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C.C.T. n° 109 : absence de notification des motifs concrets par voie recommandée

Commentaire de C. trav. Bruxelles, 17 mai 2019, R.G. 2018/AB/366

Mis en ligne le mercredi 25 mars 2020


C. trav. Bruxelles, 17 mai 2019, R.G. 2018/AB/366

Terra Laboris

C.C.T. n° 109 : absence de notification des motifs concrets par voie recommandée

Dans un arrêt du 17 mai 2019, la Cour du travail de Bruxelles conclut à l’application de la sanction civile forfaitaire fixée par l’article 7 de la C.C.T. n° 109 lorsque l’employeur, qui a reçu une demande de communication des motifs concrets de licenciement, envoie sa réponse par courriel et non par lettre recommandée.

Les faits

Un employé est engagé en 2011 par une société active dans le secteur des produits surgelés, pour exercer des fonctions de vendeur et de livreur. Il est licencié le 30 juin 2016, moyennant paiement d’une indemnité compensatoire de préavis de 9 mois et 12 semaines. Le motif donné est que son profil ne correspond plus à la fonction, motif figurant également sur le document C4.

Les motifs concrets du licenciement sont demandés et la société fait valoir divers éléments, dont les mauvais résultats de ventes par rapport à la moyenne, ainsi que d’autres éléments d’ordre commercial. Elle fait également des griefs sur le plan professionnel et renvoie au fait que l’employé avait des problèmes physiques (genoux). L’employeur n’a cependant pas adressé cette lettre par voie recommandée.

Le motif du licenciement est contesté et un échange intervient entre les conseils, le travailleur agissant par la voie de son organisation syndicale et l’employeur par celle de son avocat.

Une action est en fin de compte introduite devant le Tribunal du travail du Leuven, celle-ci étant cependant limitée à l’amende civile prévue à l’article 7 de la convention collective ainsi qu’à des intérêts de retard.

Par jugement du 15 février 2018, le tribunal du travail a débouté l’intéressé de sa demande.

Appel est interjeté par le travailleur.

La décision de la cour

La cour reprend le mécanisme mis en place par la C.C.T. n° 109 en vue de la communication des motifs concrets du licenciement. L’article 5 de la C.C.T. prévoit que, si le travailleur a demandé à connaître les motifs concrets du licenciement conformément à l’article 4, l’employeur est tenu de lui communiquer ceux-ci par voie recommandée, et ce dans un délai de 2 mois après la réception de la lettre, elle-même recommandée, envoyée par le travailleur. Cette lettre doit contenir les motifs qui ont concrètement conduit au licenciement du travailleur. Une exception à cette disposition figure (article 6) en cas de communication spontanée des motifs par l’employeur.

Le § 1er de l’article 7 prévoit que l’amende civile (forfait de 2 semaines de rémunération) est due si l’employeur ne communique pas les motifs concrets qui ont conduit au licenciement au travailleur qui a introduit une demande à cet effet dans le respect de l’article 4 ou s’il les communique sans respecter l’article 5 (la cour souligne). Les commentaires des partenaires sociaux figurant dans le rapport précédant la C.C.T. rappellent cette exigence du recours à la voie recommandée.

En l’espèce, la cour constate qu’il n’y a pas eu de communication spontanée, celle-ci supposant qu’elle ait été donnée avant que le travailleur ne fasse la demande. L’article 6 de la C.C.T. n’est dès lors pas d’application, la cour renvoyant à la doctrine de W. VAN EECKHOUTTE (W. VAN EECKHOUTTE, « Een kennelijk redelijker ontslagrecht. De rechten van de werknemer i.v.m. de motivering van zijn ontslag », R.D.S., 2015/4, p. 699).

En l’occurrence, les motifs ont été demandés dans le délai et cette demande a été faite par voie recommandée. La société a répondu également dans le délai, mais a recouru à la voie du courriel et non de la lettre recommandée.

La cour constate ensuite que l’intéressé n’a contesté, en justice, dans son licenciement, que le non-respect de cette formalité, sollicitant à son bénéfice la sanction prévue à l’article 7.

