Commentaire de Trib. trav. Liège (div. Verviers), 2 octobre 2019, R.G. 18/766/A
Mis en ligne le jeudi 14 mai 2020
Tribunal du travail de Liège (division Verviers), 2 octobre 2019, R.G. 18/766/A
Terra Laboris
Dans un jugement du 2 octobre 2019, le Tribunal du travail de Liège (division Verviers) rappelle la portée des rapports juridiques entre le travailleur, l’assureur et l’employeur dans le cadre d’assurances d’entreprise, le travailleur étant un tiers au contrat d’assurance mais pouvant se prévaloir des droits conférés par son contrat de travail.
Les faits
Un employé comptable bénéficie, en vertu de son contrat, d’une assurance de groupe et d’une assurance hospitalisation. Le coût de celles-ci est à charge de l’employeur. Il devient cadre après deux ans d’engagement et bénéficie, à partir de ce moment, d’un plan de pension spécial.
En décembre 2014, il est prépensionnable et se voit dès lors notifier un préavis à prester. Celui-ci sera suspendu, vu que l’intéressé est atteint, en cours de prestation, d’une maladie grave. Il bénéficie d’une rente d’invalidité mensuelle, conformément au dispositif du plan de pension.
En juillet 2017, l’intéressé est informé par l’assureur que les contrats arrivent à échéance au 1er septembre et il lui est demandé d’opérer un choix entre les options conventionnelles, étant de dire s’il continue sa carrière professionnelle chez son employeur sans prendre sa pension, ce qui entraînera la prolongation du contrat, ou s’il cesse son activité chez l’employeur et prend sa pension, ce qui entraînera le paiement du capital constitué, versement qui interviendra en une fois ou sous forme de rente.
Dans sa réponse, l’intéressé signale qu’il envisage de poursuivre sa carrière professionnelle au-delà de soixante ans et qu’il n’entend pas user de la possibilité de prélever la pension complémentaire avant l’âge de la pension légale. Le contrat est dès lors prolongé. La situation relative au paiement de la rente d’invalidité dans le cadre de l’assurance collective complémentaire reste inchangée.
Le paiement de la rente est suspendu à partir du mois d’octobre 2017. L’employé s’inquiète de la chose et, en réponse, l’assureur réclame le remboursement du montant payé au mois de septembre, et ce motif qu’il aurait pris sa pension à partir du 1er de ce mois.
Une procédure est introduite devant le Tribunal du travail de Liège (division Verviers).
Objet de la demande
L’employé demande la condamnation solidaire, indivisible ou in solidum, ou encore de l’une à défaut de l’autre, des deux sociétés, étant son employeur et l’assureur. Il fixe un décompte dont il demande le paiement. Ce montant, arrêté au 31 décembre 2018, est de l’ordre de 16.000 euros. Il demande également que l’assureur soit condamné à produire les décomptes exacts afin d’arrêter définitivement les montants et sollicite que les rentes (ou dommages et intérêts correspondants) soient payées à partir du 1er janvier 2019 jusqu’à la fin de sa période d’invalidité.
Par voie reconventionnelle, le remboursement de la mensualité de septembre 2017 est sollicité.
La décision du tribunal
Le tribunal constate que le fond de la demande réside dans les conditions générales des contrats d’assurance de groupe, l’employeur ayant conclu à la fois une assurance principale, garantie épargne et décès, ainsi qu’une assurance collective complémentaire, prévoyant le versement d’une rente mensuelle en cas d’invalidité. C’est cette seconde assurance qui fait l’objet du litige.
La police prévoit notamment que les prestations accordées dans le cadre du contrat cessent au plus tard au terme de celui-ci, mais également au décès de l’assuré, ou encore lors de sa mise à la pension ou à la prépension, ainsi qu’à la date de cessation effective d’emploi, sauf si ce dernier était déjà en invalidité reconnue par l’assureur à ce moment. Le terme du plan est fixé au premier jour du mois qui suit le soixantième anniversaire de l’affilié mais, si celui-ci conserve ses fonctions au sein de la société au-delà de cet âge, il peut demander soit que la prestation en cas de vie soit liquidée, soit que le contrat d’assurance se poursuive au plus tard jusqu’à son soixante-cinquième anniversaire, selon les mêmes modalités. Une dérogation est prévue, étant l’hypothèse où l’assuré cesse d’être affilié au plan et qu’il perçoit une rente d’invalidité en conséquence d’une maladie grave. Dans ce cas, celle-ci continue à être due tant que dure l’invalidité.
Des différences de texte sont cependant constatées entre les conditions générales et les conditions particulières, ce qui amène le tribunal à se pencher sur les droits que peut tirer l’intéressé de ceux-ci.
Sur le plan juridique, l’assurance collective invalidité est une stipulation pour autrui au sens de l’article 1121 du Code civil, étant l’engagement pris par une personne envers une autre d’exécuter une prestation au bénéfice d’un tiers à la convention. Ce tiers est le travailleur. L’employeur a ainsi souscrit une obligation à l’égard de son travailleur, ce qui fait naître un rapport juridique entre l’employeur et l’assureur, ceux-ci convenant des conditions du contrat, ainsi qu’un droit direct du travailleur à se prévaloir des droits qui en découlent, et ce vis-à-vis de l’assureur lui-même.
