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Personnel statutaire de HR RAIL : conditions de l’accident du travail

Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 24 octobre 2019, R.G. 18/265/A

Mis en ligne le lundi 13 avril 2020


Trib. trav. Liège (div. Verviers), 24 octobre 2019, R.G. 18/265/A

Personnel statutaire de HR RAIL : conditions de l’accident du travail

Dans un jugement du 24 octobre 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) rappelle la position des hautes cours en ce qui concerne la non-application de la loi du 3 juillet 1967 au personnel statutaire de HR RAIL et, sur la base du texte applicable, qui est le R.G.P.S. 572, désigne un expert avec la mission habituelle en accident du travail.

Les faits

Un agent de maintenance au service de HR RAIL déclare en date du 12 mai 2016 à sa hiérarchie que, lors de sa prestation (nocturne) le 10 mai dans la soirée, alors qu’il faisait avec d’autres collègues un effort de levage avec un portique de translation aux fins de remplacer un rail, il a ressenti une douleur lombaire. La lésion est confirmée par son médecin-traitant.

Pour l’employeur, la déclaration serait tardive, au motif qu’elle aurait dû intervenir dans les 48 heures de l’accident. Elle n’a en fin de compte été rédigée que de nombreux mois plus tard. Les parties s’opposent sur le respect de la formalité de la déclaration, la société faisant valoir que ni la loi du 3 juillet 1967 ni celle du 10 avril 1971 ne sont applicables aux membres du personnel statutaire des chemins de fer belges, ceux-ci étant soumis à un régime particulier. Le lien de causalité est contesté entre les faits et la lésion.

La décision du tribunal

Le tribunal constate dans un premier temps que, eu égard à la jurisprudence récente de la Cour constitutionnelle et de la Cour de cassation, un régime spécifique est applicable, s’agissant d’un fascicule 572, portant règlement général des accidents du travail, des accidents sur le chemin du travail et des maladies professionnelles.

En effet, dans un arrêt du 4 octobre 2018 (C. const., 4 octobre 2018, n° 125/2018), la Cour constitutionnelle a rappelé que le législateur a choisi de ne pas assujettir les membres du personnel statutaire de la S.N.C.B. (repris depuis par HR RAIL) au régime de la loi du 3 juillet 1967. Quasi-concomitamment (Cass., 10 décembre 2018, n° S.18.0057.F), la Cour suprême a confirmé que, lors du transfert des membres du personnel (S.N.C.B. HOLDING en l’occurrence) vers la société HR RAIL au 1er janvier 2014, le statut juridique de ceux-ci n’a pas été modifié. Un article 1/1 a été inséré, avec effet au 1er janvier 2014, dans la loi du 3 juillet 1967, prévoyant que celle-ci n’est pas applicable à ces membres du personnel. Pour la Cour de cassation, dans cet arrêt, il ne s’en déduit cependant pas que cette loi s’appliquait jusqu’au 31 décembre 2013, dans la mesure où aucun arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres ne l’a prévu.

Il y a dès lors lieu de faire application du fascicule 572. Le tribunal en vient ainsi à l’examen de ce texte, qui contient des définitions spécifiques. Ainsi, pour la notion d’accident : il s’agit d’un événement soudain qui produit une lésion et dont la cause ou l’une des causes est extérieure à l’organisme de la victime. Pour la reconnaissance de l’accident, il y a accident du travail lorsque celui-ci survient dans le cours de l’exécution du service et qu’il est dû au fait de cette exécution. Est également prévue l’hypothèse de l’accident subi en-dehors de l’exercice des fonctions mais qui est causé à l’agent par un tiers en raison d’un acte antérieur accompli par celui-ci dans cet exercice.

Il s’en déduit pour le tribunal, que, pour pouvoir bénéficier d’une indemnisation, le demandeur doit prouver l’existence d’une lésion, celle d’un événement soudain extérieur à son organisme ayant provoqué celle-ci, mais également la survenance dans le cours de l’exercice des fonctions.

Pour ce qui est de l’événement soudain, le tribunal applique, néanmoins, la jurisprudence classique de la Cour de cassation en la matière, se référant à de nombreuses décisions de jurisprudence, dont, pour ce qui est de la définition, aux arrêts de la Cour suprême des 5 avril 2004 (Cass., 5 avril 2004, n° S.02.0130.F) et 24 novembre 2003 (Cass., 24 novembre 2003, n° S.03.0044.F). Ces deux arrêts ont trait à l’élément de la définition relatif à l’exercice habituel et normal de la tâche journalière, celui-ci pouvant constituer l’événement soudain requis, à la condition que, dans cet exercice, puisse être décelé un élément qui a pu produire la lésion, n’étant pas exigé par la loi que l’élément se distingue de l’exécution du contrat.

Le tribunal rappelle que cette jurisprudence a cassé des arrêts de fond qui avaient identifié un geste accompli par le travailleur mais avaient refusé de le qualifier d’événement soudain pour ce motif.

