ressources », mais ne précise pas la nécessité d’une incidence concrète sur le calcul. Il permet donc une vérification du droit et un nouveau calcul des ressources dès lors qu’il y a une modification de celles-ci (dans le chef de l’intéressé ou du conjoint ou cohabitant légal). La cour estime devoir s’en tenir au texte sans y ajouter une condition supplémentaire qui exigerait une incidence effective sur le droit. Il y a eu un fait nouveau et il s’agit d’une modification intervenant dans les ressources du bénéficiaire, qui peut faire l’objet d’un nouvel examen et donc d’une révision. Elle conclut à la légalité de la décision et confirme le jugement dont appel.
Elle renvoie encore à l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 8 mai 2019 (C. const., 8 mai 2019, n° 64/2019), qui a validé la réforme entrée en vigueur le 1er janvier 2014. La Cour constitutionnelle a précisé que le recul (non-prise en compte des petits-enfants dans le dénominateur du calcul des ressources) est raisonnablement justifié par les motifs d’intérêt général de la réforme et lié à la prévention des abus provoqués par l’inscription de personnes mineures à l’adresse du bénéficiaire d’une GRAPA.
Intérêt de la décision
La Cour constitutionnelle a rendu le 19 juillet 2018 (C. const., 19 juillet 2018, n° 103/2018) un premier arrêt à propos de la loi du 8 décembre 2013. Elle a considéré, sur cette modification, que celle-ci a fondamentalement modifié la prise en compte des ressources du tiers qui partage la résidence principale du bénéficiaire de la garantie de revenus. L’option prise par le législateur est que le droit à la garantie de revenus de l’intéressé ne dépend pas des ressources de la personne avec laquelle il cohabite en fait. En établissant un montant annuel maximal différent selon que le bénéficiaire de la garantie de revenus cohabite ou non avec une autre personne, sous réserve des exclusions prévues par le législateur, la mesure est justifiée par le fait que le bénéficiaire qui cohabite avec une autre personne est présumé retirer un avantage économico-financier du partage de la résidence principale et ne supporte donc plus seul tous les coûts fixes..
L’on peut encore rappeler sur la question un arrêt de la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 8 mars 2018, R.G. 2016/AB/908 – précédemment commenté), qui a tenu compte, en cas de départ de l’épouse du domicile conjugal, du fait que ce départ n’affectait pas le droit de son époux, ni dans son principe ni dans les montants, et qu’il n’y avait pas matière à révision. Il n’y a, dans cette hypothèse, pas de « fait nouveau » autorisant la révision de la décision initiale (antérieure à la modification législative) dès lors que ce départ et étranger au droit de l’intéressé.
La Cour du travail de Liège a considéré, dans son arrêt du 5 juin 2019, que, même si l’élément nouveau a un impact neutre sur le droit, il y a lieu d’appliquer la nouvelle réglementation relative au calcul du diviseur des revenus. Pour la Cour du travail de Liège, le texte de l’arrêté royal vise une modification intervenant dans les ressources, sans y ajouter la nécessité d’une incidence concrète sur le calcul de la GRAPA.