La cour rappelle les trois conditions de l’article 5 à respecter par l’employeur lors de la communication des motifs du licenciement, étant que cette communication doit s’opérer par voie recommandée, qu’elle doit être envoyée dans les 2 mois de la réception de la lettre recommandée du travailleur et qu’elle doit contenir les éléments permettant au travailleur de comprendre quels ont été les motifs concrets qui ont conduit à son licenciement.

Dans la mesure où il n’est pas satisfait à une de ces conditions, le travailleur peut réclamer l’amende civile.

L’employeur faisant valoir, dans son argumentation, que la position du travailleur – qui reconnaît avoir reçu les motifs – constitue un abus de droit, la cour rappelle que la doctrine est divisée sur la question, renvoyant notamment à A. FRY (A. FRY, « La C.C.T. n° 109 : amende civile et indemnité pour licenciement manifestement déraisonnable », in J. CLESSE et H. MORMONT, Activités et innovations en droit social, C.U.P. 182, Anthémis, mai 2018, p. 43).

La cour rappelle que, pour qu’il y ait abus de droit au sens de l’article 1134 du Code civil, il faut être en présence d’un droit manifestement enfreint, les conventions devant être exécutées de bonne foi. La société fait valoir sur cette question que le but de la C.C.T. est atteint, le travailleur ayant été informé et ayant pu – comme avéré d’ailleurs – apprécier l’opportunité d’engager ou non la procédure.

Le travailleur faisant de son côté valoir qu’il ne fait que demander l’application du texte, la cour rappelle que la notification des motifs doit intervenir dans un cadre formel, la convention collective ayant recherché un équilibre entre les parties, sans imposer à l’employeur un formalisme excessif. Ce qui a cependant été exigé est la communication par voie recommandée, ce qui n’a pas été respecté par la société.

Elle fait dès lors droit à la demande et alloue l’indemnité forfaitaire telle que calculée par le travailleur.

Intérêt de la décision

Le formalise exigé par la C.C.T. n° 109 à propos de la demande de communication des motifs par le travailleur et de la réponse par l’employeur ne fait pas l’objet d’une appréciation unanime.

Le recommandé est prévu par le texte.

La jurisprudence a essentiellement eu à connaître de la notion de « motif concret », dans la mesure où, cette expression ne faisant pas l’objet d’une définition, se pose la question de l’étendue de l’obligation de motivation de l’employeur.

La Cour du travail de Bruxelles rappelle dans cet arrêt du 17 mai 2019 que l’article 5 prévoit trois conditions, l’envoi recommandé étant questionné dans cette affaire, les deux autres conditions n’étant pas abordées (délai de réponse et obligation de communiquer les « motifs concrets »). Elle conclut que le non-respect de l’une de ses trois obligations débouche sur la condamnation de l’employeur à l’amende civile visée à l’article 7.

L’on notera que, vu l’absence de définition des « motifs concrets », la référence à un motif vague peut constituer une absence de motif et en elle-même donner lieu à l’amende civile.

L’on peut renvoyer à cet égard à un jugement du Tribunal du travail de Liège (division Huy) du 8 octobre 2018 (Trib. trav. Liège, div. Huy, 8 octobre 2018, R.G. 17/318/A – précédemment commenté), qui a considéré que, lorsque la lettre de licenciement et le C4 contiennent un motif, étant « raisons économiques », et que l’employeur, en réponse à la demande de l’employée, faite conformément aux articles 3 à 5 de la convention collective n° 109, ne donne pas les motifs, celui-ci disant être étonné de la demande au motif que l’employée connaissait les raisons du licenciement et que, lors de la rupture, la gérante aurait « expliqué très concrètement les raisons qui (l)’ont poussée à agir de la sorte » (l’ajout dans le document chômage – « plus assez de revenus pour payer les salaires » – étant par ailleurs vague), il faut considérer qu’il y a absence de communication des motifs du licenciement en réponse à la demande formulée et non-respect de l’obligation de motivation imposée par la C.C.T.


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