Le tribunal signale que ce principe est régulièrement réaffirmé et il renvoie encore à un arrêt du 28 mars 2011 de la Cour de cassation (Cass., 28 mars 2011, n° S.10.0067.F), la Cour ayant ici censuré l’exigence dans le chef du demandeur de l’existence de circonstances particulières : pour la Cour suprême, ce faisant, les juges du fond exigent un événement qui se distingue de l’exécution normale et habituelle de la tâche journalière. Le principe reste constant : dès qu’un élément est identifié, il ne peut être exclu sous prétexte qu’il n’a pas d’origine violente ou que n’existe aucune circonstance particulière. Le tribunal renvoie sur ce débat à l’examen du lien causal : la cause des lésions doit être examinée dans le cadre du renversement de la présomption et non en amont, eu égard à une exigence de circonstances anormales de la prestation de travail (renvoyant ici à la doctrine de S. REMOUCHAMPS, « Petites variations autour de l’événement soudain, élément constitutif de la notion d’accident du travail », Chron. D. S., 2011, pp. 218-219).

Après ce rappel des principes, le tribunal procède à l’examen des preuves, le premier élément étant la déclaration d’accident. Tout en retenant l’exigence de l’obligation de déclaration de l’accident dans un délai de 48 heures en vertu du R.G.P.S. 572 –, il souligne que la jurisprudence considère que la tardiveté de la déclaration (la loi du 10 avril 1971 ne prévoyant pas un délai particulier pour celle-ci) n’entraîne aucune déchéance du droit et ne prive pas le travailleur du bénéfice de la réparation légale. En outre, des éléments de preuve sont également fournis via des témoignages, ainsi que par des certificats médicaux confirmant la lésion.

Pour ce qui est de la décision, le tribunal rappelle également des principes constants, selon lesquels la déclaration de la victime peut valoir au titre de présomption et qu’elle revêt une valeur probante certaine si elle est corroborée par des présomptions qui en confirment le contenu et si elles s’insèrent dans un ensemble de faits cohérents et concordants. L’appréciation des circonstances de l’accident relève du juge et, à cet égard, le tribunal rappelle encore que la bonne foi de la victime ne peut être mise en doute a priori, dans la mesure où les présomptions graves, précises et concordantes viennent confirmer ses déclarations.

L’accident est dès lors reconnu et le tribunal fait droit à la demande de désignation d’expert.

Intérêt de la décision

L’applicabilité au personnel statutaire de HR RAIL de la loi du 3 juillet 1967 a donné lieu à des discussions et controverses en jurisprudence.

Relevons à cet égard un arrêt de la Cour du travail (div. Liège) du 16 novembre 2017 (R.G. 2016/AL/467), qui avait conclu à l’application de la loi du 3 juillet 1967, au motif que l’arrêté royal du 12 juin 1970 était applicable aux personnes morales de droit public relevant de l’Etat. La condition posée est que la création de ces organismes soit postérieure au 31 décembre 2004. La S.N.C.B. (HOLDING) ayant été créée en 1926, la cour du travail avait conclu que, si elle ne tombe pas dans le champ d’application de la loi en tant que personne morale de droit public, elle est cependant soumise à celle-ci en tant qu’entreprise publique autonome. Cet arrêt a été cassé par l’arrêt de la Cour de cassation du 10 décembre 2018 dont question ci-dessus. La Cour de cassation a fait grief à la cour du travail d’avoir conclu à l’application de l’arrêté royal du 12 juin 1970.

Par ailleurs, sur la même problématique, la Cour constitutionnelle avait, dans son arrêt du 4 octobre 2018 dont question ci-dessus, conclu que l’article 21 de la loi du 25 décembre 2016 portant des dispositions diverses en matière sociale, qui a inséré un article 1/1 dans la loi du 3 juillet 1967 précisant que la loi n’est pas applicable aux membres du personnel de HR RAIL mis ou non à la disposition de la S.N.C.B. ou d’INFRABEL, qu’ils soient dans un lien statutaire avec HR RAIL ou engagés par contrat de travail, n’ont pas pour objet de soustraire les membres du personnel statutaire de HR RAIL à tout régime légalement institué en matière d’accidents du travail et d’accidents survenus sur le chemin du travail, et plus précisément au champ d’application de la loi du 3 juillet 1967. Ceux-ci l’étaient déjà avant les dispositions attaquées (avec renvoi aux travaux préparatoires de la loi du 4 juillet 1962 et 3 juillet 1967). Le législateur a voulu faire disparaître tout doute quant au non-assujettissement des membres du personnel statutaire, doute qui a pu naître en raison de la formulation de l’article 2bis de l’arrêté royal du 12 juin 1970 (qui dispose que les personnes morales de droit public dont la création est postérieure au 31 décembre 2004 – sauf dispositions contraires – sont automatiquement soumises à la loi du 3 juillet 1967, et en raison de la création de HR RAIL par l’arrêté royal du 11 décembre 2013). Par ailleurs, s’il y a une différence de traitement entre les membres du personnel statutaire (qui ne pourraient plus se fonder sur la définition de l’accident du travail contenue dans la loi du 3 juillet 1967 ni sur celle prévue par la loi du 10 avril 1971, qui s’applique aux membres du personnel contractuel), cette différence de traitement provient de ce que le R.G.P.S. 572 leur est applicable alors qu’il ne l’est pas au personnel contractuel.

L’on notera que, malgré un texte de départ différent de la loi du 10 avril 1971 (à laquelle se réfère sur cette question la loi du 3 juillet 1967), le tribunal a écarté que le lien de causalité entre l’exercice de la tâche et la lésion doive être établi, le jugement prévoyant, dans la mission d’expertise, que la partie défenderesse est fondée à tenter de renverser la présomption de causalité établie au bénéfice de la victime, notamment sur la base de l’existence d’un état antérieur, se référant ici au point 10 du R.G.P.S. 572.

Les règles habituelles relatives à la force probante des déclarations de la victime ont également été appliquées.


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