Le tribunal renvoie à l’article 77 de la loi du 4 avril 2014, relative aux assurances. En vertu de celui-ci, les conditions générales et particulières ainsi que leur modification éventuelle sont opposables au travailleur, dont l’accord n’est pas requis pour la conclusion de celles-ci, vu qu’il est un tiers.
Vu les moutures successives des conditions générales et particulières, le tribunal s’attache à l’examen des dernières en date. Pour le demandeur, celles-ci sont discriminatoires, heurtant le double critère de l’âge et de l’état de santé, tous deux protégés par la loi du 10 mai 2007. La loi s’applique en effet aux régimes complémentaires de sécurité sociale, à savoir aux régimes qui ont pour effet de fournir aux travailleurs, salariés ou indépendants, groupés dans le cadre d’une entreprise ou d’un groupement d’entreprises, d’une branche économique ou d’un secteur professionnel ou interprofessionnel, des prestations destinées à compléter les prestations des régimes légaux de sécurité sociale ou à s’y substituer, que l’affiliation à ceux-ci soit obligatoire ou facultative (articles 4, 17°, et 5, 4°).
Pour ce qui est de l’âge, le tribunal fait grief au demandeur de ne pas établir une différence de traitement par rapport à d’autres personnes dans une situation comparable. L’article 12, § 2, de la loi prévoit en effet la fixation d’âge(s) différent(s) pour l’admission ou l’admissibilité aux prestations de pension ou d’invalidité, et ceci vise tant l’âge minimum que l’âge maximum. Il renvoie à un jugement du Tribunal du travail francophone de Bruxelles (Trib. trav. fr. Bruxelles, 24 septembre 2018 – R.G. non repris), selon lequel l’important est que l’âge permette de déterminer si une personne peut ou ne peut plus obtenir la prestation en cause.
De même, pour le critère de l’état de santé, la clause conventionnelle prévoit que restent couverts les affiliés restant en service au-delà de soixante ans et qui n’ont pas opté pour la liquidation du contrat principal, la couverture existant jusqu’à soixante-cinq ans, mais au plus tard jusqu’à l’âge de la mise à la pension ou à la prépension, à la condition qu’ils n’aient pas été en invalidité à soixante ans.
Pour le tribunal, ces personnes ne sont pas dans une situation comparable au regard de l’assurance, puisqu’à la date d’expiration du contrat (qui est de soixante ans), le risque couvert (étant l’invalidité) est déjà réalisé pour certains d’entre eux – qui perçoivent une rente –, alors qu’il ne l’est pas pour les autres.
Le tribunal rappelle encore la jurisprudence de la Cour du travail de Liège (C. trav. Liège, div. Liège, 18 juillet 2017, R.G. 2016/AL/484), selon laquelle, si la discrimination est interdite sur la base de l’état de santé actuel ou futur, rien n’interdit en revanche de prendre en compte l’état de santé passé.
Pour le tribunal, les clauses conventionnelles sont claires et elles ne permettent pas le paiement de la rente mensuelle au-delà du 1er septembre 2017, l’assureur ayant par ailleurs rempli ses obligations découlant du contrat. Le tribunal retient également qu’aucune faute ne peut être reprochée à l’employeur.
Le travailleur est dès lors débouté de son action.
Intérêt de la décision
Dans cette affaire, les conditions particulières des contrats d’assurance ont été modifiées au fil du temps, une condition supplémentaire ayant été introduite dans le texte applicable au moment où s’est posé le litige, cette condition supposant que les intéressés n’aient pas été en invalidité à l’âge de soixante ans.
Le tribunal a admis la licéité de la modification des conditions générales et particulières, constatant que l’employeur a respecté les engagements pris dans le contrat avec le travailleur, lui assurant (sans autres précisions) le bénéfice d’une assurance de groupe couvrant le décès et l’invalidité, ainsi qu’une assurance hospitalisation.
Dans la mesure où les montants garantis ainsi que les autres conditions offertes aux bénéficiaires n’ont pas été précisées, le tribunal considère que ces éléments ne sont pas entrés dans le champ contractuel et que leur modification en cours de contrat ne peut constituer une modification unilatérale du contrat de travail.
Par ailleurs, il constate également que les adaptations des contrats ont fait l’objet d’une information au Conseil d’entreprise et que l’intéressé ne peut, en conclusion, se prévaloir d’un texte ancien qui a été régulièrement modifié. La comparaison est faite avec une espèce tranchée par la Cour du travail de Bruxelles (C. trav. Bruxelles, 26 octobre 2005, R.G. 44.058), s’agissant d’un droit contractuel, résultant du statut du personnel, à une pension complémentaire de type « but à atteindre » avec un objectif contractuellement déterminé. Tel n’était cependant pas le cas dans la présente espèce.